(1) Voir p. 38, « Un aventurier dans le monde bureaucratique ».
29
mort, il écrivait qu'il était temps pour lui, de revenir à Paris,
n'ayant plus rien à se mettre sous la dent.
Je l'avais vu, au début de_l'été, dans un café désert, lisant
attentivement et calmement, d'un seul æil ouvert, un livre
de Husserl, une longue bande de journal glissé verticalement
enire l'autre vil et sa lunette. De temps à autre, il posait son
livre, changeait le papier de place, rendait à l'obscurité l'oeil
qu'il venait de faire travailler et reprenait sa lecture. Sur isa
table s'étalait « Le Monde » mutilé qu'il avait minutieuse-
ment exploré, avant de le transformer en papier protecteur.
Je ne dis pas cela afin de faire partager mon admiration
pour son caractère, mais afin que ses camarades sachent qu'il
a manifesté une force de vivre et de savoir que sa maladie
était incapable de briser.
Il préparait une grande école, au lycée Henri IV quand
il entra dans une cellule de stagiaire du P.C.I. C'était au
milieu de 1943. Marx, Lénine et Trotski, furent une révéla-
tion pour lui. Quelques mois plus tard, alors qu'il était encore
stagiaire, il convertissait la plupart de cos camarades au
trotskisme. Il organisait des conférences et des groupes d'étu-
des clandestins avec un sérieux et une passion dont nous som-
mes quelques-uns à nous souvenir. En août 1944, il se battit,
sans aucune illusion sur le caractère de la Libération, mais
à seule fin de participer à une lutte ouvrière. Puis désigné
comme responsable au travail étudiant par le P.C.I. et se cou-
urant de l'étiquette du Front national, il transforma la Mai-
son des Lettres en un champ de bataille politique. Son en-
fluence dépassa, alors largement, le milieu étudiant et le
comité central du P.C. s'en inquiéta un moment. Tous les
lundis il commentait, devant un public nombreux, les événe-
ments de la semaine; expliquait avec intransigeance le sens
du gaullisme et critiquait âprement, la politique stalinienne.
Ses interventions étaient d'une sûreté et d'un mordant qui
l'auraient fait passer pour un militant chevronné, si l'on
n'avait su qu'il avait vingt ans. Après avoir tenté de lui répon-
dre, ses adversaires qui n'aimaient pas se faire pulvériser de-
vant le public, prirent le parti de le faire expulser du Front
national. Mais il poursuivit longtemps son travail de propa-
gande et d'éducation et si ce travail devint plus modeste, ce
fut seulement que les circonstances étaient devenues moins
favorables. Le résultat fut cependant que des dizaines de
camarades entrèrent dans les rangs du P.C.I. ou devinrent
des sympathisants marxistes révolutionnaires sous son in-
fluence. A l'intérieur du P.C.I., il participa à toutes les tâches
pratiques et théoriques, et pendant plusieurs années, se con-
30
sacra sept jours sur sept à la politique. Il ne reprit partielle-
ment ses études, que lorsque la désagrégation du parti rendit
vaine cette activité continue ; bien que travaillant alors, dans
de dures conditions matérielles, il passa l'agrégation de philo-
sophie. Enfin, il fut prompt à sentir la faiblesse théorique du
trotskisme, son erreur sur l’U.R.S.S., son incompréhension du