édifiés à sa gloire : le Ministère de la Sécurité, dont j'ai déjà
parlé, construit dans un style de super-palace Côte d'Azur ;
l'immeuble du Comité central du parti, surtout, qui s'élève
au carrefour de deux artères principales de la ville, dont les
dimensions évoquent celles du Palais de Chaillot, mais que
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sa masse, écrasante à souhait, désigne comme la forteresse
ultra moderne d'un Pouvoir absolu; le Palais de la Culture
enfin, point de mire, quel que soit le lieu où l'on se situe,
gratte-ciel prétentieux, pourvu de créneaux et de fioritures
diverses, dont la fonction, au demeurant, est toujours restée
indéterminée et qui est encore à moitié vide. Symboles de
l'ère stalinienne, dépouillés de leur substance, citadelles ana-
chroniques, c'est un autre monde qu'ils évoquent à l'heure de
la « démocratisation » et des coupes sombres pratiquées dans
la bureaucratie.
Et pourtant ce monde est tout proche... Encore une fois
il suffit d'observer.
Nos amis polonais nous ont conduit jusqu'à l'Ambas-
sade russe située à l'extrême pointe du quartier « officiel »,
en contre-bas du Belvédère, l'ancien siège du gouvernement
polonais. Entouré d'un grand jardin, ce palais imposant, ré-
cemment construit, éclipse par ses dimensions, non seulement
toutes les autres ambassades, mais la plupart des bâtiments
publics. Les Polonais le nomment leur « super-belvédère »
et parlent de Ponomarenko comme de leur gauleiter. A pré-
sent, cependant, l'humour n'est plus exempt d'amertume, ni
de crainte. La puissance stalinienne incarnée dans l'architec-
ture n'appartient pas au passé. Selon l'expression, maintes
fois entendue, le pouvoir russe règne à Varsovie indépen-
damment du pouvoir national. Ponomarenko, l'adversaire
irréductible du mouvement d’octobre, lui qui déclarait aux
journalistes que Poznan avait été l'ouvre du fascisme au
moment même où Cyrankiewicz admettait qu'il s'agissait
d'un soulèvement ouvrier, lui encore qui déclarait à une délé-
gation de la jeunesse, pendant les fameuses journées d'octo-
bre: « Aujourd'hui c'est le désordre, demain l'ordre sera
rétabli, choisissez avant qu'il ne soit trop tard. » Ponoma-
renko qui a conservé son hostilité entière contre le nouveau
régime continue de trôner malgré l'avènement de Gomulka.
L'Ambassade demeure le quartier général du stalinisme polo-
nais et c'est entre ses murs que se prépare l'offensive quoti-
dinne, lancée de Moscou, contre la presse de Varsovie.
Or ce péril, attaché à la présence russe en Pologne,
nous avons pu vérifier chaque jour qu'il était durement senti
par la population, qu'il tarissait l'enthousiasme issu de la
« Libération », qu'il interdisait l'espoir, qu'il inhibait la
pensée elle-même, devenue incertaine du possible et donc
du vrai. Nos impressions, de nouveau, se dégagent aussi bien
de la conversation de rue que de la discussion proprement
politique.
Jamais, au cours de ces rencontres de hasard que j'évo-
quais tout à l'heure, nos interlocuteurs n'ont manqué de par-
ler de la menace russe. En vain leur disions-nous qu'elle pa-