TOUS LES LECTEURS DE LA REVUE
sont fraternellement invités par notre Groupe
à la
REUNION PUBLIQUE
organisée le
Vendredi 4 Novembre, à 20 h. 30
au Palais de la Mutualité
(Métro : Maubert-Mutualité)
*
L'ordre du jour de la réunion comporte la
discussion des numéros 3 et 4 de la Revue, les
critiques exprimées par les lecteurs et leurs sug-
gestions pour les numéros suivants.
La salle de la réunion sera affichée au tableau.
La première réunion du cycle de conférences
sur l'oeuvre de Lénine, et auxquelles tous les lec-
teurs sont invités aura lieu le
11 NOVEMBRE 1949, à 20 h. 30
au Palais de la Mutualité
mon
mmmm
SOCIALISME OU BARBARIE
LES KOLKHOZ PENDANT LA GUERRE
Cet article, écrit par un camarade de langue allemande de la IVe Interna-
tionale, avait été envoyé au Secrélariat International de celle-ci il y a
un an.
Comme il n'a pas été publié à ce jour dans la presse trotskiste et
étant donné son contenu, il ne semble pas qu'il le sera et comme il
pré-'
sente un intérêt non négligeable, nous croyons de notre devoir de le
faire
connaitre.
L'intérêt de l'article ne se trouve pas seulement dans sa documentation
abondante, mais surtout dans la capacité de son auteur de déceler
l'aspect fon-
damental de l'économie kolkhozienne bureaucratique, c'est-à-dire le
caractère
capitaliste d'état de ces exploitations, et la prédominance du pouvoir
étatique
central sur les tendances « individualistes » des paysans. En revanche,
l'auteur
reste sur quelques points prisonnier de la conception trots kiste
traditionnelle.
Ceci est vrai en particulier, d'une part, pour ce qui concerne l'analyse
des
« tendances individualistes des paysans » et la « tendance de la
bureaucratie
yers l'appropriation privée », d'autre part, pour l'idée vague qu'il se
fait de
la bureaucratie en tant que formation sociale et pour l'utilisation du
concept
dépourvu de sens de propriété collective ». La position de notre groupe
sur
ces points est exprimée dans l'article de P. Chaulieu publié dans le
présent
numéro.
L'agriculture de l'Union Soviétique a souffert, comme il est
bien connu, très sévèrement des suites de la guerre totale,
beaucoup plus sévèrement que celle des pays voisins de l'Eu-
rope centrale. Ce n'est pas seulement que sur le territoire
soviétique, les opérations militaires proprement dites ont du
beaucoup plus longtemps et que les dévastations faites par
l'Armée allemande furent beaucoup plus étendues et systé-
matiques, mais aussi sa structure plus compliquée rendait
l'agriculture soviétique moderne plus vulnérable que celle,
techniquement arriérée et pour une très grande partie repo-
sant sur la petite exploitation paysanne, des pays voisins.
Il suffit seulement de rappeler la mécanisation si forte de
l'agriculture soviétique et ce qui s'en suivait -- sa dépen-
dance de l'industrie des tracteurs, etc... La destruction étendue
de sa base technique ne pouvait que la toucher très durement
et conduire à un recul très important de la productivité du
travail agricole; par là même et simultanément, les tendances
centrifuges dans le village soviétique ont été puissamment
3
favorisées. Car qu'est-ce que pouvaient faire d'autre les
paysans de ces kolkhoz dans le domaine desquels la plus
grande partie des tracteurs agricoles, des autos, etc... avaient
été détruits ou enlevés et où même, le plus souvent, les che-
vaux de trait ont été perdus, que pouvaient-ils faire, sinon
de retourner vers les vieilles méthodes primitives de travail
et consacrer leur force de travail avant tout à leurs petites
« parcelles individuelles » (priusadebnuyje, utschastki) et à
la culture privée de pommes de terre, de produits de jardi.
nage, etc... ?
Ceci est en tout cas pleinement valable seulement pour ces
territoires de l'Union Soviétique en réalité extrêmement
étendus qui durant la guerre étaient devenus le théâtre
immédiat des opérations militaires et qui aussi avaient é
temporairement occupés par les Allemands. Le système éco-
nomique collectiviste dans la Russie non occupée a tenu bon
malgré tout; il s'est démontré extrêmement solide et contri-
bua d'une manière décisive à la victoire de l'Union Sovié.
tique. Néanmoins, sous la pression de la guerre, ioi aussi des
fêlures considérables et des « formes rétrogrades >> spécifiques
se firent jour, L'industrie mécanique dirigée avant tout vers
la production d'engins de guerre ne pouvait naturellement
ni remplacer les tracteurs, autos, faucheuses, etc... hors
d'usage, ni fournir les pièces de rechange nécessaires (1); tout
autant l'industrie chimique n'était pas à même d'offrir au
village des quantités suffisantes d'engrais, cependant que les
moyens de transport, utilisés au delà de toute limite, ne pou-
assurer normalement l'approvisionnement des
kolkhoz en essence, etc... A toutes ces causes vint s'ajouter
le fait que le village était dans la plupart des cas dépouillé
des forces de travail masculines et que précisément les forces
de travail qualifié les plus importantes (conducteurs de trac-
teurs, etc.) étaient mobilisées pour l'armée. Cependant l'Etat
devait simultanément, pour pourvoir aux besoins en matériel
humain d'une armée gigantesque et d'une industrie étendue,
demander au village malgré la chute importante des ren.
dements non pas moins, mais beaucoup plus de céréales,
Mais plus l'Etat prenait, moins il en restait pour les paysans
eux-mêmes et moindre devenait naturellement le salaire en
nature pour les journées de travail qu'ils avaient fourni au
vaient pas
1
(1) Au contraire : comme on apprend par un article publié dans la Revue
Bolchevik (n° 4 de 1946, p. 29), « pendant la guerre on a dû prendre à
l'agriculture, pour les besoins de l'Armée Rouge, une partie importante
des
tracteurs et des véhicules lourds ». Ainsi «le nombre des tracteurs dans
les
kolkhoz des territoires non occupés a baissé de 32 %, celui des autos
de 80 %),
4
kolkhoz. Tous ces facteurs poussèrent les familles de paysans
kolkhoziens à se consacrer encore plus que par le passé à la
culture de leurs parcelles individuelles pour compenser ainsi
la chute de leurs revenus de kolkhoz. A ceci s'ajoute encore
que la montée constante des prix de tous les produits agri.
coles sur le marché noir a fait apparaître cette petite pro-
duction privée des paysans - les produits de jardinage, l'éle-
vage du petit bétail et de la volaille comme de plus en
plus rémunératrice.
Mais il y avait plus. Les tendances centrifuges au village
ont été aussi encouragées par la politique des autorités locales
du Parti et de l'Etat, qui se sont adjugé durant la guerre des
étendues considérables de la terre appartenant aux kolkhoz
pour établir là-dessus des exploitations « de secours » propres,
cultivées naturellement par le travail forcé des paysans
kolkhoziens, qui devaient servir à l'entretien supplémentaire
de la technocratie et de la bureaucratie locales et étaient
évidemment par là soustraites à l'impôt en nature normal de
l'Etat. Et finalement les autorités kolkhoziennes proprement
dites ont aussi contribué par leurs méthodes à ébranler la
discipline du travail dans les kolkhoz et à laisser apparaître
l'appartenance au kolkhoz de plus en plus comme un joug
pesant. Rien d'étonnant si la productivité du travail kolkho-
zien s'abaissa constamment, cependant que la culture des
petites parcelles individuelles des paysans prenait une impor-
tance de plus en plus grande,
Il est clair que, aussi longtemps que la guerre durait, le
Gouvernement Soviétique ne pouvait pas s'opposer sérieuse-
ment à ce processus spontané d'extension du secteur « privé >>
dans le village kolkhozien. Dans ces circonstances il ne lui
restait pas d'autre issue que
de
encore la vis, par
l'élévation du minimum de travail légalement déterminé en
1939, de la prestation de travail des paysans sur le territoire
du kolkhoz dans la mesure de possible et ainsi de se garantir
le quantum nécessaire de prestations en nature de la part des
kolkhoz. Mais depuis la fin de la guerre le problème se pose
de la manière suivante : Tout dépend de la rapidité avec
laquelle l'Etat Soviétique peut de nouveau équiper son parc
de machines agricoles et renouveler son bétait agricole. «Il
accomplira cette tâche rapidement », écrivait (d'une manière
trop optimiste) l'Economist de Londres en 1944, « s'il importe
les tracteurs, les autos et le bétail de l'étranger - par contre,
il l'accomplira lentement si pendant la reconstruction de la
colonne vertébrale du système économique collectiviste il ne
veut s'appuyer que sur les forces russes. S'il se décidait pour
serrer
>
5
la deuxième voie, alors l'agriculture russe rencontrera presque
certainement dans les années d'après-guerre des difficultés
considérables... », cependant que « la stagnation sera vraisen-
blablement accompagnée d'un réveil partiel des tendances
ndividualistes dans le village.
LA LOI SUR LES KOLKHOZ DU 19 SEPTEMBRE 1946
Combien ce pronostic était juste, fut démontré déjà deux
ans plus tard, lorsque le Gouvernement soviétique sous la
pression de difficultés économiques et politiques considé-
rables (la récolte catastrophique de 1946, la croissance des
tensions politiques intérieures et extérieures) s'est vu obligé,
par la décision du Conseil des Ministres du 19 septembre 1946,
de déclancher à nouveau la lutte contre les tendances écono-
miques privées dans le village soviétique, qui s'étaient ren-
forcées. Voilà en bref le contenu de cette loi hautement signi-
ficative :
Le Conseil des Ministres de l'Union Soviétique et le Comi
Central du Parti Communiste constatent, dans l'exposé des
motifs de la loi, l'existence de défauts sérieux « qui sont
extrêmement nuisibles à la cause des kolkhoz et apparaissent
comme extrêmement dangereux pour l'ensemble de la cons-
truction socialiste de notre pays ». Ces crimes consistent :
1° dans le calcul et la dépense incorrecte des « journées de
travail » (trudodni) dans les kolkhoz; 2° dans l'usurpation
des terres communes des kolkhoz; 3° dans l'appropriation
arbitraire du patrimoine des kolkhoz; et 4° dans la non prise
en considération des « fondements démocratiques » de l'ad-
ministration des kolkhoz.
On développe ainsi les points particuliers :
1. On mentionne avant tout le gonflement anormal et dis-
proportionnel du personnel administratif et la dépense trop
grande de journées de travail et d'argent pour des buts admi-
nistratifs. Il s'ensuit que dans plusieurs kolkhoz il manque
des travailleurs de campagne, cependant que l'on trouve dans
l'administration beaucoup de gens qui n'ont rien à faire qui
reçoivent malgré cela un traitement supérieur à celui des
ouvriers productifs. Même les travaux spécifiques, faits par
des paysans kolkhoziens pour les différentes administrations
locales (ainsi par exemple des réparations de bâtiments et de
maisons d'habitation, la coupe de bois destiné au chauffage,
des travaux de transport, etc.) sont comptés comme journées
6
de travail et imputés au kolkhoz lui-même. Et finalement
même les coiffeurs, tailleurs, cordonniers et autres artisans
sont, à proportion de leurs journées de travail, à charge du
fonds commun du kolkhoz, tandis qu'ils devraient être payés
individuellement par leurs clients pour le travail qu'ils font.
Tout ceci conduit « à la dépréciation de la journée de travail,
à la diminution des ressources qui doivent être réparties selon
le nombre de journées de travail et, conséquemment, à la
diminution de l'intérêt que portent les paysans au travail
kolkhozien »
2. Malgré la loi du 27 mai 1939 (2), l'appropriation arbi-
traire des terres d'exploitation communes du kolkhoz est
devenue de nouveau un phénomène répandu à une large
échelle. Les parcelles d'exploitation individuelle sont petit à
petit « arrondies », avec ou sans le consentement des autorités
kolkhoziennes, -- mais aussi, d'un autre côté, les terres kol.
khoziennes sont laissées aux différentes administrations et
organisations pour l'établissement d'exploitations dites « de
secours » (3). Les deux phénomènes mènent à la diminution
du fonds de terres des kolkhoz, minent l'exploitation com-
mne du sol et par là nuisent aux intérêts de l'économie et
de l'Etat.
3. Tout autant nuisibles s'avèrent différents abus de la
part des fonctionnaires de l'Etat et du Parti en tant qu'indi-
vidus, qui se font livrer par les kolkhoz sans payer ou contre
un paiement nominal des bêtes, des céréales, de la viande, des
fruits, du lait, du miel, etc... et qui, en général, ont l'habitude
de puiser « sans aucune honte dans la propriété des kolkhoz
comme dans leur propre poche ».
4. Dans plusieurs kolkhoz les paysans sont en fait exclus
de toute participation à l'administration du kolkhoz, et parti.
culièrement par le fait que depuis longtemps on ne convoque
plus du tout des assemblées générales des membres du kol-
khoz et que les dirigeants et fonctionnaires des kolkoz ne
sont pas élus par les paysans eux-mêmes, mais sont tout sim-
plement nommés et destitués par les instances de l'Etat et du
Parti. Les paysans kolkhoziens n'ont ainsi aucune influence
sur la gestion des affaires du kolkhoz et sur la répartition des
revenus des collectives, ce qui conduit tout naturellement à
(2) En ce qui concerne cette loi, voir plus loin.
(3) A propos de ces « exploitations de secours », on lit dans un article
des
Izvestia du 7 septembre 1946 :. « Les statistiques les plus exactes du
territoire
(il s'agit du territoire de Tchéliabinsk) rapportent que les autorités
soviétiques
et les organisations sociales qui mènent ici les exploitations de secours
»
pourront récolter cette année plus de 500.000 pouds de céréales. Mais
com-
bien ces exploitations en livreront elles à l'Etat ? 2 à 3 % de la
récolte brute
escomptée.
(C
»
7
des abu's de la part des fonctionnaires des kolkhoz, qui se
croient indépendants des membres et perdent tout sentiment
de responsabilité vis-à-vis de ceux-ci.
Pour surmonter tous ces abus, le Conseil des Ministres et
le Comité Central décident une série de mesures, dont les
plus importantes sont :
Les dirigeants des organisations du Parti et des adminis-
trations étatiques sont obligés, dans l'espace de deux mois
suivant la publication de la loi, de réduire aux dimensions.
appropriées l'appareil administratif démesurément gonflé des
kolkhoz, comme aussi les « dépenses administratives » de
ceux-ci. Ils doivent de plus, jusqu'au 15 novembre 1946, entre-
prendre dans tous les kolkhoz, sur la base du registre foncier,
une revision de la possession des terres et faire de manière
que toutes les terres soustraites aux kolkhoz reviennent à la
possession de ceux-ci. De même, tous les biens acquis d'une
manière injustifiable au détriment du patrimoine des kolkhoz
doivent leur être restitués; dans l'avenir des pareilles incur:
sions dans le patrimoine kolkhozien de la part des organes de
l'Etat ou du Parti sont strictement interdites. Les fondements
démocratiques de l'administration kolkhozienne doivent être
rétablis; en général, toutes les déviations de la politique du
Parti dans les affaires kolkhoziennes doivent être considérées
comme des actes dirigés contre les kolkhoz et l'Etat et les
coupables doivent être traduits en justice en tant que crimi-
nels. Enfin, il est créé auprès du Gouvernement de l'Union
Soviétique un Conseil (Soviet) spécial pour les affaires kol-
khoziennes, auquel appartient le contrôle de l'observation du
statut kolkhozien et la décision sur toutes les questions con-
cernant la construction des kolkhoz, Conseil dont les repré-
sentants auprès des républiques, territoires et provinces de
l'Union Soviétique doivent être indépendants des autorités
locales (vis-à-vis desquelles on est visiblement méfiant sous
ce rapport).
LE VERITABLE ARRIERE-FONDS
Voilà pour ce qui concerne la loi du 19 septembre 1946.
Comme nous voyons, il s'agit ici de mesures extrêmement
rigoureuses, pénétrant profondément l'ensemble de la vie des
paysans kolkhoziens. Aucun doute que le Gouvernement,
.
8
pour empêcher une régression encore plus grande des pres-
tations en nature à l'Etat a dû s'opposer avec toute la
fermeté nécessaire aux tendances économiques individualistes
des paysans et aux tendances spécifiques de la bureaucratie
étatique locale, et qu'il est parvenu pour le moment à mai.
triser cette situation dangereuse. Mais et ici encore une
fois apparaît la question fatale - dans quelle mesure les déci-
sions étatiques s'avéreront-elles complètement réalisables et
surtout économiquement efficaces ? Les tracteurs, camions,
batteuses, etc... ne peuvent pas être produits en un tour de
main (4) et aussi longtemps que ces machines agricoles n'exis-
tent pas dans une mesure suffisante, les tendances écono-
miques individualistes se reproduiront de nouveau, rien que
par cette raison. Cependant il n'y a là qu'un seul côté de la
question (aussi important que ce côté puisse être). Les racines
réelles du mal se trouvent beaucoup plus profondément. Très
instructive souls ce rapport est la loi déjà mentionnée du
27 mai 1939, dans laquelle le Gouvernement, dans une situa-
tion totalement différente (dans une période de montée rela-
tive de l'économie kolkhozienne et d'existence d'un parc de
machines agricoles intact) a dû s'opposer avec toute la rigueur
possible à ces mêmes tendances économiques individualistes, et
surtout aux augmentations illicites des parcelles individuelles
des paysans et à la « répulsion au travail » manifestée par
ceux-ci. Il reconnaissait ainsi lui-même que même la « collec-
tivisation énergique » et la « liquidation des coulaks en tant
que classe » de la politique stalinienne ne pouvaient offrir
aucune réelle solution du conflit entre le pouvoir étatique et
la classe paysanne et que ce conflit s'enflammait maintenant
à nouveau sur un plan différent. A cette situation la politique
des concessions aux paysans inaugurée plus tard (la période
dite « Nep des kolkhoz » des années 1935-1938) n'a rien pu
changer d'essentiel. Ceci pour la simple raison que le village
russe était encore trop pauvre pour pouvoir subir le coût
énorme de l'industrialisation en même temps que les dépenses
de la bureaucratie étatique parasitaire (5). C'est pourquoi dès.
(4) Il est caractéristique que précisément dans le domaine de la produc-
tion des machines agricoles le plan de production pour l'année 1946 n'a
pu
être exécuté que dans la proportion de 78 %. (Voir le rapport publié par
le
Gosplan de l'Union Soviétique, le 21 janvier 1947, sur les (résultats. de
réalisation du plan », dans lequel le Ministère pour la construction des
machines agricoles est placé au dernier rang.)
(5) « Précisément dans l'économie agraire, dans laquelle la consommation
ost si immédiatement liée à la production, la collectivisation a ouvert
des
possibilités grandioses pour le parasitisme de la bureaucratie et par
pour
un laison avec les sommets des kolkhoz eux-mêmes. » (L. Trotski, La Révo-
Intion Trahie, p. 153.)
...
cette époque le cours conciliateur a dû être remplacé par la
politique de représailles contre les paysans. Notamment il
s'est démontré clairement dès lors que la majorité écrasante
de la paysannerie malgré sa défaite catastrophique pen-
dant la « bataille de la collectivisation » des années 1930-
1932 n'était pas du tout disposée à abandonner durable-
ment la part du lion dans le produit de son travail à l'Etat (6)
et que, après s'être relativement relevée, elle s'orienta vers
l'utilisation de la concession arrachée à Staline et apparem-
ment « inessentielle » des petites parcelles d'exploitation
individuelle, pour la réduction la plus grande possible du
travail à effectuer pour le kolkhoz, et tourna son intérêt prin-
cipal vers la culture jardinière des petites parcelles, le bétail
et la volaille privée (7). Point n'est nécessaire d'en chercher
la raison dans « le penchant inné des paysans vers l'indivi-
dualisme » ou dans leur « préférence inextinguible pour la
propriété privée » : la chose s'éclaire beaucoup plus simple-
ment par le fait amer que le système kolkhozien malgré les
progrès techniques indubitables non seulement n'a pas pu
assurer à la masse des paysans une élévation de leur standard
de vie, mais a par contre abaissé celui-ci, et de plusieurs
manières. L'exploitation mécanique extensive dans les kolkhoz
pouvait en fait augmenter les surfaces cultivées et les rende-
ments -- mais n'était pas à même, sous les exigences toujours
croissantes de l'Etat, de rendre à tel point que puissent être
satisfaits aussi bien l'Etat que la paysannerie. Ceci d'autant
plus, que le Gouvernement Soviétique, pour augmenter la
productivité du travail a impulsé de toutes les manières la
naissance dans le cadre du village d'une couche supérieure
techno-bureaucratique, par quoi naturellement la partie du
produit restant à la disposition de la masse des kolkhoziens
est devenue encore plus petite. Il se produisit ainsi ce phé.
nomène, au premier abord incompréhensible, que les
paysans
kolkhoziens, pour arriver à vivre d'une manière ou d'une autre
ont dû consacrer infiniment de peine et de soins précisément
à l'exploitation de leurs petites parcelles individuelles et que
la plupart d'entre eux y ont cherché leurs moyens principaux
(6) Selon les données statistiques offertes par la presse soviétique
elle-
même, la participation de la paysannerie kolkhozienne au produit agricole
ne peut pas être estimée à plus de 30 à 35 % du produit brut.
(7) D'autant plus que les prix du lait, du beurre, de la viande, des
légumes, du tabac, etc., ne se trouvaient pas disproportionnés de manière
aussi criante par rapport aux prix des articles de l'industrie citadine
que
ceux des céréales, de telle manière que l'élevage du bétail et le
jardinage
devaient paraître aux paysans beaucoup plus rémunérateurs.
10
d'existence (8). Il s'ensuivit non seulement que l'intérêt des
paysans vis-à-vis du travail kolkhozien diminua constamment,
mais aussi que la population excédentaire des campagnes
- terrifiée par le standard de vie extrêmement bas du prolé-
tariat urbain - ne montrait, malgré la surpopulation énorme
du village russe, aucune tendance à passer à l'industrie, mais
resta sur la terre, où elle se consacrait soit à la petite agri-
culture, soit aux métiers artisanaux paysans, ressuscités de
nouveau, Evolution dont l'Etat, qui poursuivait précisément
avec intensité sa politique d'industrialisation et d'armements
et, par conséquent, avait besoin de toujours davantage de
céréales, de matières premières agricoles et de nouvelles forces
de travail puisées dans le village, ne pouvait nullement être
satisfait, et à laquelle il tâcha dès le début de mettre fin. Il
s'agissait, d'une part d'augmenter constamment la production
kolkhozienne et, d'autre part, de transférer à l'industrie la
population villageoise excédentaire. Ces deux objectifs ne pou-
vaient sous les conditions existantes être atteints que si l'on
enlevait aux paysans la possibilité d'extension de leurs exploi-
tations individuelles et si, en même temps, on introduisait
aux kolkhoz un minimum de travail obligatoire, par lequel
une partie des kolk hoziens serait enchaînée plus solidement
au kolkhoz et une autre serait « rendue libre » pour l'indus.
trie. C'était là le sens véritable de la loi du 27 mai 1939. Mais,
en entreprenant la lutte contre les exploitations individuelles
des paysans kolkhoziens, le Gouvernement Soviétique prou-
vait que le mot d'ordre qu'il avait si bruyamment proclamé
sur l'« harmonie entre les intérêts individuels et sociaux des
paysans » réalisée dans le kolkhoz n'était qu'une phrase vide,
et qu'en réalité l'intérêt individuel des paysans devait être
sacrifié à leur « intérêt social » (lisez : à l'intérêt de l'Etat).
Et, puisqu'il obligeait par des mesures coercitives les paysans
à travailler sur les terres kolkhoziennes, il démontrait que les
kolkhoz n'étaient nullement des unions libres de producteurs
terriens, mais plutôt des grandes exploitations capitalistes-
étatique servant à leur exploitation. Ainsi le fait de la basse
productivité du travail et de la pauvreté économique du pays
a rendu caduque la solution communautaire du problème
agraire russe vers laquelle on s'était orienté au début et a
(8) « Beaucoup de paysans kolkhoziens... tirent de leurs parcelles
indivi.
duelles des revenus beaucoup plus importants que des kolkhoz », écrivait
en
1939 le journal Soc. Semledelije. « Dans le kolkhoz Novyj Mir », lisons-
nous
dans les Isvestia du 31 octobre 1940, « le paysan kolkhozien Jasakin a
fourni
250 journées de travail et sa femme 180. Mais leur parcelle individuelle
leur
a rapporté neuf fois ce qu'ils avaient gagné par leur travail au kolkhoz.
»
11
conduit le pouvoir étatique, contre sa volonté, sur la voie dan-
gereuse de la «féodalisation >> totalitaire graduelle de l'agri-
culture.
UN PARALLELISME HISTORIQUE
Précisément la loi du 27 mai 1939 constitue un tournant
important sur cette voie, en tant qu'elle fixe à tous les mem-
bres des kolkhoz masculins et féminins capables de travailler
un minimum de travail de 60, 80 ou 100 journées de travail
(selon la confrée) par an et qu'elle les enchaîne
u'elle les enchaîne --- sous peine
de perte de leurs exploitations individuelles ou même de
déportation aux kolkhoz comme travailleurs agricoles
forcés (9). En 1942 ce minimum de travail a été élevé, par la
loi du 17 juillet, respectivement à 100, 120 et 150 journées de
travail par an, et les autorités régionales furent autorisées
d'augmenter en cas de besoin ce minimum de 20 %; de plus,
on ordonnait le travail obligatoire dans les champs des jeunes
entre 12 et 16 ans, dans les limites de 50 journées de travail
par an au minimum (10). Enfin, par un décret de l'été 1944
l'ensemble de la population apte pour le travail des villages
kolkhoziens qui avait dépassé l'âge de 14 ans, a été obligée à
travailler pour tout le temps de la récolte sur les champs
kolkhoziens, indépendamment des journées de travail qui
avaient été auparavant fournies. Pour la justification des deux
dernières lois mentionnons cependant qu'elles ont été pro-
mulguées durant la guerre et ne devaient rester en vigueur
que pendant cette guerre. Mais en réalité elles ont été main-
tenues et la loi du 17 juillet 1942 fut ratifiée de nouveau
expressément en février 1947. Ainsi, par exemple, une famille
paysanne de quatre membres en Ukraine, dont les deux enfants
avaient atteint la douzième année, doit dans l'ensemble four-
nir au moins 340 journées de travail par an sur les champs du
(9) Voir le texte de la loi dans la Pravda (réimprimé dans le Bolchévik,
1947, nº 17/18). Très caractéristique est l'exposé des motifs de la loi :
L'intro-
duction du minimum de travail obligatoire, y dit-on, serait devenue
néces-
saire, «car dans les kolkhoz il y a non seulement des travailleurs
honnêtes,
qui fournissent de 200 à 600 journées de travail par an, et qui
constituent la
majorité écrasante des membres des kolkhoz comme aussi la force
principale
du mouvement kolkhozien, mais aussi des paysans kolkhoziens parfaitement
aptes au travail, qui n'offrent pas plus de 20 à 30 journées de travail
par
an, mais cependant son considérés comme membres des kolkhoz et les
menacent d'étouffement ».
(10) Voir la Pravda du 17 avril 1942.
12
kolkhoz (11) un chiffre qui aurait plongé tout seigneur
féodal du temps du servage dans une joie lumineuse. Car
quelle était la situation alors? En Autriche, par exemple,
déjà l'impératrice Marie-Thérèse, en 1775, avait interdit aux
seigneurs terriens de demander à un village de paysans (et
non pas à chaque personne y appartenant) plus de trois jour-
nées de corvée par semaine - par conséquent, pour les
paysans corvéables autrichiens, un maximum de 156 journées
par an (12). Cette même impératrice avait publié des dispo-
sitions beaucoup plus détaillées sur les conditions de travail
dans le village corvéable. « Une journée entière de labour et
de travaux manuels », lit-on dans sa patente du 13 août 1775,
« doit consister, lorsque la journée est courte - c'est-à-dire
du 10" octobre jusqu'à la fin mars, - en huit heures, et, lors
des journées plus longues - c'est-à-dire du 1er avril jusqu'à
la fin septembre, de douze heures : cependant on doit
décompter des huit heures des journées courtes, une heure
de repos et de repas, et des douze heures des journées plus
longues, le double, avec deux heures de repos et de repas, et
aussi bien des journées courtes que des longues, déduire le
temps qui est nécessaire au sujet pour qu'il aille de chez lui
à l'endroit à lui désigné pour travailler et pour qu'il en
revienne chez lui... Mais de ces heures des journées plus
longues doit être soustrait le temps pendant lequel, lorsque le
besoin le rend nécessaire, aussi bien le travail de labour que
le travail manuel doivent être allongés pour une ou au plus
pour deux heures » (13). Comme nous voyons, l'Impératrice,
» 133
»
>>
:
>>
>>
(11) · En réalité une telle famille de paysans doit fournir beaucoup plus
de travail ! Ainsi « la prestation de travail incombant à un paysan
kolkhozien
apte au travail (moyenne pour l'ensemble de l'U.R.S.S.) est montée de 262
journées de travail en 1940 à 346 journées en 1943, augmentation
équivalant
à 32 % » (F. Laptev, « Puissance et vitalité du système kolkhozien » dans
Le Bolchévik 1946, no 4, 4-8-33). De même, dans la République
d'Azerbaidjan,
le quantum des journées de travail incombant en moyenne à un membre de
kolkhoz s'éleva :
Pour un homme : de 232 journées de travail en 1940 à 285 en 1944;
Pour une femme :
172
Pour un jeune
60
100
(Soc. Selskoje Chosiastvo, juin 1946, p. 57. Je cite d'après Schwarz dans
le
Soc. Vestnik, 1946, p. 215.)
(12) On pourrait nous objecter ici que les journées de corvée de l'époque
féodale n'étaient pas rémunérées, tandis que les paysans kolkhoziens ont
une
rémunération pour leur travail. Mais d'une part, les journées de corvée
du
serf de l'époque féodale n'étaient nullement « non rémunérées » dans leur
ensemble, puisqu'il recevait de la part du seigneur une espèce de «
salaire
en nature » sous forme de la parcelle qui lui était attribuée et servait
à son
entretien; d'autre part le paysan kolkhozien n'obtient, comme nous
l'avons.
déjà exposé, que 30 % tout au plus du produit brut de son travail. Du
reste la
comparaison ne peut nullement conduire à l'assimilation de ces deux sys-
tèmes économiques si fondamentalement différents, mais simplement servir
à illustrer la tendance existante vers l'exploitation illimitée de la
force du
travail des paysans kolkhoziens.
(13) Voir Sammlung aller K.k. Verordnungen und Gesetze vom J. 1740-1780,
Wien 1786-1787, vol. VII, pp. 282-283.
13
malgré toutes les limitations, ne réduit pas ses seigneurs à la
dernière extrémité, puisqu'elle leur octroie durant l'été un
temps de travail allant de dix à douze heures. Mais comment
ça se passe du point de vue du temps de travail dans le droit
kolkhozien en vigueur ? « Dans les kolkhoz on doit », lisons-
nous dans le décret du 31 juillet 1940, « assurer l'emploi
complet de tous les membres du kolkhoz et de leur temps de
travail, et mettre une fin à la pratique illicite actuelle qui fait
qu les paysans kolkhoziens, au lieu de commencer le travail
à 5 ou 6 heures du matin, apparaissent aux travaux de la
récolte et des champs vers 8 ou 9 heures, et arrêtent le travail
des champs avant le coucher du soleil. Les kolkhoz doivent
prendre soin de l'installation de tentes et de cuisines aux
champs comme aussi de l'organisation de la culture, pour
que les paysans kolkhoziens n'aient pas besoin de rentrer au
village pour le repas de midi et pour la nuit et gaspiller ainsi
le précieux temps de travail » (14). Mais on n'interdit pas aux
paysans kolkhoziens de travailler éventuellement plus long-
temps encore : ainsi la majorité des kolkhoz du rayon de
Novosibirsk a décidé « spontanément », en 1941, que « le
travail dans le kolkhoz doit commencer à 6 heures du matin
et se terminer à 10 heures du soir » (15). Un temps de travail
par conséquent, qui ne signifie sûrement aucun progrès social
face au temps de l'absolutisme éclairé ! Et finalement pour
finir notre comparaison --- la même Marie-Thérèse avait inter-
dit inconditionnellement tout « travail à la tâche » dans le
village corvéable travail que l'on nommait alors aussi tra-
vail mesuré ou travail à la mesure, - avec la seule exception
du coupage de bois. « Il n'est pas permis », lit-on dans sa
patente déjà mentionnée, « d'imposer au sujet contre sa
volonté, un travail déterminé et mesuré comme, par exemple,
de labourer tant d'étendue, de moissonner tant de blé, ou de
lier, etc... Car le sujet n'a à fournir son service que pour un
bon et soigné travail de tant d'heures » (16). Et dans le
village kolkhozien ? Comme il est connu, il n'y a là, selon le
statut « stalinien » des kolkhoz, en général que du travail à
la tâche; la journée de travail d'un membre de kolkhoz n'est
considérée, par conséquent, comme complète que seulement
lorsque la « norme de travail » prescrite est atteinte, et, selon
le décret du 21 décembre 1931, « les normes de travail doivent
être établies sur la base de l'expérience de travail des meil-
(14) Voir Sobranije postanowlenij... pravitelstva Sojusa S.S.R., 16 août
1940, n° 20, p. 683.
(15) Isvéstia du 4 octobre 1941 (cité d'après S. Schwarz, Soc. Vestnik,
1941, 19 3, p. 30).
(16) V. Handbuch aller unter der Regierung des Kaisers Joseph II für die
k.k. Erbländer ergangenen Verordnungen und Gesetze, vol. VII, p. 288.
14
Veurs kolkhoz et travailleurs kolkhoziens » (17). Oui, les des-
potes éclairés avaient trop peu compris les effets catastro-
phiques de l' « égalitarisme », de 1' « urawnilowka » dans
l'estimation du travail !
LA LOI SUR LES KOLKHOZ ET LA REALITE
D'APRES-GUERRE
La loi déjà mentionnée du 27 mai 1939 n'a pas pu agir:
complètement, dans la mesure où deux années plus tard la
guerre explosait et le Gouvernement, pendant les années
difficiles du péril national, n'avait ni le temps ni la possibilité
de continuer sa campagne contre les tendances individualistes
des paysans.
Il a dû, pendant la guerre se limiter à créer
dans les kolkhoz une telle discipline et un tel empressement
au travail que ceux-ci fussent bien oui mal en mesure
d'approvisionner finalement l'Armée Rouge et la population
ouvrière des villes en vivres. Tout le reste passa au second
plan. Nous avons déjà mentionné le fait qu'à la suite de la
guerre des perturbations sérieuses ne pouvaient que se pro-
duire dans le domaine de l'agriculture et qu'en plus la guerre
ne pouvait qu'encourager puissamment les tendances centri-
fuges au village. Ce n'est donc pas un hasard si la récolte de
céréales de l'Union Soviétique (dans ses nouvelles frontières)
en 1945 et 1946, peut être évaluée environ à la moitié de celle
de 1940 et que plusieurs régions de l'Union Soviétique, en
1946, étaient menacées de disette. Ceci ne pouvait qu'agir
aussi sur le montant des prestations naturelles à l'Etat, si
rigoureusement que ces dernières aient dû être recouvrées par
le Gouvernement. Mais de cette manière l'entretien des villes
et la réalisation du plan de reconstruction du Gouvernement,
malgré le maintien du système des cartes de rationnement,
ont été mis en question et finalement on n'a pu penser à la
réforme de la monnaie soviétique, sérieusement ébranlée,
avant l'élévation préalable de la production agricole. La situa-
tion elle-même demandait ainsi impérieusement une nouvelle
réglementation des rapports de production agricoles, et
comme seule voie praticable apparaissait la réadoption du
cours que le gouvernement avait ouvert déjà en 1939. Ainsi
(17) Décision du 21 décembre 1931. Voir La législation du travail de la
République soc, féd. soviétique russe. Coilection codifiée..., 1934 (en
russe),
p. 28.
15
on arriva à la loi du 19 septembre 1946. Mais la situation
actuelle est totalement différente de celle d'avant-guerre. Non
seulement le parc des machines agricoles n'existe plus par-
tiellement, et pour le reste est composé de machines vieilles
depuis longtemps, non seulement il manque des millions de
travailleurs et l'ensemble de l'économie des campagnes a
terriblement souffert des dévastations dues à la guerre, mais
aujourd'hui il manque aussi les sources d'énergie intellectuelle.
qui étaient encore. en action pendant la décade 1930-1940 :
l'enthousiasme au travail et l'esprit de sacrifice de ces couches
populaires (le prolétariat russe) qui voyaient alors encore
dans les plans quinquennaux leur propre affaire. D'un autre
côté les inégalités et les oppositions sociales dans l'Union
Soviétique ont grandi énormément durant la dernière décade
et la couche bureaucratique dominante est devenue beaucoup
plus confiante en elle-même. Ainsi la voie que prend la poli-
tique agraire du Gouvernement apparaît comme tracée
d'avance par les conditions elles-mêmes : elle doit d'une part
exercer une pression extrêmement rigide pour l'accomplisse-
ment inconditionné des prestations en nature (18) et exiger
des paysans l'observation la plus stricte de leurs obligations
de travail, mais aussi, d'autre part, par le moyen d'un système
de primes et par une rémunération plus élevée des dirigeants
et des préparateurs-organisateurs du travail (19), elle vise à
renforcer la couche des « satisfaits » dans le kolkhoz, et par
là même d'ouvrir un abîme toujours plus grand entre ceux-ci
et la masse des paysans kolkhoziens. Ainsi le plenum de
février 1947 du Comité Central du Parti Communiste non
seulement a ordonné le recouvrement le plus strict des livrai.
sons de céréales et ratifié expressément la loi sur le minimum
de travail de 1942, mais il a encore une fois condamné sévèa
rement l'« égalitarisme » dans la rétribution du travail et
l'application insuffisante du travail à la tâche dans les kol.
khoz; les normes de rendement appliquées sont blâmées
comme « trop basses et surannées » et l'on prescrit une nou-
:
(18) Voir les documents, extrêmement riches en chiffres, publiés à ce
sujet dans la Pravda et l'Isvestia de l'année 1947. La quantité des
céréales
qui doit être livrée est d'ailleurs calculée sur la base non pas de la
terre
réellement cultivée, mais de la terre possédée par le kolkhöz. Cette
dispo-:
sition est un stimulant pour l'extension des surfaces cultivées.
(19) Il y a une multitude d'exemples à ce sujet. Mentionnons simplement
ici que, selon la décision du 21 avril 1940 on doit compter à l'actif des
diri-
geants du kolkhoz selon l'étendue des surfaces cultivées, de 45 à 90
journées
de travail par mois, c'est-à-dire 540 à 1.080 journées de travail par an.
De
plus, ces dirigeants ont droit à un salaire mensuel de 25 à 400 roubles.
De
même, selon les décisions du Plenum de février 1947, on garantit aux «
trac-.
toristes », « brigadiers du travail », chefs comptables, etc... des
primes extra-
ordinaires comme aussi un minimum de salaire en nature de 3 kilogs de
céréales par journée de travail. Tout ceci doit être déduit des revenus
du;
kolkhoz, avant le calcul des parts sur le restant pour les paysans.
16
.
au
velle revision de ces normes, qui «garantisse une rémunéra-
tion plus élevée des travaux les plus importants et la réduction
de la rétribution des travaux de deuxième ordre ». « On doit »,
dit-on plus loin, « appliquer, au lieu de l'estimation injuste
selon les rendements moyens, une estimation différenciée, qui
offre la possibilité de discriminer les meilleurs de ceux qui
traînent et entraîner ces derniers niveau des" meil-
leurs » (20). Ce que ceci signifie dans la pratique, les ouvriers
et paysans de l'Union Soviétique ne l'ont éprouvé que trop
souvent; pour les paysans kolkhoziens ceci en tout cas signifie:
toujours davantage de travail forcé, même lorsque la rému-
nération pour la journée de travail devient toujours moindre
et lorsque les sommets des kolkhoz et du Parti « puisent dans
la propriété des kolkhoz comme dans leurs propres poches >>
d'une manière de plus en plus cynique. Que sous ces condi-
tions la tentation pour les paysans les plus pauvres d'empiéter
sur la propriété kolkhozienne soit devenue trop forte, il n'y
a là rien d'étonnant. En tout cas, le Gouvernement Soviétique
s'est vu obligé (tout à fait comme pendant l'année de disette
1932) (21) de nouveau de promulguer une loi draconienne,
par laquelle il punit tout acte de vol, même le plus petit,
sur le patrimoine du kolkhoz, par-un envoi de 5 à 8 ans en
camp de concentration (22). (Loi du 4 juin 1947.) Toutes ces
mesures s'inscrivent très bien dans le cadre de la nouvelle
évolution en Russie, qui poursuit à pas gigantesques la trans-
formation définitive des kolkhoz en exploitations totalitaires
étatiques d'économie forcée.
Et les résultats ? Il n'y a aucun doute qu'un Gouvernement
disposant d'une pareille puissance économique et politique
puisse appliquer ces lois, dans la mesure où elles sont en
général applicables. Le Gouvernement soviétique doit pouvoir
réussir à endiguer les tendances individualistes au sein de la
paysannerie kolkhozienne (23), d'autant plus, qu'il s'agit ici
?
(20) Pravda du 27 février 1947.
(21) En même temps le Gouvernement Soviétique, pour enrayer l'activité
des nombreux « coiffeurs du grain » (c'est-à-dire des paysans qui
fauchent
le blé en cachette avant le temps de la moisson) promulgua une loi
analogue,
qui par ailleurs a été limité l'année suivante aux cas de « détournements
importants, malicieux et organisés ».
(22) Appelés dans la langue soviétique officielle pudiquement « camps de
travail et de correction ».
(23) Mais en même temps le Gouvernement Soviétique est obligé de .
prendre des mesures qui ont le résultat opposé. Ainsi dernièrement les
tra-
vailleurs des Soukhoz furent aussi pourvus de petites parcelles
d'exploitation
individuelle, comme les paysans kôlkhoziens, et le secteur économique
privé
fut aussi introduit dans les Sovkhoz. De plus, on souligne de nouveau
dans
les décisions du Plenum de février 1947 que les brigades de travail et
leurs
aubdivisions doivent se voir accorder « durablement » les mêmes parcelles
17
de grandes exploitations dirigées centralement, qui peuvent
être facilement surveillées et qui, malgré le gaspillage et l'in-
curie, procurent à l'Etat une grande suprématie économique.
(De même la réforme financière récente du 14 décembre 1947,
qui expropria avant tout l'épargne paysanne acquise par le
marché noir durant la guerre a agi dans le même sens.) Par
conséquent, la récolte de céréales beaucoup plus favorable de
l'année 1947 ne peut pas être expliquée simplement par les
meilleures conditions climatiques, - elle est aussi un résultat
des mesures du Gouvernement soviétique. Mais les contra-
dictions nombreuses qui se trouvent impliquées dans le sys-
tème kolkhozien ne peuvent être abolies ni par des décrets,
ni par la pression administrative; et avant tout, la contra-
diction fondamentale qui s'exprime dans le manque d'intérêt
des paysans pour le travail kolkhozien. Ici se montre une des
limites infranchissables du régime russe actuel, qui ne peut
exister que dans la mesure où il emploie les formes collectives
de propriété pour appuyer la domination brutale de la
bureaucratie; limite, par conséquent, qui ne peut être sur-
montée que dans une société réellement socialiste.
PEREGRINUS.
(Traduit de l'allemand par P. Chaulieu.)
du canton pour la culture et qu'on doit mettre à leur dispo tion chaque
fois
le même inventaire d'instruments et de bétail, mesure qui peut se
démontrer
comme étant un pas vers la rupture du système kolkhozien.) Mais, avant
tout, ce sont les nombreuses mesures favorables aux sommets des kolkhoz,
mesures déjà mentionnées, qui agissent dans cette direction, en suscitant
chez
ceux-ci des appétits invincibles d'appropriation privée.
18
L’EXPLOITATION DE LA PAYSANNERIE
SOUS LE CAPITALISME BUREAUCRATIQUE
SITUATION ACTUELLE DU PROBLÈME AGRAIRE.
Il est à peine nécessaire de rappeler l'énorme importance
du problème agraire pour la révolution prolétarienne et le
besoin pour le prolétariat de grouper derrière lui la majorité
des couches exploitées de la paysannerie sur un programme
socialiste. Qu'on nous permette seulement de mentionner les
faits qui mettent en lumière cette importance.
Aujourd'hui, deux siècles après la révolution industrielle,
la grande majorité de la population de la planète vit toujours
de l'exploitation du sol et dans des conditions qui, la plupart
du temps, ne sont pas des conditions directement capitalistes.
On peut dire, approximativement, que les deux tiers de la
population mondiale vivent de l'agriculture et que la moitie
le fait dans des conditions qui, tout en ayant comme contenu
’l'exploitation des paysans par le capital, n'en gardent pas
moins la forme de la petite propriété individuelle ou même
des types de propriété pré-capitalistes (1). On sait que ce fait
fut amplement utilisé dans toutes les « réfutations » bourgeoi-
ses du marxisme et spécialement dans les critiques de la
théorie de la concentration. Pendant des longues années, les
professeurs bourgeois prouvèrent par a + b que la concentra-
tion du capital dans le sens analysé par Marx était tout
simplement impossible et qu'elle ne se réaliserait jamais:
Lorsque cependant cette concentration commença à apparaître,
même aux yeux des aveugles, lorsque l'ensemble de l'industrie
mondiale commença à être dominé par un nombre infime de
groupements capitalistes, ces messieurs prirent la route des
champs et se réfugièrent dans l'agriculture qui, elle, « igno-
rait » la concentration et continuait à travailler dans son
cadre patriarcal.
* Extrait d'un ouvrage sur l'Economie du capitalisme bureaucratique,
dont un premier fragment a déjà été publié dans cette Revue (No 2,
p. 1-66).
(1) C'est le cas de la plus grande partie des populations de l'Asie, de
l'Afrique et de l'Amérique Latine.
19
Nous n'avons pas l'intention de faire ici une analyse de la
question de la concentration dans l'agriculture. Mais voici
quels sont les aspects fondamentaux de ce problème :
a) Aujourd'hui, l'existence du processus vers la concentra-
tion dans le domaine agricole est indéniable. Que ce processus
soit plus lent, qu'il se présente sous des modalités différentes
de la concentration de l'industrie, c'est un fait qui découle
aussi bien des caractères spécifiques de l'agriculture que de
l'évolution générale de l'économie et de la prédominance même
de la concentration industrielle, comme on le verra par la
suite. Mais ces différences constituent plutôt une confirmation
de la loi de la concentration et nullement un démenti. En
laissant de côté les aspects moléculaires de la concentration
agricole, tels qu'ils existent dans tous les pays du monde, sans
exception, rappelons simplement que dans les deux puissances
économiques principales du monde contemporain, l'Amérique
et la Russie, l'évolution de l'agriculture depuis 1918 n'est
compréhensible que si on l'examine du point de vue de la
concentration.
b) La concentration n'est pas un processus mécanique et
automatique. La prédominance de la tendance vers la concen-
tration sur ce qu'on peut appeler la tendance vers la diffusion
du capital résulte essentiellement du développement de la
technique. C'est l'apparition continuelle de méthodes techni-
ques nouvelles, plus rentables, exigeant un capital important
et l'emploi d'une force de travail relativement moindre qui
rend sans espoir la lutte de la petite entreprise (industrielle
ou agricole) contre la grande. Or, pour plusieurs raisons dont
quelques-unes sont conjoncturelles et quelques-unes ne le sont
point (2) la mise en application de la technique moderne a été
beacoup plus lente dans le cas de l'agriculture que dans le cas
de l'industrie. Ce n'est que depuis trente ans que l'on peut dire
que les méthodes modernes de culture commencent à prédo-
miner sur les méthodes traditionnelles. Mais d'autant plus
peut-on dire que, maintenant que l'industrialisation de l'agri-
culture est en marche, plus rien ne pourra l'arrêter (3).
(2) Parmi celles-ci une des plus importantes est la séparation du capital
et de la propriété foncière.
(3) En France, de 1945 à 1949, la production et l'importation de
tracteurs
sont de plusieurs fois supérieures à celles d'avant-guerre. Le parc des
machines agricoles des pays d'Europe occidentale (pays participant au
Plan Marshall) aura augmenté de trois fois et demie entre 1948 et 1952.
Sur les nouvelles découvertes révolutionnaires de la technique agricole
et
leurs applications aux U.S.A., voir l'article de G. H. Fabius « Technolo-
gical Progress in Agriculture » (New International, 1946, pp. 116-117).
20
D'autre part, le développement du capitalisme dans l'indus-
trie se répercute nécessairement sur le mouvement de la
population agricole : après avoir', dans une première période
(celle que Marx a appelé l'« accumulation primitive ») exproprié
brutalement des masses énormes de paysans pour se créer une.
main-d'æuvre abondante et bon marché, le capital industriel
ne trouve toujours, pendant ses phases d'expansion, d'autre
source de main-d'ouvre que la population agricole ; l'exode
des paysans vers les villes à l'échelle mondiale continue et la
dépopulation des campagnes forme un stimulant puissant pour
l'extension des applications de la technique moderne dans
l'agriculture (4).
c) Mais l'intégration de l'agriculture dans le processus de
la concentration s'est faite depuis un demi-siècle d'une manière
beaucoup plus profonde à travers la domination graduelle du
marché par les monopoles. Le maintien de la forme juridique
de la propriété parcellaire individuelle et même le maintien
dans une certaine mesure de l'exploitation parcellaire comme
unité productrice technique n'ont qu'une importance relative-
ment secondaire à partir du moment où les monopoles dominent
complètement le marché et la production industrielle. Il ne
s'agit pas simplement du fait que, techniquement aussi bien
qu'économiquement l'agriculture est dominée par l'industrie
et que son progrès est déterminé par le progrès de la technique
et de la production industrielles. Ce qui est plus important
encore c'est que la monopolisation des secteurs-clés de l'éco-
nomie et cette monopolisation commence dans les secteurs
industriels transforme du tout au tout la signification écono-
mique de la petite entreprise. Non seulement la petite entre-
prise est dorénavant dominée par les monopoles -- qui lui
imposent par exemple le prix de vente et d'achat des objets
qu'elle produit ou de ses matières premières, instruments de
travail, etc.non seulement le propriétaire de la petite
entreprise est exploité en tant que consommateur, obligé qu'il
est de contribuer à la formation du surprofit monopolistique,
mais le maintien de la petite entreprise dans certains secteurs
de l'économie - et principalement dans l'agriculture - corres-
pond, du point de vue des monopoles, à une nécessité économi-
(4) Le pourcentage de la population agricole sur la population totale
aux U.S.A. passe de 73 % en 1820 à 19 % en 1940: (C. Clark. les
conditions
du progrès économique, dans « Etudes et Conjoncture », 1947, no 13,
p. 49, et J. Fourastié, le grand espoir du xxe siècle, p. 77). De 1913 à
1939,
la population agricole en Russie passe de 65 % à 47% du total (F. Forest,
An analysis of Russian Economy, « New International », 1943, p. 57).
21
1
que profonde : dans les secteurs où la production n'est pas
encore complètement rationnalisée, là où des risques provenant
de facteurs extra-économiques continuent a avoir une grande
importance et c'est par excellence le cas de l'agriculture
le monopol préfère aussi longtemps que c'est possible s'intégrer
l'agriculture d'une manière qui lui assure le maximum de
profits et le minimum de pertes. Le maintien de l'exploitation
parcellaire dans l'agriculture signifie concrètement que les
monopoles profitent de la production agricole toutes les fois
que les choses vont bien, tandis que ce sont les exploitants
parcellaires qui supportent presqu'exclusivement les dégâts
qu'il s'agisse de mauvaises récoltes ou de la surproduction.
d) Il y a cependant un facteur qui, formellement s'oppose
au processus de la concentration dans l'agriculture - quoiqu'en
réalité il n'en est qu'une manifestation et qu'on aurait tort
de méconnaître : c'est l'intervention consciente du capitalisme
à travers l'Etat, pour orienter dans un sens donné l'évolution
des rapports économiques et sociaux dans la campagne. Dans
plusieurs pays qui avaient accompli leur révolution bourgeoise
mocratique dans le sens traditionnel du terme, où, par consé-
quent, le partage de la terre et la constitution d'une classe
extrêmement nombreuse de paysans petits propriétaires avaient
eu lieu à une époque où cette transformation ne mettait pas en
cause des éléments importants de la stabilité sociale, la bour-
geoisie a yu, à partir d'un certain moment, à juste titre, dans
le maintien de cette classe, une des bases essentielles de sa
domination. Rien d'étonnant dès lors si sa politique agraire a
été constamment orientée vers le maintien d'une structure
économique et sociale «stable » dans le domaine de l'agricul-
ture. C'est d'ailleurs un des points sur lesquels l'opposition
relative qui existe entre l'Etat capitaliste, expression univer-
selle et abstraite des intérêts du Capital, et les intérêts quoti-
diens de couches particulières de capitalistes, s'est parfois
exprimée avec le plus de force. Cette politique de l'Etat capita-
liste a eu comme principaux objectifs, d'une part, l'« organisa-
tion » de la paysannerie dans des unions corporatives, qui sont
en définitive une forme de cartellisation dans laquelle le rôle
dominant est joué par les éléments les plus riches de la cam-
pagne, d'autre part, la « protection » de la production agricole
par la protection des prix agricoles, qui n'est que l'application
dans un domaine particulier du principe monopolistique de
formation des prix.
Il est bien évident que, du point de vue historique, cette
politique de l'Etat capitaliste est utopique et qu'en définitive
22
elle contredit aussi bien les intérêts du capital que les tendances
invincibles que met en avant le développement de la concentra-
tion dans l'ensemble de l'économie. En tant que telle, elle est
historiquement condamnée et ce n'est certainement pas dans le
« corporatisme agricole » que le capitalisme d'Etat pourra trou-
ver sa structure complémentaire dans le domaine de l'agricul-
ture. Mais, depuis le début du XXe siècle jusqu'à maintenant,
cette politique a été un facteur important de l'évolution sociale
qui, à plusieurs reprises, influença l'issue de la lutte de classes
en Europe.
C'est à la lumière de l'analyse de l'exploitation de la paysan-
nerie dans le cadre du capitalisme bureaucratique qu'on peut
trouver la réponse au problème des formes modernes d'exploi-
tation de la paysannerie par le capital. C'est en effet le capita-
lisme bureaucratique russe qui fournit à la fois une préfigu-
ration du développement des formes d'exploitation de la
paysannerie dans le cadre de la concentration totale et
l'indication des limites de ce développement.
L'EXPLOITATION DE LA PAYSANNERIE EN RUSSIE.
L'élément central de l'exploitation de la paysannerie en
Russie sont les prestations obligatoires en nature que les pay-
sans doivent fournir à l'Etat. Aussi bien la quantité que les
prix d'achat par l'Etat des produits livrés par les kolkhoz sont
essentiellement variables; en règle générale, cependant, l'Etat
prélève 40 % du produit brut, et en plus 20 % sont obligatoire-
ment livrés aux Stations de machines et de tracteurs. Ainsi la
paysannerie ne dispose que des 40 % au maximum du produit
brut et encore s'agit-il là d'un pourcentage théorique (5). Il
ne faut pas oublier non plus que c'est sur ce produit brut que
doivent être prélevées de toute façon les semailles, et peut-être
aussi la nourriture du bétail.
L'exploitation se réalise ici par le fait que l'Etat pous-
sant à la limite absolue la pratique des monopoles - fixe unila-
téralement d'une manière absolue le prix auquel il achète les
produits agricoles. Voici, par exemple, les prix d'un quintal de
seigle en 1933 (6):
(5) Selon Peregrinus (v. son article publié plus haut) ce pourcentage
de participation de la paysannerie au produit brut s'élève à 30-35 %,
d'après la presse soviétique" elle-même.
(6) Bagkov dans Economic Journal, de Londres, décembre 1941, cité
d'après F. Forest, l. C. p. 20.
23
Roubles
Prix d'achat par l'Etat
6.03
Prix du produit rationné (farine de seigle)
25
Prix commercial (farine de seigle)
45
Prix au marché kolkhozien libre (région de Moscou) 58
Ainsi l'Etat achète ce produit aux kolkhoz à un prix extrê-
mement inférieur à sa valeur. Nous essaierons de préciser plus
loin l'ordre de grandeur du vol effectué ainsi.
C'est là le premier aspect - et l'aspect fondamental de
l'exploitation des paysans par l'Etat bureaucratique et qui appa-
rente en effet cette exploitation à l'exploitation féodale : pay-
sans « attachés à la glèbe », prélèvement par la classe exploi-
teuse d'au moins la moitié du produit, tout ceci aggravé par
l'instabilité constante des conditions et par la possibilité perma-
nente pour l'Etat d'augmenter la durée du travail obligatoire et
la quantité du produit qu'il prélève.
Le deuxième aspect est l'exploitation des paysans en tant
que consommateurs, lors de l'achat par ces paysans des produits
industriels qui leur sont nécessaires pour leur consommation
personnelle. C'est là un phénomène connu déjà sous le régime
des monopoles mais qui prend ici une ampleur sans précédent,
à cause du monopole absolu de l'Etat sur l'ensemble de la pro-
duction industrielle et l'autorité complète avec laquelle celui-ci
peut fixer les prix de vente de « ses » produits. Le prix du
seigle en 1933, cité tout à l'heure comme exemple, peut servir
ici aussi comme base pour déterminer un ordre de grandeur,
L'Etat achetait le quintal de seigle à 6 roubles, et vendait la
farine de seigle rationnée (c'est-à-dire celle dont le prix est
supposé « protéger » ou « avantager » le consommateur) à 25
roubles le quintal. En admettant que la transformation du
seigle en farine de seigle lui coûte 4 roubles par quintal (66 %
du prix de la matière première; en fait le coût de cette trans-
formation, y compris la perte de poids, doit être beaucoup plus'
petit), il « gagnait > 15 roubles par quintal (taux de profit :
150:%), c'est-à-dire il reprenait aux ouvriers urbains consom-
mateurs de ce seigle 60 % de leur salaire : dans les 25 roubles
que le consommateur payait pour ce quintal de farine de seigle,
10 roubles au maximum représentaient le « coût » réel pour
l'Etat du produit, et les autres 15 le profit pur et simple de ce
dernier.
Ce raisonnement est d'ailleurs purement théorique, car
jamais l'ouvrier n'aurait (pendant les différentes périodes de
24.
rationnement) la possibilité de satisfaire complètement par les
rations officielles ses besoins; il est obligé de recourir soit aux
magasins libres de l'Etat, soit au marché kolkhoziens libre.
Dans le premier cas, en payant 45 roubles le quintal de la
farine de seigle, il sera exploité par l'Etat pour 80 % de la
valeur des achats, l'Etat faisant un gain net de 35 roubles par
quintal vendu. Dans le deuxième cas, il paierait 58 roubles le
quintal, et ce serait le kolkhozien qui en « profiterait»; mais
c'est encore l'Etat qui gagne, quoique indirectement, parce que
le prix des produits agricoles sur le marché libre doit couvrir
de toute façon une certaine « rentabilité globale.» de l'entre-
prise agricole : la classe paysanne doit arriver avec l'ensemble
de ses revenus (aussi bien ceux provenant de la livraison à
l'Etat que de la vente au marché libre) à couvrir l'ensemble de
ses besoins élémentaires : le prix exorbitant du produit sur le
marché libre ne fait que compenser le prix spoliateur imposé
par l'Etat pour ses achats; plus ce dernier sera bas, plus les
prix sur le marché libre monteront.
Ce raisonnement nous permet de calculer, avec une gros-
sière approximation, l'ordre de grandeur de l'exploitation résul-
tant de la livraison obligatoire du produit à des prix spolia-
teurs à l'Etat. Soit & le prix de production d'un quintal de
seigle; le coût de 100 quintaux sera alors 100 x, et ce prix
devra équilibrer l'ensemble des revenus que le kolkhoz tirera
de ces 100 quintaux. Ces revenus se décomposent, selon les
chiffres cités précédemment (7) en : 60 quintaux livrés à l'Etat
et aux stations de machines et de tracteurs, au prix de 6 rou-
bles le quintal; 15 à 20 quintaux vendus au marché libre à
5 roubles le quintal; et 20 à 25 quintaux consommés en nature
et que nous pouvons comptabiliser sur la base de leur prix
de production. On peut alors écrire :
100 XC
60.6 + 20.58 + 20 x
ce qui donne 3 19.
Si donc le prix de production du quintal de seigle est de
19 roubles, l'Etat en prélevant 60 % de la production à un
prix de 6 roubles, vole aux paysans la différence entre le coût
de 60 quintaux et ce qu'il leur paie; cette différence est de
(60.19) (60.6) 1.140 360 = 780. Sur la valeur totale de
100 quintaux qui est de 19.100 = 1.900 roubles, cette spoliation
dépasse 40 %.
>
(7) Les chiffres sont évidemment valables pour une année et une région;
nous ne voulons pas ici déterminer avec précision le taux de
l'exploitation,
mais d'en découvrir l'ordre de grandeur.
25
Cette spoliation n'est qu'un des éléments de l'exploitation
des paysans par la bureaucratie. Le deuxième est celui que
nous avons mentionné plus haut, résultant de la vente par
l'Etat aux paysans en tant que consommateurs, des produits
industriels à des prix surélevés. Nous avons vu tout à l'heure
que la vente des produits agricoles aux ouvriers des villes
représentait, dans le cas de la farine du seigle, une frustra-
tion de ceux-ci d'une partie de leur salaire de l'ordre de 60 %.
Nous n'avons pas des éléments qui nous permettent de juger
de l'ordre de grandeur de la frustration correspondante pour
les paysans. Il n'y a cependant aucune raison de croire qu'elle
serait moindre.
Le troisième élément de l'exploitation est la différenciation
des revenus au sein de la paysannerie, soit entre les différents
kolkhoz, soit à l'intérieur d'un même kolkhoz. Quoique l'effet
et la fonction sociale de cette différenciation sont les niêmes,
ses bases concrètes sont diverses selon les cas.
Le fait de l'existence de kolkhoziens « millionnaires » non
seulement n'est pas caché, mais triomphalement et cynique-
ment proclamé par la bureaucratie. Il nous faut voir quelles sont
ses bases économiques.
Tout d'abord, les kolkhoz sont inégaux aussi bien quant à
l'étendue par rapport au nombre des producteurs, que quant à
la fertilité du sol et à la valeur du produit (8). Il y a des
kolkhoz petits, moyens et grands relativement au nombre des
membres. Il y a des kolkhoz dont le sol est extrêmement fertile,
et d'autres dont le sol est moyen ou pauvre. Il y a des kolkhoz
qui s'adonnent à la culture de produits qui sont achetés plus
cher par l'Etat que d'autres (ainsi par exemple toutes les cul-
tures industrielles). Il y a des kolkhoz qui sont plus ou moins
bien servis par les stations des machines et des tracteurs, qui
ont un plus ou moins grand nombre de tracteurs à leur dispo-
sition, qui, sur la base du produit des récoltes précédentes,
peuvent payer plus ou moins bien les conducteurs de tracteurs
et les autres techniciens. Ainsi, le 15 novembre 1939, 5.000
stations de tracteurs devaient 205 millions de roubles à leurs
conducteurs (9), qui ont naturellement abandonné les kolkhoz
desservis par ces stations. En revanche, il y avait en 1939
0,3 % de tous les kolkhoz qui étaient des kolkhoz million-
(8) V. Bettelheim : Les problèmes théoriques et pratiques de la plani-
fication, p. 101.
(9) Selon la Pravda du 15 novembre 1939, citée par F. Forest, l. c. p.
21.
26
1
naires (10), cependant que 6% de tous les kolkhoz étaient des
kolkhoz pauvres, avec un revenu annuel de 1.000 à 5.000 roubles.
75 % des kolkhoz sont d'une étendue moyenne et ont
un revenu annuel de 60.000 roubles, soit 172 roubles par mem-
bre et par an ! Ce revenu est terriblement inférieur au revenu
nominal de l'ouvrier moyen.
Les effets de la fertilité différente sont évidemment énor-
mes du point de vue de la différenciation des revenus. En 1937,
8 % des kolkhoz ont donné moins de 1 kilo et demi de grain
par journée de travail à chaque kolkhozien, 50 % des kolkhoz
ont donné jusqu'à 3 kilos, 10 % ont donné de 7 à 15 kilos et
0,3 % plus de 15 kilos. Les différences de rémunération excè-
dent ainsi l'écart du simple au décuple.
D'autre part, au sein d'un même kolkhoz, des différences
extrêmes prévalent quant à la rémunération des différentes
catégories et qualifications de travail : ainsi, la journée de
travail d'un manœuvre agricole est comptée pour la moitié
d'une « journée de travail » standard, et celle d'un conducteur
de tracteur est comptée pour cinq journées de travail. Est-il
permis de combiner ces chiffres avec ceux donnés précédam-
ment sur la différence de la rémunération de la journée de
travail normale selon les kolkhoz ? On arriverait à cette con-
clusion monstrueuse, que le conducteur d'un tracteur dans un
kolkhoz riche, qui paie 15 kilos de grain pour la journée de
travail, gagnerait 5 x 15 = 75 kilos par journée de travail,
tandis qu'un manœuvre d'un kolkhoz pauvre, qui paie 1 kilo
et demi pour la journée de travail, gagnerait 1/2 x 11/2 = 3/4
du kilo par journée de travail ! Malgré tout ce qu'on sait sur
l'inégalité des revenus en régime russe, on hésite dans un cas
qui semble devoir être habituel à admettre une différenciation
allant de 1 à 100. Cependant les chiffres sont là, têtus, et on
ne saurait les interpréter d'une autre manière.
La principale base économique des différenciations entre
kolkhoz ést évidemment le fait que l'abolition de la propriété
privée du sol sur le plan juridique n'a pas supprimé sa mani-
festation économique, qui est la rente foncière. Il est évident
qu'en plus des avantages résultant de la plus grande étendue
pour certains kolkhoz, en plus de la différenciation des reve-
nus selon les différentes catégories de travail (qui n'est que la
réplique dans la campagne du procédé d'exploitation fonda-
mental du régime bureaucratique dans les usines), on se trouve
ici devant un mode de diff nciation qui est spécifique à
+
+
(10) Selon les sources officielles russes citées par F. Forest, l. c. p.
21.
27
l'agriculture et qui résulte des rentes différentielles dont profi-:
tent les entreprises agricoles. qui disposent du sol le plus fer-
tile, qui sont mieux placées par rapport aux centres écono-
miques etc. (11). L'Etat bureaucratique aurait pu, dans l'abs-
trait, égaliser les différences qui en résultent, et faire peser le
poids de son exploitation d'une manière uniforme sur toute la
paysannerie. Il ne le fait pas en vertu d'une politique sociale
consciente et conséquente de stratification des couches paysan-
nes et de création d'une couche privilégiée de paysans, qui ne
peuvent être que les alliées de la bureaucratie dans la cam-
pagne, puisque la base de leur situation aisée est précisément
le système kolkhozien tel qu'il existe.
On conçoit dans ces conditions qu'étant exploitée plus lour-
dement que sous l'ancien régime, cette paysannerie se désin-
téresse de plus en plus de la production kolkhozienne. De
la tendance des paysans à se consacrer toujours davantage à
l'exploitation de leur petite parcelle individuelle et à fou'rnir
le minimum de travail possible au kolkhoz. D'où en retour la
nécessité absolue pour l'Etat bureaucratique d'instaurer le tra-
vail forcé dans les productions kolkhoziennes, qui sont son
unique source d'approvisionnement en produits agricoles. Nous
ne reviendrons pas ici sur les modalités concrètes de ce tra-
vail forcé (12). Tirons simplement des informations officielles
dont nous disposons un indice sur le temps que le paysan russe
passe au travail, pour le compte du kolkhoz ou pour le sien
propre.
On sait qu'avant la guerre les paysans kolkhoziens pas-
saient 30 à 45 % de leur temps à la culture de leurs parcelles
individuelles (13). On sait également que la prestation de tra-
vail moyenne des paysans pour les kolkhoz était en 1940 de
262 journées de travail par an (14). Ceci signifie que l'année du
kolkhozien comptait entre 374 et 478 journées de travail à
cette époque. En 1943, la « prestation moyenne » étant passée
à 340 journées de travail par kolkhozien et par an, les paysans
ont dû vraisemblablement fournir entre 500 et 600 journées de
travail par an. Evidemment ces chiffres n'ont qu'une significa-
(11) « La question de l'existence de la propriété privée sur la terre
n'a absolument rien à voir avec la formation de la rente différentielle,
laquelle est inévitable dans l'agriculture capitaliste même sur les
terres
communales, étatiques ou libres. » « Ce n'est pas la propriété privée sur
la terre qui crée la rente différentielle... » (Lénine, Selected Works,
vol. XII,
pp. 65-69.)
(12) Voir sur ce point l'article de Peregrinus.
(13) Economie Planifiée, de décembre 1938 (en russe), cité selon F. Fo-
rest, l. c. p. 21.
(14) Selon la citation du Bolchévik, donnée par Peregrinus dans
Note 11.
sa
28
tion très limitée, puisque nous ignorons à quoi correspond
exactement une << journée de travail » (15). En supposant
qu'elle représente 8 heures de travail, une année de 500 jour-
nées théoriques équivaudrait alors à 4.000 heures, soit 52 se-
maines de 77 heures de travail !
On voit que le poids de cette exploitation, aussi bien du
point de vue du temps de travail que de la spoliation du produit,
est énorme; il en résulte que l'intérêt des paysans pour la
production ne peut être que nul, ou même négatif. Cependant
la production doit continuer, elle doit même augmenter de
plus en plus. Ce qui doit surtout augmenter, c'est la produc-
tion kolkhozienne, base indispensable de l'industrie étatique.
Et puisque les paysans kolkhoziens ne veulent pas coopérer à
la production, il faut les y obliger. Voilà la base économique
propre d'une bureaucratie kolkhozienne monstrueuse ; le con-
trôle et la coercition de plus en plus étendus à exercer sur la
masse paysanne, pour l'obliger à cultiver le kolkhoz, c'est-
à-dire à produire pour l'Etat.
D'après des estimations assez modestes, 1.000.000 de bureau-
crates appartiennent à cette bureaucratie kolkhozienne (prési-
dents de kolkhoz, responsables de toutes sortes, remplaçants,
comptables, etc. -- sans compter les responsables du parti pro-
prement dits ni ceux des autorités locales qui vivent sur le dos
des paysans) ; on arrive à ce chiffre en comptant 4 bureau-
crates par kolkhoz en moyenne (il y a environ 250.000 kolkhoz
dans toute la Russie) (16). Voilà ce qu'en dit la presse russe
officielle :
« Lorsqu'on vérifie les bilans annuels des kolkhoz, on est
frappé par le gonflement visible des frais d'administration et
de direction; parmi les « unités » inscrites sur les états du
personnel, on trouve des « propagandistes de la culture géné-
des « directeurs des isbas rouges » (maisons de propa-
gande), des « économes ». Ils ont mangé une part considérable
des revenus kolkhoziens... En 1940, dans le kolkhoz : « Pouvoir
aux soviets », le personnel administratif a totalisé 12.287 jour-
nées-travail et 37 travailleurs d'élevage 9.872. Dans le kolkhoz
« Aube » il n'y a que deux brigades de kolkhoziens, mais le
nombre des chefs est aussi grand que dans un trust solide...
Dans un kolkhoz de la région de Kouibychev, sur 235 membres
48 occupent des postes administratifs. Il y a près du kolkhoz
un gué; on adjoint au passeur un « chargé de gué >>; outre
le »,
(15) On a vu dans l'article de Peregrinus qu'au moment de la recolte
erle peut consister en 16 heures de travail !
(16) L. Trotsky, La Révolution Trahie, p. 160.
29
un forgeron, il y a un « chargé de forge »; à l'apiculteur du ·
kolkhoz on adjoint un « chargé des ruches »; au président du
kolkhoz on adjoint un remplaçant, trois comptables, trois cal-
culateurs, deux chefs de dépôt, etc... L'entretien de nombreux
organes administratifs revient trop cher aux kolkhoz. Parfois,
les sommes payées aux « administrateurs » correspondent pres-
que au quart du total annuel des journées-travail. Forcément,
cette politique fait baisser les gains des paysans kolkhoziens.
Des fonctionnaires inutiles vivent de leur travail... Les kol-
khoziens dépensent à l'entretien de ces fainéants des milliers
et des milliers de journées-travail; le travail des kolkhoziens
honnêtes se trouve déprécié. » (17)
C'est cependant la décision de l'Etat du 21 avril 1940 qui a
décrété que l'on doit compter à l'actif des dirigeants du kolkhoz,
selon l'étendue des surfaces cultivées, de 45 à 90 journées de
travail par mois, c'est-à-dire de 540 à 1.080 journées de travail
par an, en plus d'un salaire mensuel de 25 à 400 roubles !
Ceci nous donne, en moyenne et grossièrement, 800 journées
de travail et 2.400 roubles par an pour les bureaucrates ko:-
khoziens, cependant qu'à cette époque la « prestation moyenne >>
d'un paysan kolkhozien était de 262 journées de travail par an
et environ 200 roubles en espèces venaient s'ajouter à cette
somme. La différence entre le revenu moyen d'un paysan kol-
khozien et d'un petit bureaucrate agraire est donc de l'ordre
de grandeur de 1 à 5, à quoi il faut ajouter :
a) Que la « moyenne » paysanne dont on tient compte ici
contient vraisemblablement aussi les revenus bureaucratiques,
donc la vraie moyenne est moindre;
b) Que ce rapport concerne uniquement les revenus tirés
du travail kolkhozien en tant que tel, ne tenant pas compte
des revenus provenant des parcelles individuelles; on tendrait
cependant à supposer que dans ce domaine aussi les bureau-
crates se servent mieux que les autres (en parcelles meilleures
et plus grandes, etc.);
c) Que de toute façon, les revenus du paysan représentent
des revenus de travail, cependant que les revenus des bureau-
crates « rémunèrent » le mouchardage et le maniement du
knout.
Si l'on laisse le domaine de la répartition pour pénétrer plus
profondément, l'on constate facilement que cette bureaucratie
(17) La Pravda du 20 mars et 7 avril 1941, citée d'après G. Alexinsky,
LarRussie révolutionnaire, p. 192-193.
30
exerce, ici comme partout ailleurs une dictature absolue. Voilà
ce qu'en dit la presse russe :
... Un grand nombre de conseils administratifs des kol-
koz, ou même leurs présidents seuls, transgressent le statut
kolkhozien, et, sans compter avec l'opinion des membres du
kolkhoz, dépensent de l'argent à droite et à gauche. Les auto-
rités soviétiques et les organisations du parti se sont habituées
à ces infractions au statut kolkhozien. Elles ne voient pas que
la majorité des paysans est évincée de la gestion des kol-
khoz. » (18)
Actuellement les soviets villageois sont souvent écartés
des questions essentielles des affaires kolkhoziennes et ne
s'occupent pas des problèmes les plus importants de la vie
économique et culturelle du village... Actuellement, il est rare
que les villageois soient convoqués aux réunions (des soviets).
Les questions de la vie villageoise ne sont qu'exceptionnelle-
ment examinées par les paysans. Les soviets des rayons, pre-
nant des centaines et des centaines de décisions, oublient
souvent même de les porter à la connaissance des villageois
qui devront les exécuter... » (19)
Ces lignes méritent à peine une analyse. On y reconnaît
atsément la monstrueuse nudité de la bureaucratie, à peine
voilée par les euphémismes pudiques de ses propres chroni-
queurs (les « souvent » et les « rarement », là où il faudrait lire
toujours et jamais). Les traits de cette bureaucratie agricole
sont point par point identiques à ceux de sa sour aînée, la
bureaucratie des usines et de l'Etat. La même incompétence,
la même avidité, la même imbécillité (ces centaines de déci-
sions qu'on ne porte pas à la connaissance de ceux qui doivent
les exécuter ce qui met cette nouvelle « élite de l'humanité »
du point de vue de l'efficacité bureaucratique au-dessous du
niveau de l'adjudant moyen d'une armée bourgeoise) en défi-
nitive, le même besoin d'une exploitation illimitée du travail-
leur et son corollaire indispensable, l'asservissement complet
du travailleur sur tous les plans.
LA RÉACTION DE LA PAYSANNERIE.
Dans l'exploitation illimitée, dans la dictature et la terreur
imposées aux travailleurs de la campagne, les nouvelles cou-
(18) La Pravda du 26 mars 1941, citée d'après Alexinsky, 1. C. p. 192.
(19) Les Isvestia, du 5 juillet 1941.
31
ches privilégiées du village trouvent évidemment leur compte.
Mais l'énorme majorité de la paysannerie ne peut que haïr ce
régime monstrueux et lutte contre lui avec tous les moyens
dont elle dispose. L'étude de ses réactions face au nouveau
mode d'exploitation présente un intérêt extrême pour la théorie
et la politique révolutionnaire.
La réaction de l'exploité face à l'exploitation, sous tous les
régimes et à toutes les époques, commence par se manifester
de la même manière : hostilité vis-à-vis de la production elle-
même, indifférence quant au résultat de celle-ci. Ceci d'autant
plus que le mode d'exploitation sépare le résultat de la pro-
duction de la rémunération du travailleur, comme dans l'es-
clavage antique et en général dans le salariat moderne. Le
salaire au rendement, sous toutes ses formes, a été le moyen
par lequel la classe exploiteuse a essayé de combattre cette
réaction de « ses » prolétaires, réaction qui met en cause l'exis-
tence même de la société d'exploitation.
La répartition du produit de l'agriculture kolkhozienne entre
l'Etat (qui prend aussi bien la forme impersonnelle de l'Etat-
collecteur du produit que la forme incarnée de la bureaucratie
kolkhozienne) et le paysan-producteur constitue précisément,
dans le cas présent, une sorte de « salaire au rendement »,
puisque la rémunération du kolkhozien est proportionnelle à
la récolte et celle-ci est fonction, théoriquement et tout au moins
en partie, de la quantité et de la qualité du travail fourni.
Mais rien n'indique peut-être autant le poids de l'exploitation
bureaucratique sur la paysannerie que le fait que celle-ci, malgré
cette liaison de son revenu avec le résultat de la production
kolkhozienne, refuse constamment et obstinément de travailler
le champ kolkhozien, refus dont témoigne l'introduction du
travail forcé au village, auquel la bureaucratie fut obligée à
recourir. Dans son effort d'échapper le plus possible à l'exploi-
tation bureaucratique, la paysannerie trouva - et continuera
longtemps à trouver un exutoire dans les petites parcelles
d'exploitation individuelle que la bureaucratie fut obligée de
lui laisser après son écrasante victoire dans la bataille de la
« collectivisation ».
On sait qu'incapable de vivre avec le misérable revenu que
lui procure sa participation à la production kolkhozienne, la
paysannerie s'est tournée dès avant la guerre vers la culture
de plus en plus intense de ces parcelles individuelles. Ce phé-
nomène a ainsi une racine économique immédiate - qui ne se
trouve nullement dans le « bas niveau des forces productives »,
comme on a voulu le faire croire, mais dans l'exploitation
32
effrénée menée par la bureaucratie puisqu'il est le résultat
direct de l'insuffisance des revenus provenant de l'exploitation
kolkhozienne; mais il a en plus une signification sociale qu'il
nous faut analyser, parce que des erreurs considérables ont
été commises sur ce point dans le mouvement marxiste.
Le besoin pour les paysans de consacrer une grande partie de
leur temps et de leurs moyens à la culture des parcelles indi-
viduelles résulte de l'exploitation sans précédent que l'Etat
bureaucratique fait peser sur les kolkhoz. Non seulement ce
phénomène n'a rien à voir avec les « penchants individualistes »
soi-disant éternels de la paysannerie, mais il n'est pas déter-
miné non plus par le « bas niveau des forces productives » de
l'économie agraire russe. Même dans le cadre des forces pro-
ductives existantes en Russie qui se sont avérées parfaite-
ment capables d'équiper en machines et d'approvisionner en
engrais les exploitations kolkhoziennes, de toute façon jusqu'au
point nécessaire pour leur existence rationnelle; - les paysans
sont parfaitement capables de comprendre et ont sans doute
compris les énormes avantages de la grande culture mécanisée
face à la traditionnelle exploitation parcellaire. Mais ces avan-
tages n'existent que du point de vue de la productivité en ma-
tière et sont par conséquent purement et simplement théori-
ques, du point de vue du paysan producteur. Le plus arriéré,
le plus réactionnaire, le plus abruti des paysans, est obligé de
comprendre, après une ou deux années d'expérience, que la
terre, cultivée mécaniquement, en utilisant des engrais chi-
miques et des grains sélectionnés, a des rendements considé-
rablement supérieurs avec une dépense de travail incompara-
blement moindre. Mais à quoi servent les rendements, si la
production est accaparée par les exploiteurs ? Supposons qu'en
travaillant 100 journées par an la terre du kolkhoz, en utilisant
les moyens modernes, 10 paysans récoltent 1.000 quintaux de
blé et qu'en consacrant autant de journées à leur parcelle ils
n'en récoltent chacun que 30. Mais qu'importent aux paysans
ces rendements vraiment abstraits, que leur importe le fait
qu'en travaillant au kolkhoz ils ont chacun produit 180 quin-
taux cependant que le travail sur la parcelle individuelle n'en
a rendu que 30, lorsqu'ils savent qu'une fois déduites la collecte
de l'Etat, la vente obligatoire aux S.M.T., la « rémunération >>
légale des bureaucrates locaux, il ne leur reviendra de cette
récolte miraculeuse que 20 ou 25 quintaux ? Dans ces conditions,
C'est encore le travail de la parcelle individuelle qui s'avère
le plus rentable. Le paysan pensera : « Ces méthodes sont trop
bonnes pour moi. » En jetant un regard mélancolique vers les
33
tracteurs, il se dira : « On pourrait vraiment faire du bon
travail avec ces machins, s'il nous foutaient la paix... » Dt
il s'en ira retourner son petit lopin. C'est-à-dire il ne s'en ira
pas du tout, parce qu'il n'est pas libre de s'en aller et parce
qu'il est obligé de travailler sur le kolkhoz s'il ne veut pas
être déporté. Mais il y travaillera en y mettant le minimum.
C'est donc, sur la base des forces productives données, l'ex-
ploitation bureaucratique qui pousse les paysans vers la cul-
ture individuelle. Mais quelle est la signification sociologique
de ce phénomène ?
Qu'il s'agisse là d'une tendance objectivement rétrograde
aussi justifiée puisse-t-elle être du point de vue des intérêts
immédiats des paysans exploitées et même de la nécessité de
leur simple conservation biologique dans un régime dans lequel
toute revendication est par définition impossible il est à
peine besoin de le dire. Mais ce qui nous importe ici, c'est de
voir quelle est sa place dans le développement de la conscience
sociale et politique de la paysannerie. Pour bien comprendre
le problème, une comparaison avec une étape analogue dans
la formation de la conscience prolétarienne est nécessaire.
Au début de l'ère capitaliste, en percevant l'énorme aggra-
vation de l'exploitation que signifie pour lui l'introduction du
machinisme, le proletariat ne s'oriente pas immédiatement et
directement vers des solutions révolutionnaires, ni même sim-
plement « progressives ». Ses premières réactions sont souvent
rétrogrades et objectivement réactionnaires : le bris des ma-
chines, la volonté de revenir vers une production artisanale,
dans laquelle chacun pourrait s'établir petit producteur indé
pendant expriment mutatis mutandis la même illusion de « re-
tour en arrière », la même recherche d'une solution utopique
que le tournant vers les exploitations individuelles chez les
paysans kolkhoziens. Ce n'est qu'après un long et double appren-
tissage, apprentissage concernant d'abord le caractère inéluc-
table de l'introduction du machinisme capitaliste dans la pro-
duction, ensuite la possibilité d'utiliser ce machinisme précisé-
ment pour abolir l'exploitation, ce n'est que lorsque la classe
ouvrière comprend que de toute façon on ne peut pas revenir
en arrière, et que d'ailleurs il n'est pas besoin d'y revenir pour
limiter ou abolir l'exploitation, ce n'est que lorsque la nécessité
du capitalisme et la possibilité de son renversement lui sont
apparges en clair que la classe ouvrière commence à se placer
sur le terrain révolutionnaire. Toutes proportions gardées, la
même chose est valable pour la classe paysanne au fur et à
34
mesure de l'introduction du machinisme et de la domination du
capitalisme bureaucratique dans l'agriculture.
L'étude de la formation de la conscience de classe de la ,
paysannerie au long de ce processus sort des cadres de notre
étude. Mais nous devons justifier l'analogie que nous avons
établie sur deux points fondamentaux, et ceci nous permettra
en même temps d'écarter les conceptions erronées sur cette
question qui ont eu cours dans le mouvement révolutionnaire.
Pour que l'évolution de la paysannerie se fasse dans le sens
que nous avons indiqué, c'est-à-dire dans un sens révolution-
naire, il faut tout d'abord que le caractère ineluctable de sa
situation lui soit irrefutablement démontré; il faut qu'une
expérience suffisamment longue et pertinente lui prouve le
caractère illusoire de toute tentative de retour en arrière, et
ceci n'aura lieu que dans la mesure où un tel retour est réelle-
ment impossible, c'est-à-dire où la restauration d'un capita-
lisme « privé » est exclue. Il faut ensuite qu'une autre solution,
la solution révolutionnaire, lui apparaisse comme possible. Ceci
implique, d'une part, que le progrès technique et le développe-
ment des forces productives continuent, d'autre part, que le
caractère parasitaire et inutile de la classe dominante appa-
raisse en clair.
On sera rès bref en ce qui concerne ce deuxième aspect de
la question. Les forces productives continuent toujours à se
développer, c'est un fait, et non moins dans l'agriculture que,
dans les autres branches de la production. Aussi longtemps
que la lutte entre les différentes classes dominantes continuera,
celles-ci seront obligées de poursuivre l'application du progrès
technique dans la production - certes d'une manière contra-
dictoire, irrationnelle, avec un gaspillage énorme, mais avec
des résultats réels, car il y va de leur existence même. Et au
fur et à mesure de ce développement, le caractère parasitaire
de la classe dominante peut apparaître de plus en plus claire-
ment aux yeux des producteurs.
Par contre, il nous faut insister beaucoup plus sur l'autre
aspect du problème, c'est-à-dire la démonstration pratique aux
yeux de la paysannerie de l'impossibilité de tout retour en
arrière, de toute restauration du mode traditionnel privé d'ex-
ploitation de la terre. On sait que Staline a procédé à trois
reprises à une démonstration spectaculaire de cette proposi-
tion : lors de la première bataille sanglante de la « collectivi-
sation » (1929), lors de l'instauration du travail forcé dans les
kolkhoz (1939), lors de l'expropriation des couches paysannes
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aisées de l'épargne qu'elles avaient constituée pendant la guerre
par le moyen de la « réforme monétaire » (1947). A chaque fois,
la fameuse « lutte entre les tendances privées et l'économie
étatique » s'est résolue à l'avantage écrasant de cette dernière.
Il ne pouvait pas en être autrement. Dans sa lutte contre
les réactions « individualistes » des paysans, la bureaucratie
étatique dispose, sur le plan économique, politique et social,
d'armes redoutables qui mettent le petit producteur à sa merci.
Plus même, c'est toute la dynamique de l'économie moderne
qui garantit à la bureaucratie, personnification du capital cen-
tralisé, une victoire inéluctable sur la petite exploitation indi-
viduelle.
Ceci paraît évident pour un marxiste. Cependant, dès les
premières années de la Révolution russe, Lénine développa sur
ce point une position fausse, qui, reprise ensuite par Trotsky
et l'opposition de gauche, fut une source constante d'erreurs
dans le mouvement d'avant-garde, l'induisant constamment à
des fautes cruciales sur la perspective et l'empêchant d'appré-
cier correctement la nature de l'Etat russe.
Voici une, parmi les centaines de citations de Lénine que
l'on peut trouver dans ce sens : « La dictature du prolétariat
est la guerre la plus déterminée et la plus iinpitoyable que la
nouvelle classe mène contre un ennemi plus puissant, la bour-
geoisie, dont la résistance est accrue dix fois par son renverse-
ment (même si ce renversement n'a lieu que dans un seul pars)
et dont la force ne se trouve pas seulement dans la puissance
du capital international, dans la puissance et le caractère
durable des liaisons internationales de la bourgeoisie, mais
dans la force de l'habitude, dans la force de la petite prodric-
tion. Car malheureusement, la petite production est toujours
extrêmement répandue par le monde, et la petite production
engendre le capitalisme et la bourgeoisie continuellement, quo-
tidiennement, toutes les heures, spontanément et à une échelle
de masse. » (20)
En ce qui concerne Trotsky, à peine est-il besoin de rap-
peler qu'il a considéré toute l'histoire du développement social
en Russie depuis 1921, pour autant que ce développement était
fonction de facteurs indigènes, comme déterminée par la pres-
sion continue que les éléments tendant vers une restaura-
tion du capitalisme privé (Nepman et Koulaks) exercent sur
les formes socialistes de la propriété étatique », la domination
de la bureaucratie n'étant expliquée en définitive que comme
(20) Lénine : La maladie infantile du Communisme, ch. 2.
36
7
::
une position d'équilibre entre les deux « forces fondamentales >>
le prolétariat urbain et les éléments bourgeois de la ville et de
la campagne. La base économique de cette conception était
pour Trostsky l'idée de Lénine selon laquelle la simple pro-
duction marchande engendre constamment et infailliblement
le capitalisme.
Pourtant, cette idée est fausse : tout au moins elle est fausse
sous cette forme générale. La simple production marchande
existe sur la terre depuis des millénaires, tandis que le capi-
talisme n'est apparu que ces derniers siècles. La simple pro...
duction marchande est absolument incapable de conduire en
tant que telle au capitalisme, si d'autres conditions n'existent
pas. Ces conditions sont en plus d'un niveau donné des
forces productives l'existence de la force de travail en tant
que marchandise. la possibilité de s'approprier sur le mode
privé les moyens de production essentiels, et l'existence d'un
capital c'est-à-dire d'une somme de valeurs suffisamment
grande pour produire de la plus-value - en tant que propriété
privée. Or, ce sont précisément ces conditions décisives pour le
passage de la simple production marchande à la production
capitaliste privée conditions que la simple production mar-
chande en tant que telle non seulement ne crée pas automati-
quement, mais que par sa réglementation propre elle tend à
empêcher d'apparaître, comme le prouve l'histoire de la pro-
duction artisanale en Europe occidentale ce sont ces condi:
tions essentielles qui font défaut en Russie. La force de travail
n'existe plus en tant que marchandise cette marchandise,
quant à son emploi productif, étant soumise au monopole
d'achat absolu de l'Etat qui seul peut employer le travail
« salarié » dans la production (21). La possibilité de s'appro-
prier des moyens de production n'existe pas davantage, ni non
plus la chance de réunir la somme de valeurs indispensable
pour acheter les machines, les matières premières et la force
de travail nécessaires pour la mise en marche d'une entre-
(21) Il a fallu la perspicacité de tous les « dirigeants » de la IV:
Inter-
nationale, réunis en Congrès Mondial, pour découvrir qu'actucllement en
Russic...«l'embauche privée de salariés se fait sur une échelle de plus
en
plus grande, à la ville et à la campagne..., mais sa fonction reste
limitée
à la satisfaction privée des besoins de consommation des éléments privi-
légiés et à une production artisanale pour le marché ! ». (Documents et
résolutions du II Congrès Mondial de la Ile International, Paris, 1948,
p. 29.) Tout le monde sait en effet l'importance de la plus-value
extraite
aux domestiques pour l'accumulation du capital. Quant à la production
artisanale qui emploie de la main-d'ouvre salariée (ou ? quand ? combien
?),
comment douter des énormes dangers que représente pour le trust étatique
de la chaussure le redoutable Efraim Efraimovitch, vorace cordonnier de
Dourakinovo, avec ses deux apprentis ?
37
prise capitaliste. Par conséquent tout surcroît de valeurs qu'un
individu peut, d'une manière ou d'une autre, arriver à réunir,
ne peut être que thésaurisé, mais non accumulé productivement
par l'individu lui-même, sinon dans des limites extrêmement
étroites et que l'Etat surveille de très près.
Mais l'idée que nous critiquons ici contient une erreur en-
core plus profonde. Non seulement les conditions fondamen-
tales pour le passage de la simple production marchande à la
production capitaliste privée manquent en Russie, mais le dy-
namisme, l'automatisme propre de l'économie condamne cha-
que jour davantage cette petite production au profit du capital
centralisé. On peut discuter à perte de vue sur les rapports
de la simple production marchande avec la naissance du capi-
talisme. Aujourd'hui nous ne nous trouvons pas au xvIT ou
au XVIIIe siècle, mais en plein milieu du xx®. Le capitalisme
que nous avons devant nous n'est pas le capitalisme naissant;
C'est un capitalisme qui commence à dépasser le stade de la
concentration monopolistique pour arriver à la concentration
intégrale de la production à l'échelle mondiale. Laissons de
côté le cas russe pour le moment et envisageons le cas d'un
simple monopole dans un pays capitaliste ordinaire. Supposons
que quelqu'un vient nous raconter que Ford et la General
Motors sont sérieusement menacés par les garagistes qui se
mettent à faire des réparations aux voitures, et que l'Etat