mort à faire prévaloir l'idée, sinon d'un contrôle, du moins
d'une limitation du pouvoir du parti, reconnaissant l'existence
d'une « lutte économique », des ouvriers au sein de la société
post-révolutionnaire, concédant une relative autonomie au
syndicat, mais les fondements de sa politique, comme ceux de
la politique de Trotsky ne sont pas ceux qui s'établiront par
la suite. Pour l'un et l'autre, pour l'immense majorité des diri-
geants de cette époque, toutes les mesures « totalitaires » sont
considérées comme provisoires; elles paraissent à leurs yeux
imposées par la conjoncture, de simples artifices improvisés
pour maintenir l'existence de l'URSS dans l'attente de la révo-
lution mondiale, pour imposer une discipline de production
dans une période où la désorganisation économique engendrée
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de
par la guerre civile est telle que la démocratie paraît incapable
de la résoudre. Sans doute, pour nous qui réfléchissons sur
une expérience historique trente ou trente-cinq ans après qu'elle
s'est développée les arguments des dirigeants bolcheviks ne
peuvent être acceptés tels quels; la dictature du parti si elle
se trouve renforcée sous la pression de facteurs conjoncturels
s'affirme déjà, nous l'avons dit, à l'époque de la révolution
aux dépens du pouvoir soviétique; davantage, elle est dans le
prolongement de l'activité du parti bolchevik avant la
révolution, elle ne fait que développer jusqu'à ses extrêmes
conséquences les traits du parti d'avant-garde, rigoureusement
centralisé, véritable corps spécialisé de professionnels de la
révolution dont la vie se développe largement en marge des
masses ouvrières. Rien ne serait donc plus artificiel
que
réduire l'évolution du parti à celle d'une politique, que d'igno-
rer les processus structurels qui conditionnent cette politique.
Il n'en reste pas moins que dans la période pré-stalinienne une
contradiction fondamentale subsiste au sein du parti, contra-
diction qui sera précisément abolie avec l'avènement du tota-
litarisme. Entre les moyens adoptés qui ne cessent d'accuser
la séparation entre l'Etat et les classes dont il se réclame, qui
ne cessent d'affranchir et l'Etat et, au sein de l'Etat, les diri-
geants bolcheviks de tout contrôle social d'une part et d'autre
part les fins qui ne cessent d'être proclamées, l'instauration
d'une société socialiste, il n'y a pas de choix effectué. Les diri-
geants, c'est l'évidence, ne choisissent pas: la thèse du dépé-
rissement de l'Etat continue d'être affirmée aussi impérati-
vement' tandis que l'Etat concentre tous les pouvoirs. Mais la
société elle-même, pourrait-on dire, ne choisit pas, en ce sens
qu'aucune force sociale n'est à même de faire peser ses intérêts
d'une façon décisive dans la balance. La différenciation des
salaires est si peu accusée qu'elle n'engendre aucune base
sociale matérielle pour une nouvelle couche dominante. Le
stalinisme est le moment du choix. D'un point de vue idéolo-
gique, d'abord: la formule du socialisme dans un seul pays
vient légaliser l'état de fait; la séparation de l'Etat et des
masses, la concentration de toute l'autorité entre les mains.
d'une direction unique. Tous les traits provisoires de la nou-