Après moi, d'autres orateurs prennent la parole, pour
répéter l'idée du chrétien, et pour me critiquer. Un repré-
sentant de l'UJRF, un communiste, un autre comrauniste,
ami du Nord-Africain, une représentante des jeunes filles de
France, un autre représentant de l'UJRF, Roger Linet, le
chrétien, qui parle deux fois...
On offre toujours la parole, mais il n'y a plus d'orateurs.
Le chrétien conclut en proposant des pétitions et des meetings
explicatifs. La réunion se termine une heure trop tôt. Nous
quittons la salle, sans vouloir polémiquer avec des gens que
nous jugeons sans intérêt. En partant nous essayons de mar-
quer notre dédain pour cette assemblée fantoche, mais au
fond, nous sommes heureux de revoir l'air libre.
Aucun d'eux, à part le chrétien, n'a exprimé ses idées
avec la moindre conviction. Chacun n'a fait que réciter, sans
aucune foi. On a parlé comme une corvée. Pas un rire, pas un
murmure, pas une manifestation d'éloquence. Des discours
sans enthousiasme, des discours de professionnels. Quelle
différence avec notre atelier, où tout est dit avec tellement de
passion. Combien de pièces j'ai raté dans les discussions. Hier
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encore, E. a fait éclater sa meule parce qu'il avait oublié
sa machine dans le feu de la discussion... Nous sommes obligés
de gueuler pour couvrir le bruit des machines, mais les dis-
cussions restent humaines, mêlées de rires et d'injures. Dans
cet arsenal mécanique, il y a des hommes qui vivent. Et puis
il y a eu cette grève d'une demi-heure qu'on a .offert à J. où
100 à 200 ouvriers ont consenti à arrêter le travail pour
saluer le départ de J. Lui qui n'est pourtant par un partisan
des grèves, a eu du mal à cacher son émotion. De toute cette
passion nous n'avons trouvé aucun écho dans cette réunion.
Discours ennuyeux, des hommes robots, qui récitaient sans
art, sans talent, devant un auditoire fatigué.
De vieux ouvriers communistes étaient venus, quelques-
uns avec leurs femmes et leurs enfants, pour passer le samedi
après-midi. Eux non plus, ne manifestèrent aucune passion
dans les débats, et se contentèrent d'applaudir. Il y avait
aussi des jeunes sur lesquels le Parti peut compter, mais
qui sont plus dévoués à la discipline. qu'à la cause.
Leur intervention fut le plus souvent limitée à la lecture de
motions. Aucune initiative ne fut exprimée par eux, aucune
originalité, même dans l'argumentation. Ce ne furent que les
inlassables répétitions du même thème. Entre ces feunes et ces
vieux militants, il n'y a pas de différence. La discipline du
Parti a tout aplani, tout rationalisé, enlevé toute personnalité
à ces individus. Elle leur a enlevé leur âge, leur physionomie.
Ce n'est plus un tel ou un tel, mais c'est un type du Parti.
Cette standardisation de l'auditoire nous surprend, nous
écaure et nous amuse à la fois. Le chrétien, lui, à qui l'on a
donné tout à coup la possibilité de s'exprimer, ne voit pas à
qui il parle. Cet homme a l'air intelligent, on lui a donné la
• possibilité de s'extérioriser, il en est ravi. Enfin il va pouvoir
donner libre cours à sa passion, qui semble être portée sur le
besoin de s'exprimer, et de s'exprimer avec application. Les