SOCIALISME
OU
BARBARIE
Le groupe dont cette revie est l'organe s'est constitué en
1946 au sein de la section française de la « IV Internatio-
Hale». Son développement politique et idéologique l'a éloigné
de plus en plus de celle-ci, et l'a en définitive amené à rompre
non seulement avec les positions actuelles des épigones de
Trotsky; mais avec ce qui a constitué la véritable essence
du trotskisme depuis 1923, c'est-à-dire l'attitude réformiste
(au sens profond du terme) face à la bureaucratie stalinienne,
drangement combinée avec l'essai de maintenir intact, au
sein d'une réalité en constante évolution, le fond de la poli-
tique bolchevique de la période héroïque.
Ce n'est pas un hasard si notre groupe s'est formé au sein
de l'organisation trotskiste; en effet une prise de conscience.
sommaire du caractère contre-révolutionnaire du stalinisme
mène le plus souvent au trotskisme. Mais ce n'est pas un
basard 1101 plus si nous nous en sommes détachés; car préci-
sément la question de la nature du stalinisme est le point ou
la superficialité des conceptions trotskistes apparait le plus
claire nient.
En effet, 120s positions se sont constituées à partir de ce pro-
blème que tous les militants révolutionnaires sentent comme
étaui le problème fondamental de notre époque; la nature
de la bureaucratie « ouvrière » et surtout de la bureaucratie
sialinienne. Nous avons commencé, de mênie que tous les
6triers qui ont simplement dépassé le stalinisme; à nous
demander : qu'est-ce que la Russie actuelle, que sont les par.
tis « communistes » ? Que signifient la politique et l'idéologie
du stalinisme ? Quelles en sont les bases sociales ? . Enfin,
Quelles en sont les racines économiques ? Cette bureaucratie,
1
qui vingt-cinq années durant domine la société russe, qui
depuis la fin de la guerre s'est annexé la moitié orientale de
l'Europe et qui est maintenant en train d'achever la con-
quête de la Chine, en même temps qu'elle garde sous son
influence exclusive des fractions décisives du proletariat des
pays bourgeois, cette bureaucratie est-elle une simple excrois-
sance temporaire greffée sur le mouvement ouvrier, un simple
accident historique, ou correspond-elle à des traits profonds
de l'évolution sociale et économique contemporaine ? Si c'est
cette dernière réponse qui est vraie, si parler d' « accident
historique » à propos d'un phénomène aussi vaste et aussi
durable est tout simplement ridicule, alors se pose la question :
comment se fait-il que cette évolution économique et sociale
qui d'après le marxisme devait amener la victoire de la révo-
lution, a aniené la victoire, même passagère, de la bureau-
cratie ? Et que devient dans ce cas la perspective de la révo-
lution prolétarienne ?
Ce.furent donc les nécessités les plus pratiques et les plus
immédiates de lutte de classes qui nous ont amenés à poser
sérieusement le problème de la bureaucratie et celui-ci nous
a, à son tour, obligés à poser de nouveau le problème de l'évo-
lution de l'économie moderne, de la signification d'un siècle
de luttes prolétariennes et en définitive de la perspective révo-
lutionnaire elle-même. L'élaboration théorique prenant son
départ des préoccupations pratiques devenait une fois de
plus la condition préalable à toute activité cohérente et
organisée.
En nous présentant aujourd'hui, par le moyen de cette
revue, devant l'avant-garde des ouvriers manuels et intellec-
tuels, nous savons être les seuls à répondre d'une manière
systématique aux problèmes fondamentaux du mouvement
révolutionnaire conteniporain : nous pensons être les seuls à
reprendre et à continuer l'analyse marxiste de l'économie
moderne, à poser sur une base scientifique le problème du
développement historique du mouvement ouvrier et de sa
signification, à définir le stalinisme et en général la bureau-
cratie « ouvrière », à caractériser la Troisième Guerre Mon-
diale, à poser enfin de nouveau, en tenant compte des élé-
ments originaux créés par notre époque, la perspective révo-
lutionnaire. Dans des questions de telle envergure, il ne peut
s'agir ni d'orgueil ni de modestie. Les marxistes ont toujours
considéré que, représentant les intérêts historiques du prolé-
tariat, seule classe positive de la société actuelle, ils pouvaient
2
avoir sur la réalité une vue infiniment supérieure à celle
de tous les autres, qu'il s'agisse des capitalistes ou de toutes
les variétés de bâtards intermédiaires. Nous pensons que nous
représentons la continuation vivante du marxisme dans le
cadre de la société contemporaine. Dans ce sens nous n'avons
nullement peur d'être confondus avec tous les éditeurs de
revues « marxistes », « clarificateurs », « hommes de bonne
volonté », discutailleurs et bavards de tout acabit. Si nous
posons des problèmes, c'est que nous pensons pouvoir les
résoudre.
Le fameux adage : « sans théorie révolutionnaire, pas d'ac-
tion révolutionnaire », doit en effet être compris dans toute
son ampleur et dans sa véritable signification. Le mouvement
prolétarien se distingue de tous les mouvements politiques
précédents, aussi importants que ceux-ci aient pu être, par
ce qu'il est le premier à être conscient de ses objectifs et de
ses moyens. Dans ce sens, non seulement l'élaboration théo-
rique est pour lui un des aspects de l'activité révolutionnaire,
mais elle est inséparable de cette activité. L'élaboration théo-
rique ne précède ni ne suit l'activité révolutionnaire pratique :
elle est simultanée à celle-ci et les deux se conditionnent l'une
l'autre. Séparée de la pratique, de ses préoccupations et de
son contrôle, l'élaboration théorique ne peut qu'être vaine,
stérile et de plus en plus dépourvue de signification. Inver-
sement, une activité pratique qui ne s'appuie pas sur une
recherche constante ne peut qu'aboutir à un empirisme cré-
tinisé. Les rebouteux « révolutionnaires » ne sont pas moins
dangereux que les autres.
Mais cette théorie révolutionnaire sur laquelle doit cons-
tamment s'appuyer l'action, quelle est-elle ? Est-elle un dogme,
sorti armé de pied en cap de la tête de Marx ou d'un autre
prophète moderne, et dont nous autres nous n'aurions comme
mission que de maintenir sans tache la splendeur originelle ?
Poser la question c'est y répondre. Dire « sans théorie révo-
lutionnaire, pas d'action révolutionnaire », en entendant par
« théorie » la simple connaissance du mårxisme et tout au
plus une exégèse scolastique des textes classiques, est une triste
plaisanterie qui ne traduit que l'impuissance. La théorie révou
lutionnaire ne peut être valable que si elle se développe cons-
tamment, si elle s'enrichit de toutes les conquêtes de la
pensée scientifique et de la pensée humaine 'en général, de.
l'expérience du mouvement révolutionnaire plus particuliè-
rement, si elle subit, chaque fois qu'il est nécessaire, toutes
les modifications et les révolutions intérieures que la réalité
3
lui impose. L'adage classique n'a donc de seres que s'il est
compris conime disant : « sans développement de la théorie
révolutionnaire, pas de développement de l'action révolution-
naire. »
Nous avons déjà dit par là, que si nous 11045 coilsidérone
conime riarxistes, 12015 ne pensoris nullerilent qu'être inarxiste
signifie faire par rapport à Marx ce que les théologiens catho-
liqules font par rapport aux Ecritures. Etre marxiste signific
pour nous 'se situer sur le terrain d'une trodition, poser les
problèmies à partir dit point où les posaient Marx et ses conti-
ruateurs, maintenir et défendre les positions marxistes tradi-
tionnelles aussi longtemps qu'il11 nouvel exameıl 18 nous aurs
persuadés qu'il faut les abandonner, les amender ou les rem-
placer par d'autres correspondant mieux à l'expérience ul-
rieure et aux besoins du mouvement révolutionnaire,
Tout cela ne signifie pas seulement que déjà le dévelop-
pement et la propagation de la théorie révolutionnaire sont
des activités pratiques extrêmement importantes --- ce qui est
juste, mais insulfisant, cela signifie surtout que sans un
renouveau des conceptions fondamentales il 123' aura pas de
7e nouveau pratique. La reconstitution du nichvement révola-
tioinaire devra nécessairement passer par 21710 période pen-
ciant laquelle les 10uvelles conceptions devront devenir la
possessica de la majorité de la classe. Ceci se fera par deux
processus qui 11€ sont indépendants qu'en apparence : disne
part, la masse derra s'élever elle-même, souls la pression des
conditions objectives et des nécessités de sa lutte à une con-
science claire, 112ên:le si elle est simple et fruste, des problèmes
actuels; d'autre part, les noyaux de l'organisation révolution-
naire, tel notre groupe, devront, à partir d'une base théorique
forme, diffuser la nouvelle conception des problèmes et la
concrétiser toujours davantage. Le point de rencontre de ces
deux processus, l: 11707?ent où la majorité de la classe seve
à une compréhension claire de la situation historique et ca la
conception théorique générale du nouvement peut être tra-
diuite intégralement en directives d'action pratique, c'est le
7?1011?e?it de la Révolution.
Il est évident que la situation actuelle est encore éloignée
de ce point. Le proletariat, aussi bien en France que dans
les autres pays, se trouve dans sa majorité aliéné et 11.3'stifié
par sa bureaucratie. Il est in ystifié idéologiquement, lorsqu'il
adopte, soit comme son propre intérêt, soit comme un
« moindre mal », la politique de la bureaucratie: « réfor-
4.
ces nio vells de lutte, est une vérité élémentaire qui va de
miste » ou stalinienne; il est aliéné dans son action même
puisque les luttes qu'il entreprend pour défendre ses intérêts
immédiats sont le plus souvent et dès qu'elles ont une cer-
taine envergure, annexées par la bureaucratie stalinienne
comme instrument de sa politique nationalé et internationale.
Enfin les éléments d'avant-garde qui prennent conscience de
cette mystification et de cette aliénation11'en tirent pour le
moment et faute de perspectives générales qu'une conclusion
négative, dirigée contre les organisations bureaucratiques,
conclusion fondée mais évidemnient insuffisante. Dans ces
conditions il est évident qu'une conception générale juste ne
peut pas dans la période actuelle se traduire à tout moment
par des niots d'ordre d'action immédiate menant à la révo-
lution. Dire que nous soutenons sans conditions toute lutte
prolétarienne, que nous sommes du côté des ouvriers à chaque
moment où ils luttent pour défendre leurs intérêts, même si
nous sonimes en désaccord sur la définition des objectifs ou
soi. Mais vouloir à propos de toute lutte partielle se livrer à
une agitation superficielle et stérile pour la grève générale
ou la révolution, en dépit de toute réalité et de toute évi-
dence, c'est là une tâch? dont ilous n'avons que faire.
Ces constatations cependant, aussi justes scient-clles, n'épui-
sent ni ne résolvent le problème de la liaison nécessaire entre
une conception générale des problèmes de la révolution d'une
fart et les luttes actuelles d'autre part. Ces luttes ne sont pas
seulement un matériel d'analyse et de vérification extrêmement
important; plus encore et surtout, elles sont le milieu dans
lequel peut se fornier et s'éduquer une avant-garde prolé-
tarienne réelle, aussi : restreinte soit-elle numériquement.
D'autre part une conception générale n'a de valeur que dans
la miesire où elle se montre capable de toucher une fraction
de l'arant-garde ouvrière, et où elle offre le cadre, même
général, de solutions pratiques, autrement dit des critères
valables pour l'action. C'est en fonction de tous ces facteurs
que nous pouvons définir l'objectif immédiat de cette revue
comme étant la popularisation dans la plus grande mesure
possible de nos conceptions théoriques et politiques, la dis-
cussion et la clarification des problèmes pratiques que pose
constamment la lutte des classes, même sous les formes éstro-
piées qu'elle a actuellement.
Nous chercherons donc constainment toutes les occasions
poilr traiter des questions pratiques actuelles, même lorsque
celles-ci 2: toucheraient qu'u:12 secteur de la classe; nous évi-
5
terons toujours de traiter les questions théoriques pour elles-
mêmes. Notre but sera de fournir des outils de travail aux
ouvriers avancés, à une époque où la complexité des pro-
blèmes, la confusion qui règne partout et l'effort constant
des capitalistes et surtout des staliniens pour la mystification
de tous à propos de tout nécessitent un effort sans précédent
dans cette direction. En traitant les problèntes nous essaierons
toujours non seulement de les exposer dans le langage le plus
clair possible, mais surtout d'en montrer l'importance pra-
fique et les conclusions concrètes qui s'en dégagent.
Cette - revue n'est nullement un organe de confrontation
d'opinions entre gens qui « se posent des problèmes », mais
l'instrument d'expression d'une conception d'ensemble que
nous croyons systématique et cohérente. Les grandes lignes
de cette conception sont exprimées dans l'article « Socialisme
ou Barbarie » contenu dans ce premier numéro. Néanmoins,
#1 sur le plan organisationnel, ni sur le plan théorique nous
ne sommes partisans du monolithisme. Nous pensons que le
développement de la théorie révolutionnaire ne peut se faire
que par la confrontation des opinions et des positions
divergentes, nous pensons aussi que cette discussion doit être
faite devant l'ensemble de la classe; nous pensons très pré-
cisément que la conception selon laquelle un parti possède à
hui tout seul la vérité et toute la vérité et l'apporte à la
classe, en cachant à celle-ci ses divergences internes, est, sur
le plan idéologique, une des racines et des expressions les
plus importantes du bureaucratisme dans le mouvement
euvrier. C'est pourquoi les divergences qui pourront appa-
raître sur des points particuliers entre des camarades de notre
groupe pourront être exprimées dans la revue, qui signalera
les articles qui expriment la position de leur auteur et non
pas du groupe en tant que tel. La discussion sera donc libre
dans le cadre de nos conceptions générales, avec le souci
constant d'éviter que cette discussion ne devienne un dialogue
sans fin entre quelques individus.
Nous sommes certains que les ouvriers et les intellectuels
qui, en France, ont déjà pris conscience de l'importance des
problèmes que nous posons, qui comprennent combien il est
Urgent de leur donner une réponse adéquate et conforme aux
intérêts des masses, nous soutiendront dans le long et difficile
effort que représentera la préparation et la diffusion de notre
Xevue.
SOCIALISME OU BARBARIE
Un siècle après le « Manifeste Communiste », trente an-
nées après la Révolution russe, après avoir connu des vic-
toires éclatantes et des profondes défaites, le mouvement
révolutionnaire semble avoir disparu, tel un cours d'eau qui
en s'approchant de la mer se répandi en marécages et fina-
tement s'évanouit dans le sable. Jamais il n'a été davantage
question de « marxisme », de « socialisme », de la classe
ouvrière et d'une nouvelle période historique; et jamais le
véritable marxisme n'a été davantage bafoué, le socialisme
vilipendé et la classe ouvrièré vendue et trahie par ceux qui
se réclament d'elle. Sous les formes les plus différentes en
apparence, mais au fond identiques, la bourgeoisie « recon*
naît » le marxisme, essaie de l'émasculer en se l'appropriant,
en en acceptant une part, en le réduisant au rang d'une con-
ception parmi tant d'autres. La transformation des « grands
révolutionnaires en icônes inoffensives », dont Lénine parlait
il y a quarante ans, s'effectue à un rythme accéléré, et Lénine
lui-même n'échappe pas au sort commun. Le « socialisme >
semble être réalisé dans des pays qui englobent quatre cents
millions d'habitants, et ce « socialisme »-là apparaît comme
inséparable des camps de concentration, de l'exploitation
sociale la plus intense, de la dictature la plus atroce, du
crétinisme le plus étendu. Dans le reste du monde, la classe
ouvrière se trouve devant une détérioration lourde et cons-
tante de son niveau de vie depuis bientôt vingt ans; ses
libertés et ses droits élémentaires, arrachés au prix de longues
luttes à l'Etat capitaliste, sont abolis ou gravement menacés.
On comprend de plus en plus clairement qu'on n'est sorti de
la guerre qui vient de finir que pour en commencer une
nouvelle, qui sera de l'avis commun la plus catastrophique
et la plus terrible qu'on ait jamais vu. La classe ouvrière
est organisée, dans la plupart des pays, dans des syndicats
et des partis gigantesques, groupant des dizaines de millions
d'adhérents; mais ces syndicats et ces partis jouent, toujours
plus ouvertement et toujours plus cyniquement le rôle
d'agents directs du patronat et de l'Etat capitaliste, ou du
capitalisme bureaucratique qui règne en Russie.
Seules semblent surnager dans ce naufrage universel des
faibles organisations telles que la « IVe Internationale », les
Fédérations Anarchistes et les quelques groupements dits
« ultra-gauches » (bordiguistes, spartakistes, communistes des
conseils). Organisations faibles non pas à cause de leur mai-
greur numérique qui en soi ne signifie rien et n'est pas
un critère, mais avant tout par leur manque de contenu
politique et idéologique. Relents du passé beaucoup plus qu'an-
ticipations de l'avenir, ces organisations se sont prouvées
absolument incapables déjà de comprendre le développement
social du xxe siècle, et encore moins de s'orienter positivement
face à celui-ci. La pseudofidélité à la lettre du marxisme que
proſesse la « IVe Internationale » lui permet, croit-elle, d'évi-
ter de répondre à tout a qui est important aujourd'hui. Si
dans ses rangs on rencontre quelques-uns des ouvriers
d'avant-garde qui existent actuellement, ces ouvriers y sont
constamment déformés et démoralisés, épuisés par un acti-
visme sans base et sans contenu politique et rejettés après
consommation. En mettant en avant des mots d'ordre de col-
laboration de classe, comme la « défense de l'U.R.S.S. » et le
gouvernement stalinoréformiste, plus généralement, en mas-
quant par ses conceptions vides et surannées la réalité actuelle,
la « IVe Internationale » joue, dans la mesure de ses faibles
forces, elle aussi son petit rôle comique dans la grande tra-
gédie de mystification du prolétariat. Les Fédérations Anar
chistes continuent à réunir des ouvriers d'un sain instinct
de classe, mais parmi les plus arriérés politiquement et dont
elles cultivent à plaisir la confusion. Le refus constant des
anarchistes à dépasser leur soi-disant « apolitisme » et leur
athéorisme contribue à répandre un peu plus de confusion
dans les milieux qu'ils touchent et en fait une voie de garage
supplémentaire pour les ouvriers qui s'y perdent. Enfin, les
groupements « ultra-gauches » soit cultivent avec passion
leurs déformations de chapelle, comme les bordiguistes, allant
parfois jusqu'à rendre le prolétariat responsable de leur
propre piétinement et de leur incapacité, soit, comme les
« communistes des conseils », se contentent de tirer de l'expé-
rience du passé des recettes pour la cuisine « socialiste » de
l'avenir.
Malgré leurs prétentions délirantes, aussi bien la « IVIn-
ternationale » que les anarchistes et les « ultra-gauches » ne
sont en vérité que des souvenirs historiques, des croûtes minus-
cules sur les plaies de la classe, vouées au dépérissement
sous la poussée de la peau neuve qui se prépare dans la
profondeur des tissus.
Il y a un siècle le mouvement ouvrier révolutionnaire se
constituait pour la première fois en recevant de la plume
géniale de Marx et de Engels sa première charte : le « Mani-
feste Communiste ». Rien qui indique mieux la solidité et
la profondeur de ce mouvement, rien qui puisse davantage
nous rcplir de confiance quant à son avenir que le carac-
tère fondamental et définitif des idées sur lesquelles il s'est
constitué. Comprendre que toute l'histoire de l'humanité,
jusqu'alors présentée comme une succession de hasards, le
résultat de l'action des « grands hommes » ou le produit de
l'évolution des idées, n'est que l'histoire de la lutte de classes;
que cette lutte, lutte entre exploiteurs et exploités, se dérou-
lait à chaque époque dans le cadre donné par le degré de
développement technique et des rapports économiques créés
par la société; que la période actuelle est la période de la
lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat, celle-là, classe
oisive, exploiteuse et opprimante. celui-ci, classe productive,
exploitée et opprimée; que la bourgeoisie développe de plus
en plus les forces productives et la richesse de la société,
vnifie l'économie, les conditions de vie et la civilisation de
tous les peuples, en même temps qu'elle fait croître pour ses
esclaves la misère et l'oppression; comprendre qu'ainsi, en
développant non seulement les forces productives et la
richesse sociale, mais aussi une classe toujours plus nombreuse,
plus cohérente et plus concentrée de prolétaires, qu'elle
éduque et pousse elle-même à la révolution, l'ère bourgeoise
a permis pour la première fois de poser le problème de l'abo-
lition de l'exploitation et de la construction d'un nouveau
type de société non plus à partir de désirs subjectifs de
réformateurs sociaux, mais des possibilités réelles créées par
la société elle-même; comprendre que pour cette révolution
sociale la force motrice essentielle ne pourra être que ce
prolétariat, poussé par ses conditions de vie et son long
apprentissage au sein de la production et de l'exploitation
capitalistes à renverser le régime dominant et a reconstruire
la société sur des bases communistes comprendre et mon-
trer tout cela dans une clarté aveuglante, voilà le mérite
imprescriptible du « Manifeste Communiste » et du marxisme
dans son ensemble, voilà en même temps la base de granite
sur laquelle seule on peut bâtir solidement et que l'on ne
peut pas remettre en question.
Mais si dès le premier moment le marxisme a pu tracer
le cadre et l'orientation de toute pensée et de toute action
révolutionnaire dans la société moderne, s'il a pu même pré-
voir et prédire la longueur et les difficultés de la route que
le prolétariat aurait à parcourir avant d'arriver à son éman-
cipation, aussi bien l'évolution du capitalisme que 'le dévelop-
pement du mouvement ouvrier lui-même ont fait surgir des
nouveaux problèmes, des facteurs imprévus et imprévisibles,
des tâches insoupçonnées auparavant, sous le poids desquels
Le mouvement organisé a plié, pour en arriver à sa disparition
actuelle. Prendre conscience de ces tâches, répondre à ces pro-
blèmes, voilà le premier objectif dans la voie de la recons-
truction du mouvement prolétarien révolutionnaire.
En gros on peut dire que la différence profonde entre la
situation actuelle et celle de 1848 est donnée par l'apparition
de la bureaucratie en tant que couche sociale tendant à assu-
rer la relève de la bourgeoisie traditionnelle dans la période
de déclin du capitalisme. Dans le cadre du système mondial
d'exploitation, et tout en maintenant les traits les plus pro-
fonds du capitalisme, des nouvelles formes de l'économie et
de l'exploitation sont apparues, rompant formellement avec
la traditionnelle propriété privée capitaliste des moyens de
production et s'apparentant extérieurement à quelques-uns des
ohjectifs que jusqu'alors le mouvement ouvrier s'était fixés :
zinsi l'étatisation ou nationalisation des moyens de produc-
tion et d'échange, la planification de l'économie, la coordina-
tion internationale de la production. En même temps et liée
à ces nouvelles formes d'exploitation apparaissait la bureau-
cratie, formation sociale dont les germes existaient déjà aupa-
ravant mais qui maintenant pour la première fois se cristal-
lisait et s'affirmait comme classe dominante dans une série
de pays, précisément en tant qu'expression sociale de ces nou-
velles formes économiques. Parallèlement à l'éviction des
formes traditionnelles de la propriété et de la bourgeoisie
classique par la propriété étatique et par la bureaucratie,
l'opposition dominante dans les sociétés cesse graduellement
d'être celle entre les possédants et les sans propriété pour être
remplacée par celle qui existe entre les dirigeants et les exécu-
tants dans le processus de production; en effet, la bureaucra-
tie se justifie elle-même et trouve son explication objective
dans la mesure où elle joue le rôle considéré comme indispen-
sable de ·« dirigeant » des activités productives de la société,
et par là-même de toutes les autres.
Cette relève de la bourgeoisie traditionnelle par une nou-
velle bureaucratie dans une série de pays est d'autant plus
importante que la racine de cette bureaucratie semble dans
la plupart des cas être le mouvement ouvrier lui-même. Ce
sont en effet les couches dirigeantes des syndicats et des
partis «ouvriers » qui, prenant le pouvoir dans ces pays
après la première et la deuxième guerre impérialiste ont été
le noyau autour duquel se sont cristallisées les nouvelles
couches dominantes de techniciens, d'administrateurs, de
militaires etc. De plus, ce sont des objectifs du mouvement
ouvrier lui-même, telle la nationalisation, la planification, etc,'
qui semblent être réalisés par cette bureaucratie et en même
temps former la meilleure base pour sa domination. Ainsi, le
résultat le plus clair d'un siècle de développement de l'éco-
nomie et du mouvement ouvrier paraît être le suivant :
d'une part, les organisations- syndicats et partis politiques
- que la classe ouvrière créait constamment pour son éman-
cipation, se transformaient régulièrement en instruments de
mystification et secrétaient inéluctablement des couches qui
s'élevaient sur le dos du prolétariat pour résoudre la ques-
tion de leur propre émancipation, soit en s'intégrant au
régime capitaliste, soit en préparant et en réalisant leur propre
accession au pouvoir. D'autre part, une série de mesures et
d'articles de programme, considérés auparavant soit comme
progressifs, soit comme radicalement révolutionnaires la
réforme agraire, la nationalisation de l'industrie, la planifi-
cation de la production, le monopole du commerce extérieur,
la coordination économique internationale se sont trouvés
réalisés, le plus souvent par l'action de la bureaucratie
ouvrière, parfois même par le capitalisme au cours de son
développement sans qu'il en résulte pour les masses labo-
rieuses autre chose qu'une exploitation plus intense mieux
coordonnée et pour tout dire rationalisée.
C'est dire qu'en plus du résultat objectif de cette évolu-
-
11
tion, qui a été une organisation plus systématique et plus
efficace de l'exploitation et de l'asservissement du prolétariat,
il en est sorti une confusion sans précédant, concernant aussi
bien les problèmes de l'organisation du prolétariat pour sa
lutte que de la structure du pouvoir ouvrier et du programme
lui-même de la révolution socialiste. Aujourd'hui c'est sur-
tout cette confusion concernant les problèmes les plus essen-
tiels de la lutte de classe qui constitue l'obstacle principal
à la reconstruction du mouvement révolutionnaire. Pour la
dissiper, il est indispensable de revoir les grandes lignes de
l'évolution de l'économie capitaliste et du mouvement ouvrier
pendant le siècle qui vient de s'écouler.
BOURGEOISIE ET BUREAUCRATIE
Le capitalisme, c'est-à-dire le système de production basé
sur un développement extrême du machinisme et sur l'exploi-
tation du prolétariat et orienté vers le profit, s'est présenté
tout d'abord, depuis le début du XIXe siècle jusqu'aux envi-
rons de 1880, comme un capitalisme national, s'appuyant sur
une bourgeoisie nationale, vivant et se développant dans le
cadre de la libre concurrence. C'est la concurrence entre les
capitalistes individuels qui est pendant cette période le moteur
essentiel de développement des forces prouinctives et de la
société en général. La règlementation de la production se fait
spontanément et aveuglement par le marché; mais l'équilibre
entre la production et la consommation auquel on peut arri-
ver par les adaptations spontanées du marché est nécessai-
rement un équilibre temporaire, précédé et suivi par des
périodes de déséquilibre profond, c'est-à-clire de crise écono-
mique. Cette période est donc dominée par l'anarchie de la
Production capitaliste entraînant périodiquement et réguliè-
rement des crises pendant lesquelles une partie des richesses
de la société est détruite, des masses des travailleurs restent
sans travail et les capitalistes les moins forts font faillite.
Sous la poussée du développement technique. rendant néces-
saires des investissements de plus en plus grands, et à travers
l'élimination par les crises et la concurrence des petits et des
moyens patrons, le capital se concentre de plus en plus; des
sommes de plus en plus grandes de capital, des armées de
plus en plus importantes de travailleurs sont dirigées par un
nombre décroissant de patrons ou de sociétés capitalistes. Ce
12
processus de concentration des forces productives du capi-
tal et du travail - atteint un premier palier avec la domi-
nation complète de chacune des branches importantes de la
Production par un monopole capitaliste, et avec la fusion du
zapital industriel et du capital bancaire dans le capital
Linancier.
En disparaissant pour céder la place au capitalisme de
monopole, le capitalisme concurrenciel du xixe sièclel laissait
derrière lui un monde complètement transformé. La produc-
tion industrielle, auparavant. négligeable, devenait la princi-
pale activité et la source de richesse des sociétés civilisées;
elle suscitait l'apparition par centaines de grandes cités, dans
lesquelles s'entassaient de plus en plus des travailleurs indus-
triels, concentrés dans des usines toujouțs plus importantes
et chez lesquels l'identité des conditions de vie et de travail
créait rapidement la conscience de l'unité de leur classe. La
production et le commerce international se trouvaient décu-
plés dans quelques décades. Ayant solidement conquis et orga-
nisé les grandes nations civilisées l'Angleterre, la France,
les Etats-Unis, l'Allemagne le capitalisme allait partir à
Wat conquête du monde.
Mais cette conquête, ce n'était plus le capitalisme concur-
senciel qui allait la réaliser. Celui-ci s'était déjà, par le jeu
de ses propres tendances internes, transformé, vers la fin du
$IX* siècle, en capitalisme de monopole. Cette transformation
entraîna une série de conséquences d'une importance énorme.
Sur le plan strictement économique, d'abord, la concentration
su capital et l'apparition d'entreprises d'une taille toujours
croissante amena une rationalisation et une organisation per-
Isctionnée de la production, qui, parallèlement à l'intensifi-
sation du rythme et de l'exploitation du travail, entraîna une
réduction considérable du prix de revient des produits. Sur
le plan social, la concentration du capital en faisant dispa-
saitre de plus en plus le patron-directeur, le pionnier de la
période héroïque du capitalisme, en centralisant la propriété
d'entreprises immenses et nombreuses entre les mains d'un
petit nombre de possédants amenait la séparation graduelle
des fonctions de propriété et de direction de la production et
donnait une importance croissante aux couches de directeurs,
des administrateurs et des techniciens. En même temps, le
capital perdait sa liaison exclusive avec la bourgeoisie natio-
nake et devenait, par le canal des trusts et des cartels s'éten-
dant sur plusieurs pays, un capital international. Enfin, l'appa-
ce
rition des monopoles supprimait la concurrence à l'intérieur
de chaque branche monopolisée mais aussi accentuait la lutte
entre les différents monopoles et les groupements monopo-
listiques nationaux ou internationaux. Le résultat a été la
transformation des méthodes de lutte entre les différents grou-
pements capitalistes. A la place de l'expansion de la produc-
tion et de la baisse des prix de vente, en un mot de la
concurrence « pacifique », sont de plus en plus des
méthodes « extra-économiques » qui sont employées, comme
les barrières douanières, le dumping, la création de chasses
gardées aux colonies, les pressions politiques et militaires et,
en définitive, la guerre elle-même, qui éclate en 1914 comme
dernière instance capable de résoudre les conflits économiques.
L'expression dominante des antagonismes entre les mono-
poles et les nations impérialistes était la lutte pour les colo-
nies. Pendant la période passée, depuis les découvertes du
xwe siècle jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle, les pays
arriérés d'outre-mer, qu'ils aient eu ou non le statut de colo-
nie, servaient aux pays capitalistes avancés surtout comme
lieux de prélèvement direct et brutal de valeurs et comme
lieux de vente de marchandises. L'invasion du capitalisme
dans ces pays pendant la première moitié du xixe siècle, se
manifeste essentiellement comme invasion de marchandises à
bas prix. Mais la transformation du capitalisme concurrenciel
en capitalisme de monopole donne un caractère différent à
la liaison économique entre les colonies et les pays capitalistes.
Les monopoles reposent sur un marché bien défini, où les
débouchés et l'approvisionnement en matières premières
doivent être relativement stables. Les colonies sont donc doré-
navant intégrées dans cette « rationalisation » des marchés
que les monopoles tentent de réaliser, aussi bien en tant que
débouchés qu'en tant que sources de matières premières. Mais
surtout elles deviennent désormais un champ d'investissements
pour le capital trop abondant dans les métropoles et qui
commence à être exporté vers les colonies et les pays arriérés
en général, où le taux d'intérêt élevé, lié au très bas prix de
la main-d'æuvre, lui permet une exploitation beaucoup plus
rentable
C'est ainsi que déjà avant 1914 l'ensemble du monde se
trouve partagé entre 6 ou 7 grandes nations impérialistes. La
tendance des monopoles à étendre leur puissance et à aug-
menter leurs profits ne peut maintenant s'exprimer que par
la remise en question du partage du monde existant et par
une lutte pour un nouveau partage plus avantageux pour
14
Mais la crisa
chacun d'eux. C'est là la signification de la première guerre
mondiale.
Le résultat de cette guerre fut que les vainqueurs dépouil-
lèrent les vaincus et 'les confinèrent dans les limites de leurs
frontières nationales. Mais l'euphorie qui en résulta pour les
impérialismes vainqueurs fut extrêmement passagère. L'ex-
portation continue de capital vers les pays arriérés et l'arrêt
des exportations européennes à cause de la guerre avaient
amené l'industrialisation d'une série de pays d'outre-mer.
D'autre part, les Etats-Unis apparaissaient pour la première
fois sur le marché mondial comme un pays exportateur de
produits industriels. De plus, par la suite de la révolution de
1917, la Russie s'était soustraite du marché capitaliste. L'ex-
pansion de la production dans les pays capitalistes allait se
heurter à un marché de plus en plus restreint. On
image claire lorsqu'on voit que depuis 1913, cependant que
la production de produits manufacturés ne cesse d'augmenter,
les exportations et importations de ces mêmes produits restent
stationnaires lorsqu'elles ne reculent pas. Une nouvelle crise
de surproduction devenait dès lors inévitable.
Elle explosa en 1929 avec une violence sans précédent dans
la 'longue histoire des crises capitalistes, et l'on peut la
définir comme étant à la fois la dernière des crises cycliques
classiques et l'entrée dans la période de crise permanente du
régime capitaliste qui, depuis, n'a plus su retrouver un équi-
libre, même limité et temporaire.
lération dans l'évolution de l'impérialisme. Les crises précé-
dentes du capitalisme en poussant à la faillite les entreprises
les moins résistantes, avaient chaque fois accéléré le mou-
vement de concentration du capital, jusqu'à la monopolisa-
tion complète de chaque branche importante de la production
et la suppression de la concurrence à l'intérieur de ces
branches. Après 1929, nous assistons au même processus, mais
cette fois sur le plan international. Les pays impérialistes
européens, les plus mûrs et les plus pourvus en colonies, se
sont révélés définitivement incapables d'affronter la concur-
rence sur le marché mondial. Une nouvelle période du pro-
cessus de la concentration mondiale des forces productives
s'ouvrait. Jusqu'alors le monde était partagé entre plusieurs
pays ou groupes de pays impérialistes rivaux qui vivaient
dans une succession de stades passagers d'équilibre et de
déséquilibre économique, politique et militaire. On s'orientait
15
a
maintenant vers la domination universelle d'un seul pays
impérialiste, le plus fort économiquement et militairement.
Mais cette évolution, quoique affectant en premier lieu les
rapports internationaux, devait influencer profondément l'éco-
nomie capitaliste de chaque pays. Les pays européens, inca
pables de lutter dorénavant sur le marché mondial, réagirent
nécessairement à la crise en se repliant sur eux-mêmes et en
s'orientant vers l'autarcie économique. Cette politique autar-
cique n'était d'ailleurs que l'expression du très haut degré
auquel avait abouti la concentration monopolistique dans ces
pays et du contrôle total de l'économie nationale par les
monopoles, en même temps qu'elle allait déterminer l'entrée
dans une nouvelle phase de cette concentration : la concentra-
tion autour de l'Etat,
En effet, la lente et graduelle convergence du capital et de
l'Etat, qui s'était manifestée depuis le début de l'ère indus-
trielle et surtout depuis le règne des monopoles, s'en trouvait
considérablement accélérée. L'économie impérialiste « nation
nale » devenant un tout qui devrait se suffire à lui-même,
l'Etat capitaliste, sans perdre son aspect d'instrument de
coercition politique, en prenait un autre qui devint chaque
jour plus important : il se transformait en organe central de
coordination et de direction de l'économie. Les importations
et les exportations, la production et la consommation devaient
être réglées par une instance centrale qui exprimât l'intérêt
général des couches monopolistiques. Ainsi l'évolution écono-
mique de 1930 à 1939 est caractérisée par l'importance crois-
sante du rôle économique de l'Etat, en tant qu'organe suprême
de coordination et de direction de l'économie capitaliste natio
nále et par les débuts de la fusion organique entre le capital
monopoleur et l'Etat. Et ce n'est pas un hasard si en Europe
les expressions les plus complètes de cette tendance ont été
réalisées dans les pays qui, par le manque de colonies, se
trouvaient dans la position la plus défavorable en comparar-
son aux autres impérialismes repus, c'est-à-dire en Allemagne
nazie et en Italie fasciste. Toutefois la politique de Rooseveli
aux U.S.A. traduisait la même tendance dans le cadre d'un
capitalisme beaucoup plus solide.
Mais cette courte période de repli sur les économies natia
nales n'est en réalité qu'une transition passagère. Elle ne
signifie nullement que l'interdépendance des productions capr
talistes nationales soit en régression : au contraire, elle n'ex-
prime qu'une première réaction des monopoles et des Etata
capitalistes face aux résultats catastrophiques pour les plus
16
faibles qu'amène l'approfondissement de cette interdépen-
dance. Cette réaction et l'autarcie qu'elle se proposait comme
remède étaient complètement utopiques.
La preuve en fut donnée par la deuxième guerre mondiale.
Directement provoquée par l'étouffement des productions
allemande, italienne et japonaise dans les limites trop étroites
de leurs marchés respectifs, cette guerre ne fut que la
première expression directe de la tendance vers une concen-
tration complète de la production à l'échelle internationale,
vers le regroupement du capital mondial autour d'un seul
pôle dominateur. Ce fut le capital allemand qui essaya de
jouer ce rôle unificateur, en se subordonnant et en groupant
autour de lui le capital européen. Il ne s'agissait plus, comme
pendant la première guerre mondiale, d'un nouveau « par-
tage » du monde. Les objectifs de la guerre, d'un côté comme
de l'autre, étaient beaucoup plus vastes : il s'agissait de l'an-
nexion, au profit de l'impérialisme vainqueur, non plus seu-
lement des pays arriérés, de marchés etc..., mais du capital
lui-même des autres pays impérialistes, dans la tentative d'or-
ganiser l'ensemble de l'économie et de la vie du monde en
vue des intérêts d'un groupe impérialiste dominateur. La
défaite de la coalition de l'Axe laissa le champ ouvert aux
« Alliés » pour la domination mondiale.
Mais si la première guerre mondiale n'avait donné qu'une
solution passagère aux problèmes qui l'avaient provoquée, la
fin de la deuxième guerre mondiale n'a fait que poser à
nouveau et d'une manière beaucoup plus profonde, intense,
urgente et impérative les problèmes qui étaient à son origine.
Tout d'abord, la faillite de tous les impérialismes secondaires
et des structures « autarciques » en Europe est devenue dix
fois plus évidente et plus aiguë qu'auparavant. Les impéria-
lismes européens se sont démontrés définitivement incapables
aussi bien de concurrencer la production américaine sur le
marché mondial que de vivre sur leurs propres ressources.
Il n'était même plus nécessaire pour l'impérialisme yankee
d'essayer de se les soumettre; ils se sont soumis d'eux-mêmes.
Ils ont reconnu que dorénavant ils ne peuvent vivre qu'aux
crochets de l'Oncle Sam et sous sa tutelle. Mais surtout, la
guerre a mis à nu la dernière grande opposition entre Etats
exploiteurs qui déchire le système mondial d'exploitation :
l'antagonisme et la lutte entre l'Amérique et la Russie pour
la domination universelle,
Cet antagonisme qui domine la période contemporaine pré-
1T
2
sente un caractère profondément nouveau non seulenient
parce qu'il est l'ultime forme d'antagonisme entre Etats en
lutte dans la société moderne, mais aussi parce que les deux
systèmes qui s'opposent présentent une structure différente,
car ils représentent chacun une étape différente de la concen-
tration des forces productives.
Dans la période actuelle, cette concentration dépasse la
phase monopolistique et prend un aspect nouveau : à l'inté-
rieur de chaque pays, l'Etat devient le pivot de la vie éco-
nomique, soit parce que l'ensemble de la production et de la
vie sociale est étatisé (comme en Russie et dans ses satel-
lites), soit parce que les groupements capitalistes dirigeants
sont fatalement amenés à l'utiliser comme le meilleur instru-
ment de contrôle et de direction de l'économie nationale, ce
qui se passe dans le reste du monde. D'autre part, sur le
plan international, non seulement les pays qui étaient tou-
jours subordonnés
aux « Grandes' Puissances », mais
ces ex-« Grandes Puissances » elles-mêmes ne peuvent plus
ni économiquement, ni militairement, ni politiquement, main-
tenir leur indépendance et tombent sous la domination
ouverte ou camouflée des deux seuls Etats que leur puissance
niaintient dans l'autonomie, de la Russie ou des Etats-Unis,
ces super-Etats de l'ère contemporaine, véritables molochs
dévorateurs devant qui tout doit s'effacer ou les servir aveu-
glement. C'est ainsi qu'aussi bien l'Europe que le reste de
la planète se trouvent scindés en deux zones : l'une de domi-
nation russe, l'atre de domination américaine
Mais la profonde symétrie qui existe entre les deux zones
nie doit pas faire oublier les différences essentielles qui 'les
séparent. Les Etats-Unis sont arrivés à l'étape actuelle de
concentration de leur économie et de domination transconti-
nentale par le développement organique de leur capitalisme.
A travers les monopoles, l'économie américaine est arrivée à
son étape actuelle où une dizaine de super-groupements d'une
puissance formidable et unis entre eux possèdent tout ce qui
est essentiel dans la production et la contrôlent dans son
ensemble, depuis ses plus petits rouages jusqu'à cet instru-
ment central de coercition et de coordination qu'est l'Etat
fédéral américain. Mais le grand capital n'est pas encore
complètement identifié à l'Etat; formellement, possession et
gestion de l'économie d'une part, possession et gestion de
l'Etat d'autre part, restent distinctes et seule l'identification
su personnel dirigeant assure la coordination complète. D'autre
part, la planification de l'économie reste confinée à l'intérieur
18
de chaque branche de la production : ce ne fut que pendant
la deuxième guerre mondiale que l'économie fut soumise à
une coordination d'ensemble, coordination qui depuis, a mar-
qué de nouveau un recul.
Dans la zone russe, par contre, et avant tout en Russie
elle-même, la concentration des forces productives est com-
plète. L'ensemble de l'économie appartient à l'Etat-patron et
est géré par celui-ci. Le bénéficiaire de l'exploitation du pro-
létariat est une immense et monstrueuse bureaucratie (bureau-
crates politiques et économiques, techniciens et intellectuels,
dirigeants du parti « communiste » et des syndicats, mili-
taires et grands policiers). La « planification » de l'économie
dans les intérêts de 'la bureaucratie est absolument générale.
De même sur le plan de la vassalisation des Etats secon-
daires, les Etats satellites de la Russie ont été complètement
assimiliés à celle-ci quant à leur régime économique et social
et leur production est directement orientée selon les intérêts
économiques et militaires de la bureaucratie russe. Par contre,
comparé au « plan Molotov », le plan Marshall dans la zone
américaine n'est qu'un début du processus de vassalisation
qui a encore une série d'étapes à parcourir et qui ne pourra
s'accomplir complètement qu'à travers la troisième guerre
mondiale.
Enfin, du point de vue de la situation du proletariat, si
dans les deux systèmes la même tendance fondamentale du
capitalisme moderne vers l'exploitation de plus en plus com-
plète de la force de travail se fait jour, le degré de réalisation
de cette tendance est différent. Dans la zone russe, aucune
entrave, ni juridique ni économique, n'est posée à la volonté
de la bureaucratie d'exploiter au maximum le prolétariat,
d'augmenter autant que possible la production pour satisfaire
sa consommation parasitaire et accroître son potentiel mili-
taire. Dans ces conditions, le prolétariat est réduit complè-
tement à l'état de matière brute de la production. Ses condi-
tions de vie, le rythme de production, la durée de la journée
de travail lui sont imposés par la bureaucratie sans discus-
sion possible. Par contre, dans la zone américaine ce pro-
cessus n'est réalisé à un degré analogue que dans les pays
coloniaux et arriérés; en Europe et aux Etats-Unis il n'en
est qu'à ses débuts.
Mais ces différences, pour profondes qu'elles soient, ne
doivent pas faire oublier que leur développement conduit
les deux systèmes à l'identification. Il est évident que la
-
dynamique de l'évolution a comme premier résultat la rapide
accentuation des traits de concentration au sein de l'impéria-
lisme américain. Le contrôle, économique et politique à la.
fois, des autres pays par le capital des U.S.A. et le rôle crois-
sant de l'Etat américain dans ce contrôle; la mainmise directe
des monopoles yankees sur le capital allemand et japonais,
résultat de la deuxième guerre mondiale et qui apparaît main-
tenant comme devant se maintenir définitivement; l'accélé-
ration de la concentration verticale et horizontale imposée par
le besoin d'un contrôle et d'une règlementation de vius en
plus complets des sources de matières premières et des mar-
chés, aussi bien intérieurs qu'extérieurs; l'extension de l'ap-
pareil militaire, l'échéance de la guerre totale et la transfor-
mation graduelle de l'économie en économie de guerre per-
manente; le besoin d'une exploitation complète de la classe
ouvrière, imposée par la chute du profit et le besoin d'inves-
tissements de plus en plus grands, tous ces facteurs poussent
les Etats-Unis vers le monopole universel s'identifiant à
l'Etat, en même temps qu'elle les conduisent vers un régime
politique totalitaire. Une nouvelle crise de surproduction, mais
surtout la guerre, signifieront une accélération extraordinaire
de ce processus.
En effet, le processus de concentration des forces produc-
tives ne pourrait s'achever que par l'unification du capital
et de la classe dominante à l'échelle mondiale, c'est-à-dire
par l'identification des deux systèmes qui s'opposent aujour-
d'hui. Cette unification ne pourrait se faire que par la guerre,
qui est désormais ineluctable. Elle est inéluctable parce que
l'économie mondiale ne peut pas se maintenir scindée en deux
zones hermétiquement séparées et parce que aussi bien la
bureaucratie russe que l'impérialisme américain ne peuvent
que chercher à résoudre leurs contradictions par l'expansion
à l'extérieur.
La tendance inexorable des couches dominantes, dans l'un
ou dans l'autre système, à augmenter leurs bénéfices et leurs
puissance les oblige toujours à rechercher un terrain plus
étendu pour y exercer leur pillage. D'autre part, l'augmen-
:tation de ces bénéfices et même déjà leur simple conservation,
à partir du moment où elles se trouvent en face di'un adver-
saire ayant exactement les mêmes convoitises, les oblige à
continuer à développer les forces productives. Mais ce dévelop-
..pement devient de plus en plus impossible dans les limites
strictes définies pour chacun d'eux par la division du monde
en deux zones. La concentration du capital et le dévelop-
20
pement technique rendent nécessaires des investissements de
plus en plus grands, auxquels on ne peut faire face que par
une exploitation accrue du prolétariat; mais cette exploitation
accrue se heurte rapidement à un obstacle infranchissable,
qui est la baisse de la productivité du travail surexploité.
Dès lors, l'expansion vers l'extérieur, par l'annexion du capi-
tal, du prolétariat et des sources de matières premières de
l'adversaire, devient la seule solution pour les exploiteurs,
bureaucrates ou bourgeois. Il n'y a là que l'expression 'suprême
de la tendance du capital concentré à s'approprier les profits
non plus en fonction uniquement de sa grandeur, mais en
fonction de sa suprématie dans le rapport de forces et, au
niveau actuel de la concentration, à s'annexer non seulement
une plus grande part des profits, mais tous les profits. Mais on
ne peut annexer tous les profits qu'en annexant toutes les
conditions et les sources du profit, c'est-à-dire en définitive
l'ensemble de l'économie mondiale. Ainsi, la guerre pour la
domination mondiale devient la forme ultime et suprême de
la concurrence entre les productions concentrées. Au stade de
la concentration totale, la concurrence se transforme inéluc-
tablement et diretement en lutte militaire, et la guerre totale
remplace la compétition économique en tant qu'expression
aussi bien de l'opposition des intérêts des couches dominantes
que de la tendance vers une concentration universelle des
forces productives imposée par le développement économique.
Inversement, dès que l'opposition irréductible de la bureau-
cratie russe et de l'impérialisme américain a posé la guerre
comme une perspective inéluctable, cette guerre devient le
milieu vital de la société mondiale, et son échéance future
détermine dès à présent les manifestations de la vie sociale
:: dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'économie ou de la
politique, de la technique ou de la religion. Cette détermi-
nation de toutes les activités sociales essentielles par la
guerre, à venir ne fait qu'aggraver à un point inouï les
contradictions déjà existantes et confirme et approfondit en
retour le processus menant au conflit ouvert.
Ainsi, non seulement la guerre est inévitable, mais aussi, si
le prolétariat révolutionnaire n'intervient pas pour supprimer
cette opposition et ses bases, l'identification des deux sys-
mes et l'unification du système mondial d'exploitation sur
le dos des masses laborieuses. A défaut de révolution, la guerre
se résoudra par la destruction de l'un des antagonistes au
profit de l'autre, par la domination mondiale au profit du
$
vainqueur, la mainmise totale sur le capital et le proletariat
de la terre et le regroupement autour du vainqueur de la
majeure partie des couches exploiteuses dans les différents
pays, après écrasement des sommets dirigeants du groupe
des vaincus. Il est clair qu'une victoire de la Russie sur
l'Amérique signifierait la mainmise complète de la Russie
sur l'appareil de production américain et mondial, prenant la
forme d'une « nationalisation » complète du grand capital
américain et de l'extermination des capitalistes yankees et
de leurs principaux agents politiques, syndicaux et militaires
et accompagnée de l'intégration dans le nouveau système de
presque l'ensemble des techniciens et d'une grande partie de
la bureaucratie étatique, économique et ouvrière américaine.
Inversement il est tout aussi évident qu'une victoire améri-
caine sur la Russie signifierait l'extermination des sommets
de l'appareil bureaucratique russe, la mainmise directe du
capital américain sur l'appareil de production et le proletariat
russe, maintenant la forme de la propriété « nationalisée »
comme la plus concentrée et la plus commode pour l'exploi-
tation, et accompagnée de l'intégration dans le système amé-
ricain de la grande majorité des bureaucrates économiques,
administratifs et syndicaux comme aussi des techniciens russes.
L'assimilation complète du capital et du prolétariat russe
par l'impérialisme yankee ne sera d'ailleurs possible qu'au
Prix d'adaptations internes de la structure économique des
U.S.A., qui la mettront définitivement sur la voie de l'étati-
sation complète.
La guerre sera donc de toute façon et quel qu'en soit le
vainqueur un tournant définitif dans l'évolution de la société
moderne. Elle accélèrera l'évolution de cette société vers la
barbarie, sauf si l'intervention des masses exploitées et massa-
crées du monde entier l'empêche d'aboutir, sauf si la révo-
lution prolétarienne mondiale envahit la scène historique
pour exterminer les exploiteurs et leurs agents et pour recons-
truire la vie sociale de l'humanité, en utilisant pour libérer
l'homme et lui permettre de créer lui-même son propre des-
tin., les richesses et les forces productives que la société
actuelle, après les avoir développées à un point inconnu aupa-
ravant, n'est capable d'emplover que comme instruments d'ex-
ploitation, d'oppression, de destruction et de misère. Le sort
de l'humanité et de la civilisation dépend directement de la
révolution.
22
II.
BUREAUCRATIE ET PROLETARIAT
Depuis le début de son histoire le capitalisme tend à faire
du prolétariat une simple matière brute de l'économie, un
rouage de ses machines. L'ouvrier est dans l'économie capi-
taliste un objet, une marchandise, et le capitaliste le traite
comme tel. Comme pour toute marchandise, le capitaliste
essaie d'acheter la force de travail le meilleur marché pos-
sible, car pour lui l'ouvrier n'est pas un homme devant vivre
sa" propre vie, mais une force de travail pouvant devenir
source de profit: Il tend par conséquent à féduire au minimum
. salaire de l'ouvrier, à lui faire les conditions de vie les
plus misérables. Comme pour toute marchandise, le capitaliste
essaie aussi d'extraire de l'ouvrier le maximum d'utilité, et
pour cela il lui impose la plus grande durée possible de la
journée de travail, le rythme le plus intense de production,
Mais le système capitaliste ne peut pas donner un cours
libre et illimité à sa tendance fondamentale vers l'exploi-
tation totale. D'abord, cette tendance est en contradiction
déjà avec l'objectif de la production. En effet, la réalisation
complète de l'objectif capitaliste, qui est l'exploitation illi-
mitée de la force de travail s'oppose à un autre objectif capł-
taliste également essentiel qui est l'augmentation de la pro-
ductivité. Si l'ouvrier est, même du point de vue économique,
plus qu'une machine, c'est parce qu'il produit pour le capi-
taliste plus qu'il ne coûte à celui-ci, et surtout parce qu'il
manifeste au cours de son travail la créativité, la capacité
de produire toujours plus et toujours mieux, que les autres
classes productives des périodes historiques antérieures ne
possédaient pas. Lorsque le capitaliste traite le proletariat
comme du bétail, il apprend rapidement et à ses dépens que
le bétail ne peut pas remplir la fonction de l'ouvrier, car
la productivité des ouvriers surexploités baisse rapidement.
C'est là la racine profonde des contradictions du système
anoderne d'exploitation et la raison historique de son échec,
de son incapacité à se stabiliser.
Mais aussi - et c'est encore plus important le système
capitaliste se heurte au prolétariat en tant que classe con-
sciente de ses intérêts. Ce fait, que dans l'économie capita
liste il' doit produire toujours plus et coûter toujours moins,
l'ouvrier en prend rapidement conscience; et dans la mesure
où il comprend également que le but de sa vie n'est pas d'être
purement et simplement une source de profit pour le capi-
taliste, de simple exploité il devient conscient de l'exploi-
tation et réagit contre celle-ci. Le régime capitaliste produisant
et reproduisant sur une échelle de plus en plus grande l'exploi-
tation, la lutte des ouvriers tend toujours à devenir lutte pour
l'abolition complète de l'exploitation et de ses conditions, qui
sont l'accaparement des moyens de production, du pouvoir
étatique et de la culture par une classe d'exploiteurs.
Cette lutte pour l'abolition de l'exploitation n'est pas spé-
cifique à la classe ouvrière; elle a existé depuis qu'il y a des
classes exploitées. Ce qui est propre à la lutte de la classe
ouvrière contre l'exploitation, c'est que d'une part elle se
roule dans un cadre qui lui permet la réalisation de son
cbjectif, car le développement extrême de la richesse sociale
et des forces productives, résultat de la civilisation indus-
trielle, permet maintenant positivement la construction d'une
société d'où soient absents les antagonismes économiques ;
d'autre part, que la classe ouvrière se trouve dans des condi-
tions qui lui permettent d'entreprendre et de mener avec suc-
cès cette lutte. Avec le prolétariat apparaît pour la première ·
fois une classe exploitée disposant d'une immense force sociale
et pouvant prendre conscience de sa situation et de ses intér
rêts historiques.
Vivant et produisant collectivement, les ouvriers passent
rapidement de la réaction individuelle à la réaction et à
l'action collectives contre l'exploitation capitaliste. Concentrés
par le développement du machinisme et la centralisation des
forces productives dans des usines, des villes et des agglo-
mérations industrielles de plus en plus importantes, vivant
et .produisant ensemble, ils arrivent très tôt à la conscience
de l'unité de leur classe opposée à l'unité de la classe des
exploiteurs. Sachant qu'ils sont les seuls véritables produc-
teurs, comprenant le rôle parasitaire des patrons, ils arrivent
à se donner comme but non seulement la limitation de l'ex-
ploitation, mais sa suppression totale et la reconstruction de
la société sur des bases communistes, d'une société qui sera
dirigée par les producteurs eux-mêmes et dans laquelle tous les
revenus proviendront du travail productif.
C'est ainsi que dès le début de son histoire, la classe
ouvrière tente des essais grandioses de suppression de la
société d'exploitation et de la constitution d'une société prolé-
tarienne, essais dont l'exemple le plus poussé a été pendant
lo xixe siècle la Commune de Paris. Ces essais aboutissent à
un échec, car les conditions de l'époque ne sont pas encore
mûres, car l'économie est insuffisamment développée, car le
prolétariat lui-même est encore numériquement faible et qu'il
n'a qu'une conscience vague des moyens qu'il doit employer
pour arriver à ses buts.
Cependant, après l'échec de ces premières tentatives, la
classe ouvrière s'organise pour parvenir à ses fins, dans des
organisations économiques (les syndicats) et politiques (les
partis cie la II: Internationale) orientés, tout au moins au
début, vers le même objectif, la suppression de la société de
classe et la construction d'une société prolétarienne.
Ces syndicats et ces partis, dans la période qui fut la
période de leur grand essor historique -- jusqu'à 1914 ont
accompli un immense travail positif. Ils ont fourni le cadre
dans lequel des millions d'ouvriers, devenus conscients de
leur classe et de leurs intérêts historiques ont pu s'organiser
et lutter. Ces luttes ont abouti à une amélioration conside-
rable des conditions de vie et de travail du prolétariat, à
l'éducation sociale et politique de grandes couches ouvrières,
à une conscience de la force décisive que représente le prolé-
tariat dans les sociétés modernes.
Mais en même temps, les syndicats et les partis de la
Ile Internationale, entraînés par le succès des réformes que
les luttes ouvrières arrachaient au patronat pendant cette
période d'essor juvénile de l'impérialisme, se laissaient aller
à une idéologie qui devenait de plus en plus une idéologie
réformiste. Les dirigeants voulaient faire croire à la classe
ouvrière qu'il était possible sans révolution violente et sans
grands frais, par une série infiniment prolongée de réformés,
d'arriver à la suppression de l'exploitation et à la transfor-
mation de la société. Ils cachaient ainsi le fait que le capi-
talisme s'approchait constamment de sa crise organique, qui
non seulement lui interdirait toute nouvelle concession, mais
l'obligerait à revenir sur celles qu'il avait déjà accordées.
L'idée d'une révolution prolétarienne comme moyen indis-
pensable pour mettre une fin à l'exploitation capitaliste sem-
blait devenir une utopie gratuite ou une vision de mystiques
sanguinaires.
Cette dégénérescence de la Ile Internationale ne fut évidem-
mnent pas le produit du hasard. Profitant de la surexploitation
cles colonies, l'impérialisme non seulement avait pu .concéder
des réformes, qui donnaient une apparence de justification
objective à la mystification réformiste, mais il avait pu cor-
rompre toute une aristocratie ouvrière, qui s'en trouvait
25
embourgeoisée. Mais surtout, pour la première fois, apparais-
sait une bureaucratie ouvrière, qui se détachait de la classe
exploitée et essayait de satisfaire ses aspirations propres. L'or-
ganisation de la classe ouvrière dans d'immenses organisations,
comptant des millions d'adhérents, payant des cotisations,
entretenant des appareils étendus et puissants, ayant besoin
de permanents pour être dirigés, créant des journaux, des
députés, des bureaux, aboutit à l'apparition d'une couche
étendue de bureaucrates politiques et syndicaux qui sortent
de l'aristocratie ouvrière et de l'intelligentsia petite bourgeoise
et qui commencent à trouver le compte de leurs intérêts non
plus dans la lutte pour la révolution prolétarienne, mais dans
la fonction de bergers des troupeaux ouvriers dans les prai-
ries de la « démocratie » capitaliste. Se transformant en inter-
médiaires entre le prolétariat en lutte et les patrons, les diri-
geants politiques et syndicaux commencent à se nourrir à
la mangeoire capitaliste. C'est ainsi que l'appareil créé par
la classe ouvrière pour son émancipation, auquel elle avait
délégué les fonctions dirigeantes, la responsabilité et l'ini-
tiative dans la défense de ses intérêts, devenait un instru-
ment des patrons au sein de la classe ouvrière pour la mys-
tifier et l'endormir.
Le réveil a été dur. Lorsque le capitalisme, poussé par son
évolution fatale, sauta les pieds joints dans le carnage uni-
versel de 1914, les ouvriers ne trouvèrent auprès de leurs
« dirigeants » que des députés de la bourgeoisie et des
ministres de l'Union Sacrée, qui leur enseignèrent qu'il fal-
lait se laisser massacrer pour la défense et l'a gloire de la
patrie capitaliste. La réaction ouvrière fut lente, mais d'autant
plus radicale. En 1917, les ouvriers et les paysans de la Rus-
sie, six mois après avoir renversé le régime tsariste, balayaient
à son tour le gouvernement social-patriote de Kerensky et
instauraient, sous l'égide du parti bolchevik, une démocratie
soviétique, la première république des exploités dans l'his-
toire de l'humanité. En 1918, les ouvriers, les soldats et les
marins de l'Allemagne renversaient le Kaiser et couvraient
le pays de milliers de Soviets. Quelques mois après, une répu-
blique soviétique naissait en Hongrie. En Finlande, le prolé-
tariat entrait en lutte pour son émancipation contre les
junkers et les capitalistes. En 1920, le prolétariat italien occu-
pait les usines. A Moscou, à Vienne, à Munich, à Berlin,
à Budapest, à Milan les bataillons prolétariens entraient au
combat décidés à la victoire. La révolution européenne parais-
26
sait près d'aboutir. Dans les autres pays, l'émotion fut im-
mense, et la solidarité militante des ouvriers français et
anglais fut le facteur principal qui empêcha Clemenceau et
Churchill d'écraser par l'intervention armée la République
Soviétique russe. L'avant-garde se détachait massivement des
partis réformistes et en 1919 était proclamée à Moscou la
fondation de la IIle Internationale, l'Internationale. Commu-
niste, qui appelait à la constitution de nouveaux partis révo-
lutionnaires, rompant résolument avec l'opportunisme et le
réformisme de la social-démocratie et devant conduire le
prolétariat à la révolution victorieuse.
Mais l'heure de la libération de l'humanité n'avait pas
encore sonné. Le régime capitaliste et son Etat étaient encore
suffisamment solides pour résister à l'assaut des masses. En
particulier, les partis de la lle Internationale ont pů jouer
avec succès leur rôle de gardiens de l'ordre capitaliste. L'em-
prise du réformisme sur la classe ouvrière, le poids des
couches intermédiaires et le rôle amortisseur de l'aristocratie
ouvrière ont été plus importants qu'on ne l'aurait cru.
Défaite en Europe, la révolution ne put se maintenir qu'en
Russie, pays immense mais extrêmement arriéré, où le prolé-
tariat ne formait qu'une petite minorité de la population.
Cette défaite de la révolution européenne entre 1918 et
1923, malgré l'importance pratique qu'ils lui accordèrent, les
révolutionnaires de l'époque la considérèrent en fin de compte
comme dépourvue de signification historique, convaincus
qu'elle était essentiellement dûe au manque de « directions
révolutionnaires » adéquates dans les pays européens, manque
qui allait être maintenant dépassé par la construction des
partis révolutionnaires de la llle Internationale. Ces partis,
appuyés par le pouvoir révolutionnaire .qui s'était maintenu .
en Russie, allaient pouvoir gagner la prochaine manche.
Cependant, le développement fut complètement différent:
Dans le pays de la révolution victorieuse, le pouvoir bol-
chevik a subi une rapide dégénérescence. On peut la
caractériser sommairement, en disant qu'elle amena l'ins-
tallation durable au pouvoir politique et économique
d'une bureaucratie toute puissante, formée des cadres du
parti bolchevik; des dirigeants de l'Etat et de l'économie,
des techniciens, des intellectuels et des militaires. Au fur et
à mesure de son accession au pouvoir cette bureaucratie trans-
formait les germes socialistes engendrés par la révolution
d'octobre 1917 en instruments du système d'exploitation et
27
d'oppression des masses le plus perfectionné qu'on avait
jamais connu. C'est ainsi qu'on en est arrivé à un régime
se qualifiant cyniquement de « socialiste », où, à côté de la
misère atroce des masses laborieuses, s'étale avec impudeur
la vie luxueuse des 10 ou 15 % de la population qui forment
lä bureaucratie exploiteuse, où des millions d'individus son
enfermés dans des camps de concentration et de travail forcé,
la police d'Etat - dont la Gestapo ne fut qu'une pâle
imitation exerce une terreur intégrale, où les « élections >>
et les autres manifestations « démocratiques » ne seraient que
des sinistres farces si elles n'étaient des expressions tra-
giques de la terreur, de l'abrutissement et de la dégradation
de l'homme sous la dictature la plus écrasante du monde
artuel. En même temps, on a vu les partis « communistes »
dans le reste du monde, à travers une série de zig-zags appa-
rents de leur politique, devenir les instruments dociles de la
politique étrangère de la bureaucratie russe, tâchant - par
tous les moyens et au détriment des intérêts des travailleurs
qui les suivent de l'aider dans sa lutte contre ses adver-
saires impérialistes et, lorsque l'occasion se présente, s'em-
parer du pouvoir dans leur pays pour y instaurer un régime
analogue au régime russe au profit de leur propre bureau-
cratic, comme ce fut le cas en Europe Centrale ei Sud-Orien-
tale et actuellement en Chine.
Comment en est-on arrivé là ? Comment le pouvoir sorti
de la première révolution prolétarienne victorieuse s'est-il
transformé en l'instrument le plus efficace de l'exploitation et
de l'oppression des masses ? Et comment se fait-il que les
partis de la 11Internationale, fondés pour, abolir l'exploi-
tation et instaurer sur la terre le pouvoir des ouvriers et des
paysans sont devenus les instruments d'une nouvelle forma-
tion sociale dont les intérêts sont tout aussi radicalement
hostiles au prolétariat que peuvent l'être ceux de la bour-
geoisie traditionnelle ? Voilà les questions que se posent avec
anxiété tous les ouvriers avancés, une fois qu'ils ont compris
que voir quoi que ce soit de « socialiste » dans la Russie
actuelle ne signifie que calomnier le socialisme.
La Révolution d'Octobre a succombé à la contre-révolution
lureaucratique sous la pression combinée de facteurs inté--
rieurs et extérieurs, de conditions objectives et subjectives, qui
se ramènent tous à cette idée fondamentale : entre la deu-
xième et la troisième décade de ce siècle, ni l'économie ni la
classe ouvrière n'étaient encore mûres pour l'abolition de l'ex-
28
lution, même victorieuse, isolée dans un seul pays, ne pouvait
qu'être. renversée; si ce n'était de l'extérieur, par l'interven-
tion armée des autres pays capitalistes ou par la guerre
civile, ce devait être de l'intérieur, par la transformation du
caractère niême du pouvoir issu d'elle.
La révolution prolétarienne ne peut aboutir à l'instauration
du, socialisme que si elle est mondiale. Ceci ne signifie pas
qu'elle doit être simultanée dans tous les pays du monde,
mais simplement que, commençant dans un ou plusieurs pays,
elle doit s'étendre constamment jusqu'à arriver à l'extermi-
nation du capitalisme sur l'ensemble du globe. Cette idée,
commune à Marx et à Lénine, à Trotsky et à Rosa Luxem-
bourg, n'est ni une hallucination de théoriciens, ni le résultat
de la manie du système. Le pouvoir ouvrier et le pouvoir
capitaliste sont incompatibles, aussi bien à l'intérieur d'un
pays que sur le plan international; s le premier ne l'emporte
pas sur le second internationalement, ce sera l'inverse qui se
produira, soit par le renversement ouvert de ce pouvoir et
son remplacement par un gouvernement capitaliste, soit par
le pourrissement intérieur et son évolution vers un régime
de classe reproduisant les traits fondamentaux de l'exploita-
tion capitaliste. Ce pourrissement fatal d'une révolution isolée
est déterminé avant tout par des facteurs économiques.
Le socialisme n'est pas un régime idéal imaginé par des
rêveurs bénévoles cu des réformateurs chimériques, mais une
perspective historique positivè dont la possibilité de réali-
sation se base sur le développement de la richesse dans la
société capitaliste. C'est parce que la société est arrivée à un
tel point de dévelcppement des forces productives qu'il est
pessible d'atténuer profondément d'abord, de supprimer rapi-
dement par la suite la lutte de tous contre tous pour la satis-
faction des besoins matériels, c'est à cause de ces possibilités
objectives que le socialisme n'est pas absurde. Mais ces pos-
sibilités n'existent que lorsque l'on envisage l'économie mon-
diale prise dans son ensemble. Un seul pays, aussi riche soit-
,il, ne saurait jamais procurer cette abondance à ses habitants,
même si localement le pouvoir capitaliste est aboli. La victoire
de la révolution dans un pays ne supprime pas ses ranports
avec l'économie mondiale et sa dépendance face à celle-ci.
Non seulement ce pays sera obligé à maintenir et à renforcer
sa défense militaire une des sources principales de cas-
pillage improductif dans le monde actuel - mais il sera
placé devant une impasse économique se traduisant ainsi : ou
29
1
bien, pour progresser économiquement, maintenir et appro-
fondir la spécialisation de sa production, ce qui signifie le
maintenir tributaire de l'économie capitaliste mondiale sous
tous les rapports et le soumettre indirectement mais tout aussi -
efficacement à ses lois et à son anarchie; ou bien s'orienter
vers l'autarcie en produisant même les produits qui sont pour ·
lui beaucoup plus coûteux que s'ils se les procurait par
l'échange, ce qui signifie un recul économique considérable.
Dans les deux cas, cette révolution isolée ne mènera ni vers
l'abondance nievers une atténuation des antagonismes écono-
miques entre les individus et les couches sociales, mais vers
une régression, vers la pauvreté sociale et l'accentuation de
la lutte de tous contre tous pour la satisfaction des besoins.
C'est ce qui est arrivé en Russie.
Cette lutte de tous contre tous pour la satisfaction des
besoins dans un régime de pauvreté et de rareté des biens a
pour premier résultat ineluctable que ceux qui se trouvent,
même temporairement, aux postes dirigeants, supérieurs ou
inférieurs, seront fatalement amenés à utiliser leurs préro-
gatives pour la satisfaction de leurs besoins avant et contre
celle de tous les autres. Cette évolution est indépendante de
la qualité ou de l' « honnêteté » de ces cadres dirigeants;
bons ou; mauvais, consciencieux ou malhonnêtes, ils agiront
en définitive de la même manière, poussés par la détermi-
nation économique. Pour résoudre leurs propres problèmes,
ils se stabiliseront au pouvoir, ils transformeront celui-ci en.
dictature de leur couche, ils aboliront toute trace de démo-
cratie dans la vie sociale, toute possibilité de critique contre
eux-mêmes ou leurs semblables. Une fois installés au pouvoir,
ils entreront dans la voie de toute classe dominante; ils
seront amenés à exploiter au maximum le prolétariat, à le
faire produire toujours davantage et coûter toujours moins,
sous la double poussée de la satisfaction de leurs besoins et
de la consolidation de leur Etat face à l'étranger. L'exploita-
tion toujours accrue du prolétariat entraîne nécessairement
son corollaire dans le renforcement de la dictature et de la
terreur, et ainsi de suite. Ceci encore une fois n'est qu'une
description en termes généraux de ce que fut le processus
réel de la clégénérescence de la révolution en Russie.
Mais cette constatation, selon laquelle le socialisme est
impossible en-dessous d'un certain degré de développement
des richesses, pour fondamentale qu'elle soit, est néanmoins
partielle et peut conduire à des conclusions totalement erro-
nées, dont la première serait qu'il est par définition impos-
30
sible d'instaurer' jamais un régime collectiviste. En effet, il
est certain d'avance que jamais la société capitaliste ne
développera 'les forces productives au point nécessaire pour
passer immédiatement et directement d'une économie de pénu-
rie à une économie d'abondance. Comme Marx l'avait dé
vu, entre la société capitaliste et la société communiste se
situe une période de transition, pendant laquelle la forme du
régime ne peut être autre que la dictature du proletariat.
Cette période de transition peut conduire au communisme si
elle provoque un développement rapide des forces produc-
tives, permettant d'une part un relèvement constant du niveau
de vie matériel des masses, d'autre part une réduction pro-
gressive des heures de travail et par là un relèvement de
leur niveau culturel. La révolution mondiale peut accomplir
ces objectifs par la suppression du parasitisme des classes
exploiteuses et de leurs instruments étatiques bureaucratiques,
par la suppression des dépenses militaires, par le dévelop-
pement de l'économie débarrassée des obstacles de la pro-
priété privée et du cloisonnement national, par la rationali-
sation et la planification de la production à l'échelle mon-
diale, par le développement des pays retardataires, et surtout
par l'épanouissement de la productivité du travail, humain
libéré de l'exploitation, de l'aliénation et de l'abrutissement
capitaliste ou bureaucratique.
Il est donc clair que pendant cette période de transition
qui se situe entre le renversement des classes dominantes et
la réalisation d'une économie communiste, deux évolutions
sont possibles : ou bien la société ira de l'avant en affer-
missant graduellement les tendances communistes de l'éco-
nomie et aboutissant à une société d'abondance, ou bien la
lutte de tous contre tous amènera le développement inverse,
l'accroissement des couches parasitaires d'abord, d'une classe
exploiteuse ensuite, et l'instauration d'une économie d'exploi-
tation reproduisant sous une autre forme l'essentiel de l'alié-
nation capitaliste. Les deux possibilités existent, également
fondées sur l'état de l'économie et de la société telles que
les laisse le capitalisme. Mais la réalisation de l'une de ces
possibilités et la suppression de l'autre ne dépend ni du
hasard, ni de facteurs inconnus et mystérieux ; elle dépend
de l'activité et de l'initiative autonome des masses travail-
leuses. Si, pendant cette période, le prolétariat, à la tête de
toutes les classes exploitées de l'a société, est capable d'assu-
mer collectivement la direction de l'économie et de l'Etat,
sans la déléguer à des « spécialistes », des techniciens, des
3)
« révolutionnaires professionnels » et autres sauveurs inté-
ressés de l'humanité; s'il se montre apte à gérer la production
et les affaires publiques, à contrôler activement toutes les
branches de l'activité sociale, il est certain que la société
pourra marcher vers le communisme sans obstacles. Dans le
cas contraire, la rechute vers une société d'exploitation est
inéluctable.
La question qui se trouve donc posée le lendemain d'une
révolution victorieuse est celle-ci : qui sera le maître de la
société débarrassée des capitalistes et de leurs instruments ?
La structure du pouvoir, la forme du régime politique, les
rapports du prolétariat avec sa propre direction, la gestion
cie la production et le régime dans les usines ne sont que les
aspects particuliers de ce problème.
.
Or, en Russie, ce problème a été résolu très rapidement
par l'accession au pouvoir d'une nouvelle couche exploiteuse :
la bureaucratie. Entre mars et octobre 1917. les masses en
lutte avaient créé les organismes qui exprimaient leurs aspi-
rations et qui devraient exprimer leur pouvoir : les Soviets.
Ces organismes entrèrent immédiatement en conflit avec le
gouvernement provisoire, instrument des capitalistes. Le parti
bolchevik, seul partisan du renversement du gouvernement et
de la paix immédiate, conquérait au bout de six mois la
majorité des Soviets et les conduisait à l'insurrection victo-
rieuse. Mais le résultat de cette insurrection fut l'installation
durable au pouvoir de ce parti, et, à travers celui-ci et au
fur et à mesure qu'il dégénérait, de la bureaucratie.
En effet, une fois l'insurrection achevée, le parti bolchevik
montra qu'il concevait le gouvernement ouvrier comme son
propre gouvernement, et le mot d'ordre * tout le pouvoir aux
Soviets » s'est trouvé signifier « tout le pouvoir au parti
bolchevik». Rapidement, les Soviets furent réduits au rôle
d'organes d'administration locale; on ne leur laissait une
autonomie relative qu'en fonction des nécessités de la guerre
civile - car la forme dispersée que la guerre civile a prise
en Russie rendait souvent l'action du gouvernement central
inadéquate ou tout simplement impossible. Mais cette auto-
nomie toute relative était absolument provisoire. Une fois la
situation normale rétablie, les Soviets devaient retomber à
leur fonction d'exécutants locaux, obligés de réaliser doci-
lement les directives du pouvoir central et du parti qui y
était installé. Les organes soviétiques subirent ainsi une atro-
phie progressive, et l'opposition grandissante entre les masses
32
et le nouveau gouvernement ne trouva pas un canal organisé
pour s'exprimer. Ainsi, même dans les cas où cette opposition
a pris une forme violente, allant parfois jusqu'au conflit
armé (grèves de Pétrograd en 1920-21, insurrection de Kron-
stadt, mouvement de Maknno) la masse s'opposa au parti
en tant que masse inorganisée et très peu sous la forme
soviétique.
Pourquoi cette opposition d'abord, pourquoi l'atrophie, des
organes soviétiques ensuite ? Les deux questions sont étroi-
tement liées, et la réponse est la même.
Déjà longtemps avant qu'il ne prenne le pouvoir, le parti
bolchevik contenait en son sein les germes d'une évolution
qui pouvait le conduire à une opposition complète avec la
masse des ouvriers. Partant de la conception exprimée par
Lénine dans le « Que Faire », selon laquelle c'est le parti seul
qui possède une conscience révolutionnaire qu'il inculque aux
masses ouvrières, il était construit sur l'idée que ces inasses
par elles-mêmes ne pouvaient jamais arriver qu'à des positions
trade-unionistes. Nécessairement formé sous la clandestiné
stariste comme un rigide appareil de cadres, sélection-
nant l'avant-garde des ouvriers et des intellectuels, le parti
avait éduqué ses militants aussi bien dans l'idée d'une disci-
pline stricte, que dans le sentiment d'avoir raison envers et
contre tous. Une fois installé au pouvoir il s'est complè-
tement identifié avec la Révolution. Ses opposants, à quelque
tendance qu'ils appartiennent, de quelque idéologie qu'ils se
réclament; ne peuvent être dès lors pour lui que des « agents
de la contre-révolution ». D'où très rapidement l'exclusion
des autres partis des Soviets et leur mise en illégalité. Que.
ces mesures aient été le plus souvent inéluctables, personne
ne le contestera; il n'en reste pas moins que la « vie poli-
tique » dans les Soviets se réduisait désormais à un mond-
logue ou à une série de monologues des représentants bol-
cheviks, et que les autres ouvriers, même s'ils étaient portés
å s'opposer à la politique du parti, ne pouvaient ni s'orga-
niser pour le faire ni le faire efficacement sans organisation.
Ainsi le parti exerça très rapidement tout le pouvoir, même
aux échelons les plus secondaires. Dans tout le pays, ce
ce n'était qu'à travers le parti que l'on accédait aux postes
de commande. Le résultat rapide en fut que d'une part, les
gens du parti, se sachant incontrôlés et incontrôlables, com-
mencèrent à à « réaliser le socialisme » pour eux-mêmes,
c'est-à-dire à résoudre leurs propres problèmes en se créant
des privilèges, et d'autre part que tous ceux qui dans le pays
33
et dans le cadre de la nouvelle organisation sociale avaient
des privilèges, entrèrent en masse dans le parti pour les
défendre. Ainsi le parti se transforma rapidement d'instru-
ment des classes laborieuses en instrument d'une nouvelle
couche privilégiée qu'il secrétait lui-même par tous ses pores.
Face à cette évolution, la réaction ouvrière fut très lente.
Elle fut surtout mince et fragmentée. Et c'est ici que l'on
touche au owur du problème. Si la nouvelle dualité entre les
Soviets et le parti a été rapidement résolue en faveur du
parti, si même la classe ouvrière aida activement à cette évo-
lution, si ses militants les meilleurs, ses enfants les plus
dévoués et les plus conscients ont senti le besoin de soutenir
à fond et sans restriction le parti bolchevik, même lorsque
celui-ci se trouva s'opposer aux manifestations de la volonté
de la classe, c'est parce que la classé dans son ensemble, et
de toute façon son avant-garde, concevait encore le problème
de sa direction historique d'une manière qui pour avoir é
nécessaire à ce stade n'en était pas moins fausse. Oubliant
qu'« il n'est pas de sauveur suprême ni Dieu ni César ni
tribun », la classe ouvrière voyait dans ses propres tribuns,
dans son propre parti la solution du problème de sa direc-
tion. Elle croyait qu'ayant aboli le pouvoir des capitalistes
elle n'avait plus qu'à confier la direction à ce parti, auquel
elle avait donné le meilleur d'elle-même, et que ce parti
ri'agirait que dans ses intérêts. C'est ce qu'il fit en effet et
plus longtemps que l'on ne pouvait raisonnablement s'y
attendre. Non seulement il se trouva le seul constamment aux
côtés des ouvriers et des paysans de février en octobre 1917,
non seulement il se trouva le seul au moment critique à
exprimer leurs intérêts, mais il fut aussi l'organe indispen-
sable pour l'écrasement définitif des capitalistes, celui à qui
on est redevable de l'issue victorieuse de la guerre civile.
Mais déjà en jouant ce rôle, il se détachait petit à petit de
la masse, et il devenait une fin en soi, pour arriver en défi-
nitive à être l'instrument et le cadre de tous les privilégiés du
nouveau régime.
Mais dans la naissance de cette nouvelle couche de privi-
légiés il faut distinguer l'aspect politique qui n'en fut .que
l'expression et les racines économiques infiniment plus impor-
tantes. En effet, diriger une société moderne, dans laquelle
la plus grande part de la production et surtout la part quali-
tativement décisive est celle qui procède des usines, signifie
avant tout diriger effectivement les usines. C'est de celles-ci
34
que dépendent l'orientation et le volume de la production,
le niveau des salaires, le rythme de travail, en un mot toutes
les questions dont la solution détermine d'avance l'évolution
de la structure sociale. Ces questions ne seront résolues dans
le sens des intérêts des travailleurs que si ce sont les travail-
leurs eux-mêmes qui les résolvent. Mais pour cela il est néces-
saire que le prolétariat en tant que classe soit avant toute
autre chose le maître de l'économie, aussi bien à l'échelon de
la direction générale qu'à l'échelon particulier de chaque usine
deux aspects de la même chose. Ce facteur de la direction
de la production est d'autant plus important que l'évolution
de l'économie tend de plus en plus à substituer la division et
l'opposition des dirigeants et des exécutants dans la produc-
tion à la distinction traditionnelle des propriétaires et des
dépossédés. C'est dire que si le prolétariat n'abolit pas immé-
diatement, et en même temps que la propriété privée des
moyens de production, la direction de la production en tant
que fonction spécifique exercée d'une manière permanente par
une couche sociale, il ne fera que nettoyer le terrain pour
l'avènement d'une nouvelle couche exploiteuse, surgissant des
in directeurs » de la production, de la bureaucratie économique
et politique en général. Or c'est exactement ce qui s'est pro-
duit en Russie. Après avoir renversé le gouvernement bour-
geois, après avoir exproprié souvent malgré et contre la
volonté du gouvernement bolchevik -- les capitalistes, après
avoir occupé les usines, les ouvriers ont cru qu'il était tout
naturel d'en laisser la gestion au gouvernement, au parti bol-
chevik et aux dirigeants syndicaux. De cette manière le pro-
létariat abandonnait lui-même son rôle principal dans la nou-
velle société qu'il voulait créer. Ce rôle devait fatalement être
joué par d'autres. Ce fut le parti bolchevik au pouvoir qui
a servi de noyau de cristalisation et de couverture protectrice
aux nouveaux « patrons » qui surgissaient petit à petit dans
'les usines sous forme de dirigeants, de spécialistes et de těch-
niciens. Ceci d'autant plus naturellement que le programme
du parti bolchevik laissait ouverte, pour ne pas dire encoura-
geait la possibilité d'une telle évolution.
Les mesures que proposait le parti bolchevik sur le plan
économique et qui par la suite ont formé un des points
essentiels du programme de la IIle Internationale consis-
taient d'une part à des mesures d'expropriation des grands
trusts capitalistes et de cartellisation obligatoire des autres
entreprises et d'autre part, sur le point essentiel, les rapports
des ouvriers -avec l'appareil de production, au mot d'ordre
35
du « contrôle ouvrier ». Ce mot d'ordre s'appuyait sur la
soi-disante incapacité des ouvriers à passer directement à la
gestion de la production déjà au niveau des entreprises et
surtout à l'échelon de la direction centrale de l'économie. Ce
« contrôle » devait de plus remplir une fonction éducative,
permettant pendant cette période transitoire aux ouvriers d'ap
prendre à gérer auprès des ex-patrons, des techniciens et des
« spécialistes » de la production.
Cependant, le « contrôle », fut-il « ouvrier », de la produc-
tion, ne résout pas le problème de la direction réelle de cette
production; au contraire il implique précisément que pen-
dant toute cette période, le problème de la gestion effective
de la production doit être résolu d'une autre manière. Dire
que les ouvriers « contrôlent » la production suppose que ce
ne sont pas eux qui la gèrent, et on fait précisément appel au
contrôle des ouvriers parce qu'on n'a pas pleine confiance
vis-à-vis de ceux qui effectivement gèrent. Il y a donc une
opposition d'intérêts fondamentale, quoiqu'au début latente,
entre les ouvriers qui « contrôlent » et les gens qui effecti-
vement gèrent la production. Cette opposition crée l'équiva-
lent d'une dualité de pouvoir économique au niveau même
de la production, et comme toute dualité de ce genre, elle
doit être rapidement résolue; ou bien les ouvriers passeront
à bref délai à la gestion totale de la production, en résor-
bant les « spécialistes », techniciens, administrateurs qui
étaient apparus, ou bien ces derniers rejetteront en définitive
un « contrôle » gênant qui deviendra de plus en plus une
pure forme, et s'installeront en maîtres absolus dans la direc-
tion de la production. Moins encore que l'Etat, l'économie
n’admet une double commande. Le plus fort des partenaires
éliminera rapidement l'autre. C'est pour cela que le contrôle
cuvrier qui a une signification positive pendant la période
qui précède l'expropriation des capitalistes, en tant que mot
d'ordre qui implique l'irruption des ouvriers dans les locaux
de commande de l'économie ne peut que céder rapidement la
place dès le lendemain de l'expropriation des capitalistes, à
la gestion complète de l'économie par les travailleurs, sous
peine de devenir un simple paravent protégeant les premiers
pas d'une bureaucratie naissante.
Nous savons maintenant qu'en Russie le contrôle ouvrier
n'a eu en définitive que ce dernier résiltat et que le conflit
entre les masses des travailleurs et la bursaucratie grandis-
sante s'est résolu au profit de celle-ci Les techniciens et « spé-
cialistes » de l'Ancien Régime, maintenus pour remplir les
30
tâches « techniques », se sont fondus avec la nouvelle couche
des administrateurs sortis des rangs des syndicats et du Parti
et ont revendiqué pour eux-mêmes le pouvoir sans contrôle; la
fonction « pédagogique » du contrôle ouvrier a joué en plein
pour eux, et pas du tout pour la classe ouvrière. C'est ainsi
que les fondements économiques de la nouvelle bureaucratie
ont été posés.
La suite du développement de la bureaucratie offre peu de
mystère. Ayant d'abord définitivement enchaîné le proléta-
riat, la bureaucratie a pu facilement se tourner contre les
éléments privilégiés de la ville et de la campagne (Koulaks,
nepman) dont les' privilèges se basaient sur une exploitation
du type bourgeois traditionnel. L'extermination de ces restes
des anciennes couches privilégiées fut pour la bureaucratie
russe d'autant plus facile, que celle-ci disposait dans cette
lutte d'autant et de plus d'avantages qu'un trust dans sa lutte
contre des petits entrepreneurs isolés. Porteur du mouvement
naturel de l'économie moderne vers la concentration des
forces productives, la bureaucratie est rapidement venue à
bout de la résistance du petit patron et du gros paysan, qui
déjà dans les régimes capitalistes sont irrémédiablement con-
damnés à la disparition. De même que l'économie elle-même
interdit un retour vers la féodalité après une révolution bour-
geoise, de même un retour vers les formes traditionnelles,
fragmentées et anarchiques du capitalisme était exclu en Rus-:
sie. La rechute vers un régime d'exploitation, résultat de la"
dégénérescence de la révolution ne pouvait s'exprimer que
d'une manière nouvelle, par l'installation au pouvoir d'une"
couche exprimant les nouvelles structures économiques, impo-
sées par le mouvement naturel de la concentration.
C'est ainsi que la bureaucratie passa à l'étatisation com-
plète de la production et à la « planification », c'est-à-dire à
l'organisation systématique de l'exploitation de l'économie et
du prolétariat. Elle a ainsi pu développer considérablement
la production russe, développement qui lui était imposé aussi
bien par le besoin d'accroître sa propre consommation impro-
ductive que surtout par les nécessités d'expansion de son
potentiel militaire.
La signification de cette « planification » pour le proléta=*
riat russe apparaît en clair lorsqu'on voit que le salaire réel
de l'ouvrier russe, qui en 1928. était encore de 10 % supérieur"
à 1913 (résultat de la Révolution d'octobre) s'est par la suite
trouvé réduit. jusqu'à la moitié de son niveau d'avant la
37
Révolution et se situe actuellement encore plus bas. Ce déve-
loppement de la production lui-même est d'ailleurs, de plus
en plus freiné par les contradictions du régime bureaucratique,
et en premier lieu par la baisse de la productivité du travail,
résultat direct de la surexploitation bureaucratique.
Parallèlement à la consolidation du pouvoir de la bureau-
cratie en Russie, les partis de la llle Internationale dans le
Teste du monde, suivant une évolution symétrique, se déta-
chaient complètement de la classe ouvrière et perdaient tout
caractère révolutionnaire. Subissant simultanément la double
pression de la société capitaliste décadente et de l'appareil
central de la Ille Internationale de plus en plus domestiqué
par la bureaucratie russe, ils se transformaient graduellement
en instruments à la fois de la politique étrangère de la bureau-
cratie russe et des intérêts de couches étendues de la bureau-
cratie syndicale et politique «ouvrière » de leurs pays res-
pectifs, que la crise et la décadence du régime capitaliste déta-
chait de celui-ci et de ses représentants réformistes tradition-
nels. Ces couches, de même qu'une partie de plus en plus
importante des techniciens des pays bourgeois, étaient petit à
petit amenés à voir dans le régime du capitalisme bureaucra-
tique réalisé en Russie l'expression la plus parfaite de leurs
intérêts et de leurs aspirations. Le point culminant de cette
évolution fut atteint vers la fin de la deuxième guerre mon-
diate, moment où ces partis, profitant de l'écroulement de pans
entiers du régime bourgeois en Europe, des conditions de la
guerre et de l'appui de la bureaucratie russe purent s'installer
solidement au pouvoir dans une série de pays européens et y
réaliser un régime taillé sur le modèle russe.
Ainsi le stalinisme mondial, tel qu'il groupe aujourd'hui les
couches dominantes de la Russie et de ses pays satellites et
les cadres des partis « communistes » dans les autres pays, est
le point de rencontre de l'évolution de l'économie capitaliste,
de la désagrégation de la société traditionnelle et du déve-
loppement politique du mouvement ouvrier. Du point de vue
de l'économie, le bureaucratisme stalinien exprime le fait
que la continuation de la production dans le cadre périmé de
fa propriété bourgeoise devient de plus en plus impossible, et
que l'exploitation du proletariat peut s'organiser infiniment
mieux dans le cadre d'une économie « nationalisée » et « pla-
nifiée ». Du point de vue social, le stalinisme traduit les inté-
têts de couches nées à la fois de la concentration du capital
et du travail et de la désagrégation des formes sociales tradi-
tionnelles. Dans la production il tend à grouper d'une part le
techniciens et les bureaucrates' économiques et administratifs,
d'autre part les organisateurs.gérants de la force du travail
c'est-à-dire les cadres syndicaux et politiques « ouvriers ».
Hors de la production, il exerce une attraction irrésistible sur
les petits bourgeois lumpénisés et déclassés et sur les intellec-
tuels « radicalisés », qui ne peuvent se reclasser socialement
qu'à la faveur à la fois du renversement de l'ancien régime qui
ne leur offre pas de perspective collective et de l'installation
d'un nouveau régime de privilèges. Enfin, du point de vue du
mouvement ouvrier, les partis staliniens, dans tous les pays,
avant qu'ils ne prennent le pouvoir, expriment cette phase du
développement pendant laquelle le prolétariat, comprenant
parfaitement la nécessité de renverser le régime capitaliste
d'exploitation, confie sans contrôle cette tâche à un parti qu'il
considère comme « sien », aussi bien pour la direction de la
lutte contre le capitalisme que pour la gestion de la nouvelle
société.
Mais le mouvement ouvrier ne s'arrête pas là.
Cette nature de la bureaucratie stalinienne en tant que cou-
che exploiteuse est perçue de plus en plus. instinctivement
d'abord, consciemment par la suite, par un nombre croissant
d'ouvriers d'avant-garde. Malgré l'absence compréhensible