droite est la plus bête du monde. Mais ils n'ont pas divorcé
pour autant, la bêtise n'étant pas un motif statutaire de divorce
à la SFIO, et toute droite ayant la gauche qui lui convient.
Après tout si la droite règne en France, c'est la faute aux
tomates du 6 février 1956 : derrière Duchet, ce sont les patrio-
tes d’Alger qui commencent à insinuer leur slogans, leurs
hommes, leurs organisations, leurs journaux, leurs raisons
et leur déraison dans la vie quotidienne de ce pays. L'atmo-
sphère algérienne commence d'oppresser la vie politique fran-
çaise : on voit surgir le béret mi-parachutiste mi-PSF, la
main gantée, le travesti guerrir, la cocarde abondante, le style
musclé et paradeur, le ton énervé (mais aussi l'amitié pour les
flics et la préférence pour les rues bourgeoises) des Français
de souche et des fascistes à l'état naissant.
Ces animaux grotesques nous viennent d'Alger qui est le
lieu au monde où la décomposition de l'empire colonial fran-
çais, incarnée par les troupes même qui y campent, est le
plus ressentie comme une affaire de vie ou de mort. Mais
d'Algérie reviennent aussi, point grotesques, plus inquiétants,
les hommes qui ont fait cette guerre, bon gré mal gré. Eux
aussi ont subi l'érosion puissante que la société coloniale,
quand elle atteint la limite de sa tension et quand ses contra-
dictions éclatées au grand jour la déchaînent, exerce impitoya-
blement sur tous les hommes qui y vivent. C'est bien, en effet,
dans la société algérienne elle-même que les jeunes venus de
toutes les classes sociales françaises vivent pendant leur séjour
en Algérie : l'armée où ils sont incorporés reflète, nous l'avons
dit, cette société, elle en prolonge en clair et jusqu'à l'absurde
la fonction fondamentale, laquelle est de supprimer l'huma-
nité du « crouille ». La décomposition des valeurs démocra-
tiques : respect de la personne, égalité, etc., est facilitée par le
fait d'abord que ces valeurs n'ont déjà pas grande assise
dans une société de classes où l'observation la plus fruste
les voit quotidiennement violées, ensuite par la campagne
que la presse bourgeoise mène depuis quatre ans bientôt pour
faire admettre cette guerre comme légitime, enfin et surtout
parce que, ne resteraient-ils que 20 mois en Algérie, la briè-
veté (toute relative !) de l'intervalle est largement compensée
par l'efficacité d'une vie militaire qui n'est elle-même qu'une
vie coloniale plus intensive. Inutile d'insister : qu’on lise les
témoignages des rappelés, le dossier Muller, «Une demi-
campagne », le texte de Mothé ici-même (4), on aura tous les
documents nécessaires, s'il en est besoin, pour analyser et
reconstituer la décomposition idéologique que produit la pres-
sion de la société algérienne sur les hommes du contingent.
Reste enfin que cette perméabilité à l'atmosphère colo-
nialiste, qui est la seule grande victoire remportée par la
droite chauvine dans sa guerre, n'est possible que grâce à
l'absence de combativité des ouvriers français sur la question
algérienne. Il s'agit là évidemment du fait fondamental à par-
tir duquel l'isolement du FLN, la reconquête des villes algé-
riennes par les ultras, le bombardement de Sakhiet, la multi-
plication en France des manifestations d'éléments fascisants,
l'aggravation de l'arbitraire policier du gouvernement sont pos-