SOCIALISME ou BARBARIE
Paraît tous les deux mois
Comité de Rédaction :
P. CHAULIEU
Ph. GUILLAUME C. MONTAL J. SEUREL (Fabri)
Gérant : G. ROUSSEAU
Ecrire à:
« SOCIALISME OU BARBARIE »
18, rue d'Enghien - PARIS-10
Règlements par mandat:
G. ROUSSEAU - C.C.P. 722.603
.
ABONNEMENT UN AN (six numéros).... 500 francs
1
LE NUMERO
100 francs
Nous publions le présent numéro sous la forme d'un numéro
double (5-6) de 160 pages, pour combler le retard de sa paru-
tion. Nous sommes obligés du fait de son importance de le
vendre 150 francs.
:
!
SOCIALISME OU BARBARIE
LA BUREAUCRATIE YOUGOSLAVE
De 1923 à aujourd'hui, le mouvement ouvrier a été dominé
par le stalinisme. Maintenant sous son emprise les fractions
les plus évoluées et les plus combatives du prolétariat, la poli-
tique de la bureaucratie stalinienne a été le facteur prédo-
minant dans le dénouement des crises sociales du dernier
quart de siècle. Une des manifestations les plus significatives
de cette prédominance écrasante fut, pendant toute cette pé-
riode, l'impossibilité de reconstituer face au stalinisme une
avant-garde révolutionnaire digne de ce nom, c'est-à-dire une
avant-garde fondée sur des bases idéologiques et programma-
tiques solides et exerçant une influence réelle auprès d'une
fraction même minime du proletariat. L'obstacle principal
auquel se heurtait cette reconstitution a été l'incertitude et la
confusion qui prévalaient quant à la nature et les perspectives
de développement du stalinisme lui-même, incertitude et con-
fusion qui étaient alors presque inevitables. La bureaucratie
stalinienne se trouvait encore « à l'état naissant »; ses traits
fondamentaux se dégageaient à peine de la réalité sociale; son
pouvoir n'était réalisé que dans un seul pays, complètement
coupé du reste du monde; les partis staliniens restaient, dans
presque tous les pays capitalistes, des partis « d'opposition ».
Tous ces facteurs expliquent à la fois pourquoi le prolétariat
n'a pas pu, pendant cette période, se dégager de l'emprise sta-
linienne et pourquoi l'avant-garde elle-même n'est pas arrivée
à comprendre la nature de la bureaucratie et à définir face à
celle-ci un programme révolutionnaire.
?
1
Malgré les apparences, la deuxième guerre impérialiste a
apporté à cette situation un changement radical. La bureau-
cratie stalinienne a largement débordé le cadre de l'ancienne
Russie; elle est devenue force dominante, elle exerce le pou.
voir dans une dizaine de nouveaux pays, parmi lesquels se
trouvent aussi bien des régions industrielles évoluées, comme
la Tchécoslovaquie ou l'Allemagne orientale, qu'un immense
territoire arriéré, comme la Chine. Ce qui pouvait auparavant
paraître comme une exception, ou le résultat des particula-
rités de la Russie, le pouvoir absolu de la bureaucratie, s'est
révélé comme également possible ailleurs. Les partis staliniens
dans les pays bourgeois ont connu dans la plupart des cas
un développement puissant, mais par là même ils ont été
obligés à participer aux « responsabilités du pouvoir » et à
assumer le rôle de promoteurs d'une société bureaucratique.
Par cette extension considérable, le stalinisme a virtuelle-
ment perdu son « mystère ». En considérant la masse ouvrière,
on ne peut plus nier qu'une expérience de la bureaucratie sta-
linienne a commencé, autrement plus profonde que celle qui
était possible avant la guerre; car l'expérience actuelle du
stalinisme ne concerne plus ses « trahisons », mais la nature
même de la bureaucratie en tant que couche exploiteuse. Cette
nature est ou sera obligatoirement comprise par les prolé-
taires des régions où la bureaucratie stalinienne a pris le
pouvoir. Pour le proletariat des autres pays, le doute sur cette
question tend à laisser la place à une certitude corroborée par
la compréhension de l'attitude et du rôle de la buraucratie po-
litique et syndicale stalinienne dans le cadre du régime capi-
taliste. Pour ce qui est de l'avant-garde, tous les éléments lui
sont maintenant donnés pour élaborer et diffuser au sein de
la classe une conception claire de la bureaucratie et un pro-
gramme révolutionnaire face à celle-ci.
Mais, plus encore que dans les rapports entre la classe
ouvrière et la bureaucratie, l'expansion actuelle du stalinisme
fait paraître un changement radical dans la situation de la
bureaucratie elle-même. La bureaucratie est sortie de la guerre
infiniment renforcée quant au potentiel matériel et humain
dont elle dispose; mais cette expansion a fait apparaître avec
beaucoup plus de force qu'auparavant les contradictions pro-
pres de la bureaucratie, inhérentes à sa nature de couche ex-
ploiteuse. Ces contradictions découlent évidemment de l'op-
position radicale entre ses intérêts et ceux du proletariat. Les
partis staliniens ne sont rien sans l'adhésion de la classe ou.
2
vrière, par conséquent ils sont obligés de maintenir et d'appro-
fondir leur liaison avec celle-ci, précisément pour pouvoir lui
imposer une politique radicalement hostile à la fois à ses in-
térêts immédiats et à ses intérêts historiques; de là une oppo-
sition, sourde au départ, qui ne peut aller qu'en croissant.
Cette opposition est en apparence supprimée lorsque la bu-
reaucratie s'empare du pouvoir; on peut dire qu'alors, au fur
et à mesure qu'elle instaure sa dictature absolue, elle se dé-
barrasse du besoin de l'adhésion des ouvriers. Mais en réalité,
la contradiction ne fait que se reporter sur un plan encore
plus profond et plus important, le plan économique, et là
elle s'identifie avec la contradiction fondamentale de l'exploi.
tation capitaliste. Si la bureaucratie, en parvenant au pouvoir,
cesse d'avoir besoin de l'adhésion politique des ouvriers, elle
n'en a que davantage besoin de leur adhésion économique. Les
ouvriers peuvent, en tant qu'agents politiques, être matés par
le Guépéou; en tant que producteurs qui refusent d'être ex-
ploités, ils sont irréductibles. La contradiction élémentaire
entre les intérêts ouvriers et l'exploitation bureaucratique de-
vient, à ce stade, matériellement évidente pour le prolétariat.
La nécessité dans laquelle se trouve la bureaucratie d'exploiter
au maximum l'ouvrier tout en le faisant produire le plus pos-
sible crée ime impasse qui s'exprime dans la crise de la pro-
ductivité du travail; celte crise n'es! autre chose que
le refus
définitif des ouvriers en tant que producteurs d'adhérer à un
régime dont ils ont compris le caractère exploiteur. L'écono-
mie et la société bureaucratique se trouvent ainsi devant une
impasse que la bureaucratie essaie de dépasser en augmen-
tant l'exploitation donc en aggravant les causes mêmes
de la crise et en étendant l'aire de sa domination. Le besoin
d'expansion, l'impérialisme bureaucratique découle ainsi iné-
luctablement des contradictions de l'économie bureaucratique
en tant qu'économie d'exploitation.
On a pu observer matériellement cette évolution au cours
des dix dernières années. Il est apparu que l'aggravation
constante de l'exploitation des ouvriers et la nécessité interne
d'expansion étaient des traits essentiels du capitalisme bureau-
cratique. Il est apparu aussi que cette expansion ne pouvait se
faire que par la bureaucratisation totale des pays qui étaient
soumis à la domination russe. Mais cette bureaucratisation,
non seulement signifie que la contradiction dont nous avons
parlé s'amplifie, mais qu'une autre apparaît au sein même de
la bureaucratie. Entre les bases nationales et les bases inter-
nationales du pouvoir de la bureaucratie une opposition se
3
manifeste; la bureaucratie ne peut exister qu'en tant que
classe mondiale, mais en même temps elle est dans chaque
nation une classe sociale ayant des intérêts particuliers. Les
bureaucraties des différents pays tendent donc nécessairement
à s'opposer les unes aux autres, et cette opposition non seu-
lement s'est manifestée, mais a éclaté violemment dans la
crise russo-yougoslave.
Cet article nous permettra de concrétiser les idées que nous
avons énoncées par l'analyse de la naissance et de l'évolution
de la bureaucratie yougoslave. Le choix de ce sujet n'a pas
besoin de longues explications. Du point de vue théorique, la
« question yougoslave » est un test des plus importants pour
les conceptions sur la bureaucratie stalinienne qui se sont
affrontées depuis des années. Comme personne ne peut nier
que la bureaucratie yougoslave est arrivée au pouvoir par sa
propre action (le rôle de la Russie et de l'armée soviétique en
Yougoslavie ayant été totalement indirect), l'analyse de la
question yougoslave permet de régler définitivement le pro-
blème de la possibilité pour la bureaucratie de prendre le
pouvoir, comme aussi le problème de la structure économique
et sociale à laquelle ce pouvoir correspond. D'autre part, le
conflit, dont la crise yougoslave fut l'expression la plus aiguë
connue à ce jour, entre bureaucraties nationales (et particuliè-
rement entre la bureaucratie d'un pays secondaire et la bu-
reaucratie russe) conduit à examiner le problème des contra-
dictions impliquées dans les rapports entre différentes bureau-
craties et de la perspective de développement de ces contra-
dictions dans l'avenir. Répondre à ce problème qu'il s'agit là
d'une « querelle de cliques bureaucratiques », est une réaction
primitive, saine et positive sans doute comme réaction élé-
mentaire, mais à laquelle ne saurait s'arrêter l'avant-garde
révolutionnaire; les moteurs de ce conflit et son développe-
ment l'intéressent au plus haut point.
Du point de vue politique, l'importance de la crise you-
goslave se traduit par l'influence qu'elle peut exercer sur les
ouvriers en train de se détacher du stalinisme. Non pas que
ces ouvriers risquent d'être entraînés par le « titisme »; l'ex-
périence elle-même prouve qu'il n'en est rien. Mais les efforts
conjugués des confusionnistes, à commencer par les trotskystes
et à finir par les épaves politiques de l'ex-R.D.R., qui ont
trouvé dans l'affaire Tito une occasion inespérée de prolonger
leur existence caduque en s'accrochant à une nouvelle planche
pourrie, peuvent créer le trouble auprès de quelques militants
4
d'avant-garde. Il est indispensable de dissiper cette confusion
et d'aider. ainsi les couches ouvrières qui sont en train de se
débarrasser de l'emprise stalinienne à tirer les conclusions
nécessaires sur la véritable nature de la bureaucratie et de
ses conflits internes,
QUELQUES QUESTIONS DE METHODE
Le matériel le plus important dont on dispose pour étudier
la question yougoslave est l'ensemble des textes et des docu-
ments publiés par les deux parties en cause. Pour pouvoir
apprécier la valeur de cette documentation, pour voir de
quelle manière son utilisation est possible, il nous faut la
situer dans son cadre et voir comment elle a évolué.
On sait que l'explosion de la crise russo-yougoslave a été,
aussi bien pour le grand public que pour les « spécialistes » de
la politique un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages. Jus-
qu'au 28 juin 1948, rien ne semblait troubler l'idyllique har-
monie des rapports entre l'église stalinienne et sa fille aînée
et préférée. La résolution du Kominform, première expression
ouverte de la lutte qui, comme on le sait maintenant, șe pour-
suivait depuis quelque temps dans la coulisse, (1) gardait un
ton « politique »; elle critiquait le P.C. yougoslave pour une
série de « déviations » (sous-estimation du rôle de l'U.R.S.S.,
liquidation du parti communiste au profit du Front Populaire,
suppression de la « démocratie » dans le parti communiste et
dans le pays, politique aventuriste et « extrémiste » sur la
liquidation du capitalisme en même temps qu'abandon de
la lutte de classes à la campagne aboutissant au renforcement
des koulaks), nommait Tito et Djilas comme responsables de
ces déviations et sommait le P.C. yougoslave de changer à la
fois sa politique et sa direction. Bien entendu, aucun fonde-
ment, aucun essai de démonstration n'était apporté à ces « cri-
tiques », qui non seulement sont contradictoires entre elles,
mais s'adresseraient tout aussi bien et au même titre, à n'im-
porte quel autre parti stalinien au pouvoir, à commencer par
celui de l’U.R.S.S. Inutile d'insister sur ce que peuvent avoir
(1) V. plus loin,
« La rupture avec Moscou ».
5
de tragiquement bouffon les critiques sur l'absence de démo-
cratie en Yougoslavie, faites par les gens du Kominform qui
en parlent en connaissance de cause.
Il serait stupide de prendre au sérieux l'argumentation de
la résolution du Kominform. Comme toutes les manifestations
idéologiques du stalinisme, sa teneur apparente n'a qu'un rap-
port lointain et purement symbolique avec son véritable con-
tenu, qui ne s'y trouve que d'une manière latente. En réalité
la résolution doit être traduite de la manière suivante : la di-
rection du P.C. yougoslave nous échappe, il faudrait la chan-
ger; il reste peu de chances d'opérer ce changement sans rup-
ture (c'est pourquoi nous portons le conflit au grand jour; la
critique « politique » publique, sans l'accord des intéressés, est
le suprême moyen « pacifique »); il n'est pas exclu que le P.C.
yougoslave se soumette c'est pourquoi nous ne coupons pas
encore tous les ponts el nous laissons entendre que le redres-
sement de ce parti est possible sous certaines conditions; mais
c'est là la perspective la moins probable) ; mais dans le cas où
les Yougoslaves maintiendront leur attitude, nous passerons à
l'attaque la plus violente possible (dont nous posons dès au-
jourd'hui les jalons en mettant le doigt sur une série de dévia-
tions, dont chacune, comme on sait, conduit directement au
« fascisme »).
La résolution du Kominform donne le ton à la polémique
des organes staliniens pendant cette première période : le style
des attaques devient de plus en plus violent, mais le parti
communiste yougoslave n'est pas encore considéré comme irré-
médiablement perdu.
Pendant cette même période, qui couvre les deux ou trois
premiers mois de la rupture, la réaction de la bureaucratie
yougoslave est purement défensive; son attitude est manifes-
tement gênée et tâtonnante. Les titistes se bornent à repousser
les accusations du Kominform, c'est-à-dire à les nier purement
et simplement. On chercherait en vain, dans leurs réponses,
une argumentation ou des données matérielles quelconques.
1
!
i
La situation se renverse pour ainsi dire complètment au
cours de la période suivante (qui commence avec l'hiver 1948);
les attaques du Kominform, suivant la voie du développement
normal de la polémique stalinienne, culminent dans l'identifi-
cation du titisme avec le fascisme, la caractérisation de la di-
rection titiste comme « bande d'espions, traîtres et assassins »,
voire même « trotskystes », et dès lors, cette réduction fonda-
mentale opérée, l'affaire Tito équivaut pour le stalinisme à
V
6
une affaire policière. Il s'agira désormais non plus de criti-
quer les déviations yougoslaves ou de lutter contre elles, mais
de poser l'appartenance des dirigeants du P.C. yougoslaves, dès
1941 (sinon avant), à diverses polices impérialistes et de don-
ner l'éclat rituel indispensable à la reconnaissance de ce fait
par le moyen de « procès » basés sur les aveux spontanés des
accusés, aveux dont l'authenticité sera scellée
par
le
sang
des
avouants eux-mêmes. La Yougoslavie sera désormais un pays
fasciste, jusqu'au jour où les forces historiques (dont comme
on sait, l'armée russe est la diligente sage-femme), permettront
de la débarrasser de ses dirigeants vendus à l'impérialisme.
C'est précisément au cours de cette deuxième période que
la bureaucratie titiste passe à la contre-offensive sur le plan
idéologique et qu'elle cesse de récuser purement et simple-
ment les attaques du Kominform, pour retourner les accusa-
tions contre l'adversaire. C'est à partir de ce moment que l'on
assiste au développement d'une idéologie titiste propre, dont
l'intérêt réside en ce qu'elle est l'expression quasi-naturelle
et universelle de toute bureaucratie exploiteuse luttant sur
une base « nationale » contre un impérialisme bureaucrati.
que (2) qui tend à se la soumettre. L'analyse de cette idéologie
est une tâche d'une importance particulière, et nous y revien.
drons longuement. Notons simplement ici que son caractère
mystificateur apparaît avec évidence lorsqu'on constate qu'à
aucun moment, maintenant comme avant, la bureaucratie you-
goslave ne répond réellement aux accusations qui lui ont été
portées ou qui auraient pu l'être : aucune indication sur le
niveau de vie des ouvriers et des paysans yougoslaves, par
exemple, et sur celui des bureaucrates; aucune indication sur
la répartition du revenu national; aucune indication réelle.
sur les « progrès. » de la production; aucune explication sur
la structure des rapports de production, sur la gestion par
exemple de la production, sur le véritable rôle des syndicats
ou des comités « populaires » et ainsi de suite pour toutes
les questions tant soit peu importantes. La bureaucratie you-
goslave suit ainsi l'exemple donné depuis plus de vingt ans
sur ce terrain par son aînée, la bureaucratie russe, en dissi-
mulant dans toute la mesure du possible la réalité sociale aux
yeux du public ouvrier mondial. Il est clair que ce silence
est le plus éloquent des aveux; car qu'est-ce qui pourrait
gêner la bureaucratie yougoslave dans la publication de sta-
tistiques relatives au niveau de vie, par exemple, si de ces
(2) Nous nous expliquerons plus lois sur ce terme.
7
.4
1
statistiques il ressortait ne serait-ce qu'une augmenattion
de 10 p. 100 de ce niveau de vie ?
Il faut en conclure que les documents officiels de la bu-
reaucratie yougoslave ne sont utilisables, comme tous les docu-
ments de la bureaucratie contemporaine, qu'en tenant compte
en premier lieu de leur caractère de camouflage. Evidemment
à travers le camouflage et très souvent du fait du camouflage
lui-même la réalité ne peut que percer, dans ses aspects les
plus essentiels, sinon dans ses détails. Mais il est impossible
de s'en servir sans les analyser et sans se demander quels inté-
rêts ils sont destinés à servir et selon quelle méthode. En poli-
tique, il n'y a que les imbéciles qui croient sur parole.
Il est nécessaire de conclure ces pensées par une considé.
ration générale. Nous n'allons pas forger une conception de
la bureaucratie à partir de l'étude du cas yougoslave; nous
allons analyser le cas yougoslave à partir d'une conception de
la bureaucratie que nous avons déjà. L'accession de la bureau-
cratie yougoslave au pouvoir, sa rupture avec Moscou ne sont
que des manifestations particulières d'un processus général
qui s'affirme depuis trente ans; elles ne peuvent être comprises
qu'en tant que parties intégrantes de cet ensemble et ce n'est
qu'à cette condition seulement que leur analyse permet d'ap-
profondir et d'enrichir une conception générale de la bureau-
cratie. Laissons aux journalistes petits-bourgeois leur pré-
tendue « objectivité » et leur prétendu « manque de préju-
gés », qui ne sont jamais que la couverture consciente ou in-
consciente d'une somme extraordinaire de préjugés les plus
grossiers et les plus primitifs. Pour nous, il ne s'agit pas de
découvrir avec éblouissement que Tito a détruit la bourgeoisie
en Yougoslavie, ni qu'il l'a fait avec l'aide des travailleurs
yougoslaves; cette découverte, nous n'avons pas attendu l'été
1948 pour la faire. Il s'agit de confronter notre conception de
la bureaucratie avec les faits, et, si ceux-ci les confirment, voire
comment nous pouvons à leur lumière, la développer et l'en-
richir. Mais les faits bruts n'existent pas; les faits n'ont de si-
gnification qu'en fonction d'une interprétation, et la base de
cette interprétation ne peut être donnée que par une concep-
tion d'ensemble du monde moderne.
LE STALINISME EN EUROPE ORIENTALE. 1941-1948.
Il est impossible d'avancer dans la compréhension de la
nature de la bureaucratie yougoslave sans une analyse du pro-
8
cessus qui a mené à la conquête totale du pouvoir par la bu-
reaucratie dans les « démocraties populaires » de l'Est euro-
péen entre 1941 et 1948. En résumant ici les grandes lignes
d'une telle analyse nous ne pensons évidemment ni épuiser
la question, ni donner une description fidèle de chaque cas
particulier; nous voulons seulement dégager les facteurs prin-
cipaux, faire ressortir l'essentiel derrière la foule des phéno-
mènes conjoncturels et souvent contradictoires qui ont accom-
pagné l'énorme transformation sociale dont les pays satellites
de la Russie ont été le théâtre.
Les racines de ce développement se trouvent dans l'occupa-
tion allemande et le mouvement de Résistance. Dans des pays
comme la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et la
Grèce, l'occupation signifia une crise sociale sans précédent :
le pillage systématique des pays par l'armée allemande, la
misère intense qui s'y étendit rapidement et à laquelle n'échap-
pèrent qu'une poignée de « collaborateurs », de grands patrons
et de seigneurs du marché noir, ont fait qu'aussi bien pour la
population des villes que pour celle des campagnes leur simple
existence biologique était mise en question et que la lutte à
mort devenait le seul moyen de défendre cette existence. Mais
comme l'appareil étatique « national » avait été pratiquement
dtéruit du fait même de l'occupation, et les « autorités » appa-
raissaient aux yeux de tout le monde pour ce qu'elles étaient
réellement, c'est-à-dire des agents subalternes de l'armée alle-
mande, la lutte a pris objectivement et rapidement le carac-
tère d'une lutte contre l'occupation et contre l'Allemagne.
Les illusions nationalistes, renforcées du fait de l'occupation
et de l'oppression nationale effectivement infligées aux popu-
lations par l'Allemagne, recevaient ainsi une base économique
qui les rendait insurmontables pour toute la période en cours.
Traditionnellement, on aurait pu penser que le renforce-
ment des illusions nationalistes aurait amené les masses sous
l'influence idéologique et politique de la bourgeoisie, repré-
sentant légitime de la « nation ». En réalité il n'en fut rien.
Le fait que cette, bourgeoisie était elle-même profondément
décomposée, divisée déjà avant l'occupation, mais surtout
après celle-ci en une aile pro-« démocratique » et une aile
pro-nazie, et que cette dernière semble avoir été, dans de
nombreux cas, la plus importante; le fait que sa position à la
tête de l'appareil de production lui imposait, indépendam-
ment de sa volonté, la « collaboration » avec l'occupant; le
fait enfin et surtout que la lutte avait, à travers toutes ses
phases, un contenu social persistant et bien déterminé - les
9
!.
revendications matérielles des masses ; tous ces facteurs
signifiaient que la bourgeoisie ne pouvait envisager ce mou-
vement qu'avec une hostilité croissante et qu'elle n'y parti-
cipa que dans une perspective de double jeu, et surtout pour
empêcher les partis staliniens d'en monopoliser la direction.
Elle
у
est parvenue
dans une
rtaine mesure en Pologne et en
Tchécoslovaquie, beaucoup moins en Yougoslavie, où le mou-
vement de Mikailovitch resta cloisonné dans un territoire -
terminé, encore moins en Grèce, où seules les interventions de
l'état-major allié de la Méditerranée empêchèrent l'écrase-
ment total de Zervas
par
l'ELAS.
Dans ces conditions, le mouvement des masses
ne poule
vait trouver d'aytre expression politique que celle des partis
staliniens. Pour ceux-ci, depuis l'entrée de la Russie en guerre,
en juin 1941, ce mouvement constituait à la fois la forme la
plus efficace de défense de la Russie et l'élargissement souhaité
de la tactique des « Fronts Populaires » qui devenaient main-
tenant des « Fronts Nationaux »; « Fronts Nationaux » qui
étaient cependant, du point de vue de l'efficacité tactique,
infiniment supérieurs aux « Fronts Populaires » d'avant 1939,
car ils se plaçaient sur le terrain d'une crise sociale profonde
et d'une guerre civile larvée que les staliniens voulaient et
pouvaient pousser aussi loin que possible dans les limites
définies par leurs buts et leurs moyens, tandis que les forma-
tions politiques bourgeoises et social-démocrates correspon-
dante étaient par nature incapables de s'y engager à fond.
« Fronts Nationaux » d'autre part, qui ont été utilisés par
les staliniens beaucoup plus profondément et beaucoup plus
efficacement que jamais ne le furent les Fronts Populaires.
La tactique stalinienne fut d'entraîner les masses dans le mou-
vement, de les « organiser » partout sur toutes les bases pos-
sibles, et de tenir ces organisations par le moyen de fractions
clandestines détenant solidement les postes-clés. La même
tactique de noyautage fut appliquée dans le mouvement des
partisans, dont les staliniens prirent rapidement la direction
en mains et dont le plus souvent ils furent. les créateurs.
Il se créa ainsi une situation de double pouvoir, le « pou-
voir légal » des gouvernements collaborateurs, pouvoir fictif
qui recouvrait le pouvoir réel des baïonnettes allemandes et
ne s'appuyait que sur celles-ci (3) et le pouvoir « illégal » entre
les mains de la direction de la Résistance, s'appuyant sur les
partisans et sur les organisations de masse, qui parfois était
monopolisé par la direction stalinienne (Yougoslavie, Grèce)
et parfois était partagé entre celle-ci, la social-démocratie et
14
10
les formations «néo »-bourgeoises, participant à la Résistance,
mais presque toujours également masqué par un organe « gou-
vernemental » provisoire exprimant l'« alliance » de toutes les
forces antiallemandes et antifascistes du pays.
La délimitation de ces deux pouvoirs a pris assez rapide-
ment un caractère territorial, les régions « libérées » par les
partisans se soustrayant à toute autorité du pouvoir légal,
ce qui amena la direction du mouvement à prendre en mains
les fonctions essentielles de l'Etat; administration, justice, etc...
furent réorganisées sur une base rudimentaire, et sous le simu-
lacre des formes « démocratiques populaires » qui ne
quaient que la dictature de la direction stalinienne. (4)
D'autre part, l'action de ce pouvoir pénétrait même dans
le reste du pays, par les organisations clandestines, elles-mêmes
armées et s'appuyant sur l'armée des partisans.
mas-
Si cette expression paradoxale est permise, la participation
des masses à cette lutte a été à la fois la plus active et la plus
passive possible. Elle fut active jusqu'aux limites du possible
sur le plan physique, sur le plan organisationnel, sur le plan
tactique. Leur attitude fut en même temps absolument pas-
sive sur le plan de l'orientation, du contenu politique du
mouvement, de la conscience. La guerre et les premiers mois
de l'occupation avaient jeté les masses dans un engourdisse-
ment total. Elles en sortirent rapidement et se jetèrent à corps
perdu dans la lutte contre l'occupation; mais dans cette lutte,
aucune clarification ne se manifeste, aucun dépassement des
illusions nationalistes, aucune autonomie par rapport aux or:
ganisations. Tout s'est passé comme si les masses déléguaient
toute la pensée, la réflexion, la direction du mouvement aux
organisations et si elles s'étaient résolument cantonnées dans
l'exécution des directives et la lutte physique. De son côté,
le parti stalinien non seulement utilisa largement cette atti-
tude, mais fit tout ce qu'il a pu pour la renforcer; ainsi très
(3) Et sur les formations policières « nationales >>
Milices, etc.).
(Sécurité Nationale,
au
ces
(4) Il s'est trouvé des gens assez stupides pour voir dans les divers
« Comités » apparus cours de la Résistance des formes soviétiques
d'organisation des masses ! En fait, dans l'énorme majorité des cas,
Comités furent nommés par les chefs des partisans staliniens, les armes à
la main. Aucune opposition à la politique stalinienne n'y était tolérée
ou
possible; les décisions étaient prises au préalable par la fraction
stalinienne,
et le rôle des Comités était de donner une couverture de légalité popu-
laire » à la dictature et à la direction stalinienne.
11
i
41
rapidement l'attitude politique passive des masses permit de
les entourer d'une haute palissade, que des mitrailleuses invi.
sibles, mais combien réelles dominaient..
Lorsque l'armée allemande se replia en 1944-1945, la seule
base réelle du pouvoir « légal » disparut en même temps. Les
« représentants » de ce pouvoir eux-mêmes s'enfuirent et se
cachèrent. Mais aucun vide, aucune « vacance de pouvoir »
n'exista, sinon pour un temps infiniment court. La place était
occupée au fur et à mesure, par le pouvoir clandestin qui
s'emparait de tout le pays, soit par ses propres forces, comme
en Yougoslavie et en Grèce, soit par l'avance de l'armée russe
qui instaurait légalement un gouvenement qu'elle apportait
avec elle et qui, représentant sous la forme d'une mixture
quantitativement différente les formations de la Résistance,
coiffait et s'intégrait les embryons d'organisation étatique créés
par celle-ci, comme en Tchécoslovaquie et en Pologne: Dans
tous les cas, un gouvernement de (plus ou moins) «Union »
(plus ou moins) « Nationale » était partout « au pouvoir ».
Mais ce « pouvoir » avait dans la plupart des cas peu de réa-
lité. En fait le pays était dominé, maintenant beaucoup plus
que par le passé, par les organismes dirigés ouvertement ou
secrètement par le P.C. : partisans et milices « populaires ».
Ceci est surtout vrai pour la Yougoslavie, pendant la courte
période de gouvernement de « coalition », Tito-Choubachitch.
C'est également vrai pour la Grèce d'octobre à décembre 1944,
mais dans le cas de ce pays, l'ensemble du processus a ensuite
avorté, du fait de l'intervention militaire des Anglais, lors du
coup d'état stalinien de décembre 1944. "C'est relativement
moins vrai pour la Pologne, et surtout pour la Tchécoslova-
quie, où le gouvernement de coalition semble avoir exercé de
1945 à février 1948 un pouvoir réel dans certaines limites. Ces
deux pays s'apparentent beaucoup plus au cas de la deuxième
catégorie de pays dont nous allons dire rapidement quelques
mots.
Dans cette deuxième catégorie de pays (Roumanie, Bul-
garie, Hongrie), le processus se présente d'une manière rela-
tivement différente. La Résistance avait été beaucoup moins
importante, sinon nulle. La force du parti stalinien était, d'une
manière analogue, beaucoup plus restreinte (sauf en Bulgarie,
où traditionnellement, le P.C. occupait de fortes positions).
L'apparition d'un double pouvoir et l'élimination successive
du pouvoir « légal » par le pouvoir réel de la bureaucratie
stalinienne se situe après et non pendant l'occupation alle-
mande. A la « libération », le pouvoir existant s'écroula. Du
12
fait de la participation à la guerre aux côtés de l'Allemagne,
la machine étatique a été plus ou moins mise en pièces au
moment de l'entrée des Russes. Un nouvel appareil étatique
était rapidement mis en place, tant bien que mal, à la tête
duquel se trouvait un gouvernement de coalition de tous les
partis « antiallemands ». Mais parallèlement, les partis stali-
niens se mettaient à l'ouvre, occupant partout où c'était pos-
sible et de toute façon à la Police, au Ministère de l'Inté-
rieur et à l'Armée -- les postes-clés, épurant sans merci leurs
adversaires politiques importants, réduisant à la terreur et au
silence les autres, encadrant les masses dans des organisations
noyautées et dirigées par eux, s'emparant en un mot de plus
en plus des bases réelles du pouvoir, même s'ils en laissaient
pendant longtemps aux autres les attributs extérieurs.
1
Dans les deux cas, au fur et à mesure de son développe-
ment, le pouvoir de la bureaucratie créait les conditions éco-
nomiques de sa consolidation et de son expansion ultérieure.
Le partage des grandes propriétés foncières, mais surtout la
nationalisation quasi-immédiate -- et inéluctable d'une
grande partie des banques, de l'industrie et du commerce de
gros, en un mot des secteurs-clés de l'économie, non seulement
donnaient un coup mortel à la classe des capitalistes et des
grands propriétaires, déjà fortement ébranlée, non seulement
« neutralisaient » ou rendaient favorables au P.C., qui p-
conisait avec le plus de conséquence ces mesures, les paysans
et les ouvriers, mais surtout créaient pour la bureaucratie une
base de développement énorme dans la gestion de l'économie
elle-même.
On ne peut insister ici autant qu'il le faudrait sur ce côté
économique du processus, qui est pourtant un des plus essen-
tiels. Du point de vue formel, la bureaucratisation de l'écono-
mie s'est effectuée par la nationalisation, dès le début, d'im-
portants secteurs de la production; on commença par les
« biens allemands », les entreprises appartenant aux « traîtres
et aux collaborateurs »(5) et les entreprises appartenant à des
étrangers. En même temps, ou bien dans une deuxième phase,
étaient nationalisées les entreprises excédant une taille donnée
ou occupant plus d'un nombre donné d'ouvriers. Dans une
(5) Notions suffisamment vagues et imprécises, pour permettre à la
bureaucratie stalinienne d'exproprier qui elle voulait. Sous
l'occupation,
toutes les entreprises qui ont continué à fonctionner ont objectivement
« collaboré », quel qu'ait pu être l'état d'âme de leur propriétaire. De
toute
façon, avaient obligatoirement collaboré toutes les entreprises
importantes,
que les Allemands ne pouvaient pas laisser inactives.
13
1
troisième étape
qui est en train de s'achever
on natio-
nalisa tout ce qui restait, sauf l'agriculture.
Ce qui rendait cette évolution pour ainsi dire inéluctable,
c'était l'effondrement de l'ancienne structure économique. Non
seulement la bourgeoisie en tant que classe s'était effritée
patrons exterminés avant, pendant ou après la « libération »,
en fuite, pris de panique, etc. mais la crise objective de
l'économie amenait nécessairement l'Etat à assumer des fonc-
tions de gestion générale, sans lesquelles cette économie était
mortellement menacée. (6)
La dernière lutte qui se déroula alors entre la vieille bour-
geoisie et la bureaucratie, légitime représentant et usufruitier
de la propriété « étatique », fut inégale et son issue était
certaine d'avance. Pour ne considérer que le plan strictement
économique, la bureaucratie se trouva disposer dès le départ
de moyens qui lui conféraient une suprématie écrasante (7) :
la nationalisation des banques, c'est-à-dire du crédit, lui per-
mettait de réduire aux abois du jour au lendemain toute en-
treprise récalcitrante et d'orienter l'accumulation dans ses inté-
rêts. La réglementation des prix et des salaires lui donnait le
rôle dominant dans la répartition du produit national. Enfin,
la nationalisation des moyens de communication et de la plu-
part des grandes entreprises et le monopole du commerce
extérieur lui donnèrent, face à ce qui restait d'entreprises pri-
vées, infiniment plus de suprématie que jamais un trust capi-
taliste n'a eu face à ses petits concurrents. A cette puissance
économique formidable s'ajoutait dans la plupart des cas la
force coercitive du pouvoir, et souvent l'appui que les ou-
vriers accordèrent à la bureaucratie contre les patrons. La
(6) La même cause a produit des effets analogues en Europe occiden-
tale. Là aussi entre 1944 et 1948, seule l'intervention de l'Etat dans
tous
les domaines importants de l'activité économique crédits,
investissements,
allocation des matières premières, fixation des prix et des salaires,
dans
certains cas nationalisation des entreprises a pu permettre à l'économie
capitaliste de dépasser provisoirement sa crise profonde. Mais dans ce
cas,
l'intégration de ces pays dans le bloc américain et le rapport des forces
dif-
fèrent entre la bureaucratie stalinienne et les organisations bourgeoises
tra-
ditionnelles qui en résultait, ont déterminé une autre évolution,
(7) A condition bien entendu qu'elle voulut s'en servir. Sous bien des
rapports, la bureaucratie des Etats capitalistes actuels dispose
formelle-
ment des mêmes moyens; cependant son manque d'unité et de cohésion,
l'absence d'une idéologie propre, la liaison et la dépendance directe des
sommets de cette bureaucratie par rapport au capital financier et, avant
tout, l'impossibilité de s'appuyer sur une force sociale autonome
l'opposé
de la bureaucratie stalinienne qui peut pendant longtemps mobiliser pour
sa lutte le prolétariat) font qu'elle reste subordonnée au capital des
mono-
poles et que, dans les pays occidentaux, la marche vers le capitalisme
d'Etat s'effectue à travers la fusion personnelle des sommets de la
bureau-
cratie étatique avec l'oligarchie financière et non pas à travers
l'extermi-
nation de cette oligarchie par une bureaucratie nouvelle.
14
un
pression indirecte exercée dans la plupart des cas par la pré-
sence ou la proximité des forces russes, la certitude dans la-
quelle se trouvaient les bourgeois sur l'inclusion de leur pays
dans la zone de la domination russe et leur abandon par
les Américains, ont fait que rapidement leur résistance
s'écroula de l'intérieur.
C'est ainsi que selon des modalités et des péripéties diffé.
rentes et différentes parfois d'une manière profonde
nouveau type de régime économique et politique s'est réalisé
dans ces pays. En Albanie, en Bulgarie, en Yougoslavie, en
Roumanie, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Pologne et en
Allemagne orientale la structure traditionnelle de la propriété
privée a été supprimée dans les secteurs décisifs de l'économie
industrie, banques, transports, grand commerce et là où
elle subsiste (agriculture) son contenu a subi de profondes mo-
difications. Parallèlement, la bourgeoisie traditionnelle, consti-
tuée par les propriétaires privés des moyens de production a
été exterminée en tant que catégorie sociale abstraction
faite de l'intégration de bourgeois en tant qu'individus au
nouveau système et la bureaucratie s'est substituée à elle
en tant que couche dominante dans l'économie, l'état et la vie
sociale. Cependant, du point de vue le plus profond, les rap-
ports de production sont restés des rapports d'exploitation;
en règle générale, cette exploitation n'a fait que s'aggraver.
Exprimée comme subordination totale des ouvriers au cours
de la production aux intérêts d'une couche sociale dominante
et comme accaparemment de la plus-value par la bureau-
cratie, cette exploitation n'est qu'une forme plus développée
de la domination du capital sur le travail. Dans cette mesure,
la société instaurée dans les pays de l'Etat européen, au même
titre que la société russe, ne représente que la victoire locale
de la nouvelle phase vers laquelle tend le capitalisme mondial,
le capitalisme bureaucratique.
Marx dit quelque part, «s'il n'existait point de hasard,
l'histoire serait une sorcellerie ». Les tendances historiques
profondes se réalisent à travers une série de particularités et
de contingences, qui confèrent précisément à l'histoire réelle
son caractère concret et vivant et l'empêchent d'être une col.
lection d'exemples scolaires des « lois du développement his-
torique ». Pourtant, la recherche historique n'est scientifique
que dans la mesure où elle parvient à saisir ces particularités
et ces contingences comme manifestations concrètes d'un pro-
cessus universel. Dans le cas qui nous occupe, il peut appa-
15
raître qu'en somme l'accession de la bureaucratie au pouvoir
n'est que le résultat d'une combinaison inattendue et parti-
culière de facteurs contingents : la structure traditionnelle a
été démolie par le nazisme allemand; la Russie était très
proche et l'Amérique trop loin; des partis révolutionnaires,
qui auraient pu guider l'action des masses, il n'y avait point.
Dans ces conditions, rien d'étonnant si Staline, cet abject pres.
tidigitateur qui a jusqu'ici réussi à tromper l' « Histoire >>
(pas pour longtemps !) est parvenu à mettre ces pays dans
sa poche. D'une manière plus sérieuse quant à la forme (mais
nullement quant au fond), il s'est trouvé des « marxistes »
pour dire
que
la transformation sociale de ces pays n'a rien
à voir avec la question de l'évolution de l'économie contem-
poraine et de la nature de la bureaucratie, qu'elle est simple-
ment le résultat de l'action de l'armée russe et que ces pays
étant tombés dans la sphère de domination soviétique, le
Kremlin était obligé d'y installer au pouvoir les partis com-
munistes, ce qui amena tout le reste.
Cette manière de voir et d'écrire l'histoire contemporaine
ne vaut guère mieux que l'explication de la constitution de
l'Empire romain par la longueur du nez de Cléopâtre. L'ac-
tion sociale et historique d'une armée, aussi puissante soit.
elle, s'inscrit obligatoirement dans le cadre de possibilités
étroitement circonscrites par l'étape donnée du développement
historique. La plus puissante armée du monde serait incapa-
ble de ramener sur terre le régime des Pharaons ou d'instaurer
du jour au lendemain une société communiste. L'armée russe
en Europe orientale, dans la mesure où elle a joué un rôle,
n'a pu le faire que dans la mesure où son action correspondait
aux tendances de l'évolution sociale et où elle secondait des
facteurs historiques incomparablement plus puissants qu'elle
et qui étaient déjà en cuvre.
L'écroulement des structures économiques et sociales tra-
ditionnelles en Europe orientale a été le résultat combiné de
la faillite des bourgeoisies nationales « indépendantes » et de
l'annexion de ces pays par l'appareil militaire et économique
d'un pays capitaliste incomparablement plus fort, l'Allemagne
nazie. La tendance vers la concentration internationale du ca.
pital a donc été le moteur profond de cet écroulement. A cette
crise sociale généralisée a correspondu inévitablement l'entrée
en action dans la plupart des cas des masses. Mais cette action
ne pouvait avoir lieu que sous la direction totale et exclusive
d'une bureaucratie « ouvrière ». Là également, il s'agit d'une
manifestation caractéristique de toute une étape historique du
16
1
mouvement ouvrier, et qui n'est pas spécifique à ces pays;
mais dans ceux-ci, à cause de l'ampleur extrême de la crise
sociale et des formes aiguës que la lutte a rapidement embras-
sées, la bureaucratie a été amenée à jouer un rôle beaucoup
plus considérable et à prendre un pouvoir réel relié directe-
ment à sa monopolisation de la direction de la lutte militaire.
Lorsque l'impérialisme allemand s'écroula sous les coups d'une
coalition constituée par les forces qui se trouvent à l'avant-
garde du développement capitaliste - soit du point de vue /
technique (U.S.A.), soit du point de vue de l'organisation so-
ciale la plus efficace d'un système d'exploitation (U.R.S.S.)
le « vide » économique et social ainsi créé se combla tout natu-
rellement par l'action de la bureaucratie. La lutte qui dans
certains de ces pays (Tchécoslovaquie, Hongrie) opposa la
bureaucratie montante, soutenue par le prolétariat ou tout
au moins par ses fractions les plus actives, à la bourgeoisie tra-
ditionnelle ne fut que l'expression locale du conflit qui com-
mençait à se manifester sur le plan mondial entre les deux
pôles de la concentration du capital, les Etats-Unis et la Russie,
pôles qui ne sont eux-mêmes que la concrétisation géogra-
phique des deux couches d'exploiteurs actuellement en lutte
pour la domination mondiale. Une des conditions de la vic-
toire de la bureaucratie fut évidemment la proximité de la
Russie et la présence de l'armée soviétique, plus exactement,
le fait que ces pays étaient inclus dans le nouveau partage
provisoire du monde, explicite ou tacite, dans la zone de do-
mination russe. En ce sens, ce qu'il y a de relativement « acci-
dentel » dans l'affaire, c'est que les pays bureaucratisés aient
été la Yougoslavie, la Pologne, etc, et non point la France,
l'Italie ou la Grèce, où la présence et parfois l'intervention
armée des forces occidentales a empêché, pendant cette phase,
un développement analogue.
Ce qui donne ses véritables limites à ce caractère « acci.
dentel », est la nature même du régime instauré dans ces
pays. L'analyse économique et sociologique montre que ce
régime appartient à l'étape ultime de la concentration du ca-
pital, étape pendant laquelle l'étatisation succède à la mono-
polisation et la bureaucratie économique et politique à l’oli-
garchie financière. Ces phénomènes s'étaient déjà précédem-
ment réalisés en Russie. L'action de celle-ci dans les pays
satellites n'a fait que faciliter et accélérer un développement
qui de toute façon correspondait à la situation propre des ré-
gions en question. A moins de supposer que l'histoire est créée
par les décisions des maréchaux, il est évident que celles-ci
$
17
n'ont fait que participer à la transformation du possible en
réel; et ce faisant, elles n'exprimaient que les nécessités mêmes
du capitalisme bureaucratique en Russie. L'extrême variété
des modalités et de l'ampleur de l'intervention des forces
russes dans le processus de bureaucratisation de ces pays,
allant de la domination totale et de la création pour ainsi dire
« d'en haut » des nouvelles structures (comme en Allemagne
orientale) jusqu'à un rôle positivement nul (comme en You-
goslavie, pour laquelle la proximité de l'armée russe signifia
en pratique uniquement l'impossibilité pour les Américains
d'intervenir), prouve précisément le caractère historiquement
« authentique » de la montée de la bureaucratie au pouvoir.
Quant à l'appréciation sociale de ces régimes, il n'y a que
deux attitudes possibles : l'une consiste à mettre l'accent sur
la « nationalisation » de l'économie, la suppression des bour-
geois, les origines « prolétariennes » des nouveaux dirigeants,
pour affirmer qu'il s'agit de régimes « ouvriers » (même « dé-
formés ») et « socialistes ». L'autre, s'attache à dévoiler l'ex-
ploitation intense à laquelle est soumise la classe ouvrière, la
terreur policière qu'elle subit, le remplacement de la bour-
geoisie traditionnelle par une nouvelle couche exploiteuse de
bureaucrates. La conclusion de la première, c'est la partici-
pation à la préparation de la guerre du côté russe, pour éten-
dre le règne de ce « socialisme »-là aux autres pays. La con-
clusion de la deuxième, c'est la préparation idéologique, poli-
tique et pratique du prolétariat pour le renversement des
exploiteurs, bourgeois ou bureaucrates, et l'instauration de
son propre pouvoir. La première, c'est la 'position de la bu-
reaucratie stalinienne et de ses laquais. La deuxième, celle
de l'avant-garde révolutionnaire. Entre ces deux chaises la
distance est si grande que le derrière des « théoriciens » trots-
kystes, aussi large soit-il, ne pourra jamais la combler.
L'ACCESSION DE LA BUREAUCRATIE TITISTE
AU POUVOIR.
Le processus dont nous avons décrit plus haut les traits gé-
néraux apparaît avec une force et une clarté particulières en
Yougoslavie. Très tôt le parti communiste se proposa comme
tâche principale l'organisation de la lutte contre l'occupation,
18
et certains territoires (presque toute la Serbie occidentale)
étaient sous le contrôle absolu et exclusif des partisans dès
l'automne 1941. (8) Presqu'à la même époque se situent les
débuts de la lutte à mort entre les partisans staliniens et les
tchetniks de Mihailovitch, lutte qui aboutit à l'extermina-
tion de ceux-ci quatre ans plus tard. Parallèlement s'édifiaient
un appareil centralisé tout-puissant dans les brigades de par-
tisans, et des « Comités » exerçant le pouvoir local dans les
régions libérées, dominés eux-mêmes par la direction stali-
nienne du mouvement. Déjà pendant l'hiver 1942-43 était con-
voquée une « Assemblée constitutive du Front antifasciste de
libération nationale » qui procéda à l'élection du « Conseil
antifasciste de libération nationale de Yougoslavie », que Tito
qualifie d'« organe politique suprême ». (9) Puis, en novembre
1943, était créé un « Comité Populaire de libération natio-
nale de Yougoslavie », « appelé à remplir les fonctions de gou-
vernement provisoire du pays. C'était », dit Tito, « la réponse
à tous ceux qui avaient espéré que, dès la fin des hostilités, on
reviendrait aux anciennes habitudes ».
Le 16 juin 1944 était conclu l'accord entre Tito et Chouba-
chitch sur la collaboration entre le gouvernement royal de
Londres et le Comité de Libération nationale, suivi le 8 mars
1945 de la formation d'un gouvernement de « coalition »
Tito-Choubachitch, exerçant formellement le pouvoir sur l'en-
semble du territoire yougoslave, totalement libéré à cette
époque. Cette phase de « collaboration avec la bourgeoisie »
--- ou plutôt avec les représentants traditionnels de celle-ci,
car de la bourgeoisie elle-même il ne restait plus grand chose
arriva à sa fin quelques mois plus tard : en octobre 1945,
les derniers politiciens bourgeois démissionnaient du Gouver-
nement, et le 11 novembre de cette même année, des élections
convenablement préparées donnaient 96 p. 100 des voix au
Front Populaire.
Le « compromis » provisoire conclu avec la bourgeoisie
royaliste par Tito est un modèle de tactique bureaucratique
d'accession au pouvoir. Tito dans son rapport déjà mentionné
expose avec précision les fondements de cette politique. Il
était quasi impossible à la direction stalinienne en 1944 de
résister à la pression alliée s'exerçant dans le sens de création
d'un gouvernement d'«Union nationale », En cédant sur la
(8) V. Tito, Rapport politique au Cinquième Congrès du PCY, Paris,
1948, p. 77 et 78.
(9) Tito, ib., p. 107.
19
forme, Tito obtenait sa « légalisation » de la part des Alliés et
de la Cour royale elle-même; il ne cédait rien sur le fond, sur
le seul plan qui l'intéressait et qui était en définitive impor-,
tant, c'est-à-dire sur le plan de la force et du pouvoir réel :
« Nous prîmes donc notre parti de cet accord, parce que nous
connaissions notre force, parce que nous savions que
l'énorme
majorité du peuple était avec nous et que le peuple nous sou-
tiendrait quand il le faudrait. En outre, nous avions une force
armée dont nos rivaux ne pouvaient même pas imaginer l'im-
portance, tandis que le roi et son gouvernement n'avaient rien, ,
puisque Draja Mihailovitch était non seulement discrédité par
suite de la collaboration avec l'occupant, mais encore défait
par nos unités. Par conséquent, nous n'avions rien à craindre
et nous acceptâmes cet accord, qui, loin de nuire, ne pouvait
que nous être utile, sous condition de savoir agir comme il
le fallait. C'est ce qui advint par la suite. » (10)
Combien ce dernier acte de la comédie avait été bien pré-
paré précédemment, c'est ce qui montre le passage suivant
du même discours de Tito : « Au cours de la lutte de libéra.
tion, nous avions déjà créé les conditions préalables. Partout
où nous étions maîtres du territoire, nous avions liquidé l'an-
cien appareil d'état bourgeois, la gendarmerie et la police, les
administrations des villages, des villes, des arrondissements,
etc. Nous nommions de nouveaux organes du pouvoir popu-
laire et ses organes de sécurité. Lorsque le pays fut complè-
tement libéré, nous nous livrâmes à ce travail sur tout le ter-
ritoire de Yougoslavie. » A condition de comprendre sous les
mots « pouvoir populaire », le pouvoir de la bureaucratie, et
d'accorder toute l'importance dûe à la création des « organes
de sécurité » nouveaux, à condition en un mot de comprendre
la différence vraiment subtile entre la dictature du Guépéou
et la dictature du proletariat (11), ce passage donne une des-
cription correcte de l'installation de la bureaucratie au pou-
voir déjà sous l'occupation.
Une fois le pouvoir étatique entre les mains de la dictature
(10) Tito, 1. c., p. 137.
(11) Cette différence subtile échappe naturellement aux dirigeants trots-
kistes, qui ont maintenant découvert la « révolution yougoslave de 1944
».
Soit dit en passant, le ridicule désespéré de l'a position de ces gens
s'exprime
par le fait que leur imbécilité est nécessairement prouvée, qu'ils aient
tort
ou raison dans cette estimation : s'ils ont tort, parce qu'ils ont tort;
s'ils
ont raison, parce qu'une « direction révolutionnaire mondiale » qui met
cinq ans pour s'apercevoir qu'une révolution a eu lieu est tout juste
bonne
pour la poubelle. Le plus gai, c'est que lorsque par le passé on leur
mon-
trait qu'effectivement une certaine « révolution » avait eu lieu en
Yougoslavie
(et pas seulement en Yougoslavie), que la bourgeoisie y avait été
liquidée
et qu'un nouveau pouvoir bureaucratique correspondant à l'étatisation de
20
militaire de Tito, et l'administration sous la coupe des « Co-
mités de libération » staliniens, une série de procès en haute
trahison acheva de décimer ce qui restait des représentants
traditionnels du capitalisme, dont les soutiens les plus actifs,
les tehetniks de Mihailovitch, furent exterminés.
La puissante offensive des staliniens du P.C. yougoslave
dans la liquidation de la bourgeoisie fut, on le voit, sans com-
mune mesure avec celle des partis staliniens des autres pays
satellites, qui ne purent accéder au pouvoir qu'à travers un
processus considérablement plus long.
La liquidation de la propriété privée a suivi pas à pas l'ex-
termination politique de la bourgeoisie.
Avant la guerre, les richesses minières du pays et les in-
dustries-clés étaient exploitées par des capitaux étrangers (dont
la participation représentait 91 p. 100 dans la métallurgie,
73 p. 100 dans les industries chimiques, 61 p. 100 dans les
textiles, en moyenne générale 49,5 p. 100 de l'industrie). Dès
1944, les biens étrangers et les biens des « traîtres et des colla-
borateurs » furent sequestrés et confisqués. Le total représen-
tait 80 p. 100 de l'industrie, la majeure partie des banques et
du grand commerce.
Peu après, une nationalisation générale enlevait du secteur
privé les mines, les usines et les moyens de transport. Enfin,
à la fin de 1947, « tout ce qui n'était pas
tombé sous le coup
de la première loi sur la nationalisation a été nationalisé,
c'est-à-dire : le reste des entreprises industrielles, toutes les
imprimeries, les grands magasins et les caves, les hôtels, les sa-
natoriums, etc. >> (12)
Bien entendu, ces nationalisations s'effectuèrent sans in-
demnisation ni rachat vis-à-vis des ex-propriétaires yougo-
slaves. Quant aux ex-propriétaires étrangers, leur indemnisa-
tion est depuis lors l'objet de négociations entre le gouverne-
ment de Tito et les divers gouvernements capitalistes. (13)
En ce qui concerne l'agriculture, il faut d'abord rappeler
que le problème essentiel qui se posait à la Yougoslavie,
comme à tous les pays balkano-danubiens (à l'exception de la
i
l'économie s'y était installé, ces gens n'en voulaient rien entendre et
main-
tenaient que dans ces pays la bourgeoisie'était restée classe dominante !
Mais leur incohérence n'a pas fini de produire des miracles. Si par les
voies
que nous avons décrites un pouvoir ouvrier (fût-il « déformé » autant
qu'on
le voudra) peut être instauré, que reste-t-il du leninisme ? Pourquoi
peut-on
constituer des gouvernements de coalition avec la bourgeoisie en
Yougoslavie
et pas ailleurs ? Bien naïf serait celui qui attendrait une réponse à
questions.
(12) Tito, 1. c., p. 143.
ces
21
Hongrie), était non pas l'existence de grandes propriétés
agraires, mais l'extrême exiguité des exploitations, directe-
ment lié à la faible industrialisation et la surpopulation agri-
cole qui en résultait (80 p. 100 de la population s'occupaient
en Yougoslavie avant la guerre de l'agriculture; 55 p. 100 des
exploitations agricoles occupaient moins de 10 hectares; 23 p.
100 de 10 à 20 hectares et 13 p. 100 de 20 à 50 hectares). La
solution du problème agraire dans ces conditions ne pouvait
pas être substantiellement avancée par l'expropriation des
grandes propriétés, mais par le regroupement des exploita-
tions. L'expropriation de la superficie des exploitations dépas-
sant 30 hectares (1945-1946), ne pouvait dans ces conditions
amener que des modifications secondaires à la répartition de
la propriété agraire, comme l'indique le tableau suivant :
...et ..
Participation des exploitations agricoles dans la production
des céréales (en % de la production totale).
Propriétés
1939
1948
Moins de 5 hectares.
De 5 à 10 hectares.
Plus de 10 hectares.
27,2
26,0
46
34.3
27,9
37,8
La mesure essentielle dans ce domaine a été la création des
coopératives agricoles, sur lesquelles nous reviendrons. Il suf-
fit de noter qu'elles sont en constant accroissement (51 en
1945, 4.100 en 1949).
En résumé, nous trouvons ici réalisés, plus rapidement et
radicalement, les traits communs de la transformation sociale
qui a eu lieu dans tous les pays satellites de 1945 à 1948 :
liquidation de la bourgeoisie industrielle, bancaire et com-
merçante; liquidation des grands propriétaires fonciers; to-
lérance provisoire du paysan moyen, qui est de toute façon
entièrement soumis au pouvoir économique de l'Etat.
(13) Depuis la rupture avec le Kominform le gouvernement Tito est
devenu beaucoup plus souple dans ces négociations et il admet l'inclusion
dans ses traités de commerce avec les pays occidentaux de clauses
d'indem-
nisation des propriétaires étrangers en Yougoslavie. C'est le cas,
notamment,
des derniers traités de commerce avec la Suisse, le Royaume-Uni et
d'autres.
pays.
22
LA STRUCTURE ACTUELLE
DE LA SOCIETE YOUGOSLAVE (Economie, Etat, Classes).
La bourgeoisie une fois liquidée, qui assura sa succession
dans ses fonctions dirigeantes ? La société, comme la nature,
a horreur du vide, et un pays qui n'est pas dans un état d'anar-
chie complète, ne saurait vivre, non pas cinq ans, mais cinq
mois sans la domination d'un corps social unifié et cimenté
par les intérêts communs des individus qui le composent. Est-
ce le proletariat la nouvelle classe dominante de la société you-
goslave ? Est-ce lui qui gère la production de l'Etat, qui règle
la répartition du produit national, qui s'exprime dans l'idéo-
logie officielle de la nouvelle Yougoslavie ? Et si non, qui ?
Cette bureaucratie dont nous avons tellement parlé, a-t-elle
vraiment une réalité sociale ? Ne pourrait-on pas la considérer
comme un tuteur provisoire d'un prolétariat non encore par-
venu à sa maturité complète, tuteur qui s'effacerait de lui-
même une fois cette maturité atteinte ?
On voit facilement que ces questions débordent ample.
ment le cadre de cet article. Elles embrassent aussi bien le
problème de la nature de la bureaucratie, que celui du pou-
voir ouvrier, donc du programme socialiste. Il est impossible
d'en traiter ici; nous nous bornerons à renvoyer le lecteur aux
textes que nous avons déjà publiés sur la bureaucratie (14) et
aux travaux de notre groupe sur le programme socialiste qui
seront publiés dans les prochains numéros de cette revue.
Nous ne pouvons qu'énoncer ce que sont pour nous les traits
essentiels d'un pouvoir ouvrier, en rappelant qu'il ne s'agit
pas de « normes idéales a priori, mais des conditions socio-
logiques sans lesquelles la suppression de l'exploitation et la
construction du communisme sont impossibles.
Le prolétariat ne devient classe dominante qu'en suppri-
mant l'exploitation. L'exploitation se manifeste dans la pro-
duction comme accaparement de la gestion par une couche so-
ciale spécifique et la subordination des producteurs aux inté-
rêts de cette couche; elle se manifeste dans la répartition du
produit, comme expropriation des producteurs d'une partie
du produit de leur travail au profit de la couche sociale domi-
nante. La suppression de l'exploitation n'est donc possible
»
(14) Voir l'article « Les rapports de production en Russie », dans le
nº 2 de cette revue, surtout p. 14-21, 39 et s. Egalement, l'article «
Socia-
lisme ou Barbarie », dans le n° 1, p. 28-39.
23
que si le prolétariat détruit toute couche gestionnaire spéci-
fique -- donc s'il accède lui-même à la gestion de la produc-
tion, et s'il supprime tous les revenus ne provenant pas du
travail productif donc s'il assure lui-même la répartition
du produit social. La suppression de toute bureaucratie ges-
tionnaire permanente et inamovible n'est donc ni une revendi-
cation sentimentale, ni une « norme idéale », mais tout sim-
plement un synonyme de la suppression de l'exploitation. Si
une telle bureaucratie est maintenue, l'exploitation renforcée
du prolétariat à son profit surgira à nouvau inéluctablement.
Le fait que le prolétariat yougoslave est radicalement ex-
proprié de la gestion de l'économie et de la direction de
l'Etat, qu'il n'a rien à dire quant à la répartition du produit
national, que ces fonctions sont monopolisées par une bureau-
cratie permanente et inamovible dont les intérêts ne peuvent
être que séparés de ceux des travailleurs et hostiles à ceux-ci
ne peut pas être contesté. Il est cependant nécessaire de con-
crétiser cette idée, en examinant la manière dont se réalise le
pouvoir de la bureaucratie yougoslave dans les différents do-
maines de la vie sociale.
Examinons d'abord cet indice précieux de la structure d'un
pays que forme la répartition des revenus. Dans ce domaine,
plus que dans tout autre, la bureaucratie essaie de camoufler
son rôle exploiteur en cachant les données statistiques. Mais
les quelques rares données qu'elle laisse échapper permettent
de porter un jugement sur la question. Ainsi, selon un article
du responsable titiste Begovitch (15), le revenu national you-
goslave, qui était de 133 milliards de dinars en 1947, est passé
à 242,5 milliards en 1948. Nous ne savons pas ce qu'entendent
par revenu national les économistes yougoslaves ni comment
ils le calculent (les précédents russes, aussi bien que les résul-
tats paradoxaux auxquels on arrive en manipulant les chiffres
yougoslaves, comme on le verra plus bas, incitent à la plus
grande prudence sur ce chapitre). Cependant, même en tant
que grossière approximation, ces chiffres sont censés repré-
senter l'accroissement des richesses sociales disponibles. Cet
accroissement aurait donc été de plus de 80 p. 100 entre 1947
et 1948. (16). Est-ce que la consommation des travailleurs a
augmenté pendant cette période selon le même rythme, ou
(15) Résumé dans le Bulletin de « Tanyug », nº 28 du 22 septembre
1949, p. 3.
(16) Il faut supposer que les sommes indiquées par Begovitch sont
données en prix constants, autrement on ne comprend pas pourquoi il les
juxtapose.
24
même de 40 ou de 20 p. 100 ? Begovitch ne dit évidemment
rien là-dessus, et ce silence est, comme on dit, le plus éloquent
des aveux. (17) En réalité, le moins que l'on puisse dire, c'est
que cette consommation est restée stable, c'est-à-dire
que
les
travailleurs n'ont profité en rien d'un accroissement de la pro-
duction, obtenu par l'augmentation du temps de travail et l'ac-
célération de son rythme, comme on le verra plus bas. (18)
Tito lui-même a d'ailleurs reconnu l'existence d'un niveau
de vie misérable dans son discours de clôture du Congrès du
P.C. croate de 1948 : « Nous devons fournir à la classe ou-
vrière dès le , stade actuel des logements chauffés et confor-
tables, la radio, le cinéma et autres agréments de la vie, car
nous devons montrer à la classe ouvrière au moins quelque
chose (!) de la pratique de la vie socialiste, » (19)
Ici une explication est peut-être nécessaire. La question qui
se pose n'est pas celle du niveau de vie absolu des travailleurs
yougoslaves, mais de leur niveau de vie relatif, et relatif par
rapport à l'accroissement de la richesse sociale, et par rap-
port
d'autres couches et catégories sociales.
Qu'une révolution ne puisse pas du jour au lendemain créer
l'abondance, c'est une chose; mais que l'accroissement de la
production ne se traduise nullement par une augmentation du
salaire réel, et que des revenus bureaucratiques considérables
puissent exister à côté de la misère du peuple, c'en est une
autre. Admettre et justifier cette dernière situation, c'est ad-
mettre et justifier un régime d'exploitation. Ce que nous con-
sidérons ici n'est donc pas le niveau de vie absolu des tra-
vailleurs yougoslaves, mais son évolution parallèlement au dé-
veloppement de la production d'une part, sa comparaison avec
les revenus bureaucratiques d'autre part.
Pour ce qui est de la différenciation des salaires ouvriers
et des revenus bureaucratiques, dont les représentants du ti-
aux
revenus
(17) Car enfin on ne comprend pas quelles sont les raisons « de sécu-
rité » ou autres qui empêchent la bureaucratie titiste de parler du
revenu
réel des ouvriers, cependant qu'elle monte en épingle toutes les
nouvelles
usines qui sont créées, en indiquant leur emplacement, leur capacité de
pro-
duction, etc.
(18) Selon l'organe officiel du Kominform, en automne 1948 les salaires
ouvriers (réels, faut-il supposer) ne représentaient plus que 50 % de
ceux
de 1946 (AFP, « Informations et documents », n° 217, 11 décembre 1948,
p. 28-29). Bien que les accusations du Kominform contre Tito soient a
priori dépourvues de toute valeur réelle, cette indication n'est pas
totale-
ment indigne de foi, si l'on pense que le grand effort d' «
industrialisation »
commncé en 1946 n'a pu être financé autrement que par une baisse du
niveau de vie déjà misérable des ouvriers. Du reste, on pourrait demander
aux kominformistes pourquoi ils se sont brusquement émus des malheurs
du proletariat yougoslave juste au moment de leur rupture avec Tito et
pas avant, et qu'est-ce qu'il est advenu des salaires ouvriers dans les
autres
« démocraties populaires » entre 1946 et 1948, et en Russie depuis 1928.
(19) AFP, ib.
25
tisme ont prétendu à certains moments qu'elle était seulement
de 1 à 4, il faudrait, pour l'apprécier correctement, connaître
tous les avantages matériels et autres dont jouissent les bureau-
crates yougoslaves en tant que tels. (20) Que ces avantages
existent et qu'ils soient considérables, nul n'en peut douter.
La lettre du Comité Central du P.C. russe au Comité Central
du P. C. yougoslave datée du 4 mai 1948 (21) donne à ce sujet
des indications d'autant plus intéressantes que d'une part elles
n'ont pas été démenties
par
les titistes et
que
d'autre
sont confirmées par un sympathisant titiste comme Claude
Boudet. (22) Répondant aux Yougoslaves, qui accusaient les gé-
néraux russes « en mission » en Yougoslavie d'exiger un salaire
de 30.000 à 40.000 dinars par mois, alors que les généraux
yougoslaves reçoivent 9.000 à 11.000 dinars, les Russes souli-
gnaient à juste titre ---- que les généraux yougoslaves pro-
fitent en plus de leur traitement, d'avantages en nature :
appartements, domestiques, ravitaillement, etc. (23)
part elles
qui si-
L'accroissement énorme de l'intensité du travail
gnifie, dans un régime où les travailleurs ne sont pas les maî-
tres de la production, purement et simplement un accroisse-
ment égal de l'exploitation ressort facilement des données
offertes abondamment par la bureaucratie : yougoslave elle-
même. Cet accroissement de l'exploitation est baptisé évidem-
ment par celle-ci « accroissement de la productivité ». Chaque
bulletin « Tanyug » en offre des exemples. Pour n'en citer
qu’un, le n° 42 de Tanyug nous informe que dans le bâtiment,
après le succès du plan, des nouvelles normes ont été établies,
dépassant de 700 p. 100 ou de 1.250 p. 100 les normes initiales
du plan ! D'autre part, selon les déclarations du dirigeant
titiste Kidric, lors de la discussion du budget de 1948, la tâche
essentielle pour l'année 1948 devait être la diminution des prix
de revient par « la revision des normes de travail » (24) chan-
son bien connue des travailleurs exploités de tous les pays
du monde,
Dans le même ordre d'idées, on ne peut pas négliger le
développement extrême du stakhanovisme en Yougoslavie. On
(20) On sait qu'en Russie ces avantages doivent à peu près doubler le
revenu réel des couches bureaucratiques.
(21) Donc écrite trois mois avant la rupture et, comme son contenu le
fait voir, nullement en vue de la rupture.
(22) Voir
Combat » du 21 octobre-2 novembre 1949.
(23) Voir la lettre en question, publiée dans Informations et docu-
ments » de l'AFP, nº. 262, 4 septembre 1948. Il faut souligner que dans
leur
réponse, les titistes se taisent sur ce point.
(24) AFP, « Informations et documents » nº 187, 15 mai 1948, p. 14-18.
c
26
sait
que le stakhanovisme, tel qu'il a été créé en Russie sta-
linienne et tel qu'il est propagé dans les pays bureaucratiques,
vise à un double but : établir artificiellement des normes de
travail extrêmement élevées, permettant ainsi à la bureau-
cratie de pressurer davantage la masse ouvrière; créer une
couche d'ouvriers relativement privilégiés, liés matériellement
au système bureaucratique et devenant ainsi une base de la
bureaucratie au sein de la classe ouvrière. La bureaucratie
yougoslave a évidemment dès le départ, adopté ce système,
organiquement lié à l'exploitation bureaucratique, et se' targue
du fait que « ses » stakhanovistes battent parfois les
cords » établis par leurs collègues russes.
< re-
Venons-en maintenant à la gestion de la production. On
sait que l'activité économique en Yougoslavie est orientée par
le «Plan Quinquennal » (1947-1951), dont l'objectif essentiel
est l'industrialisation du pays. Ce Plan a été établi et son
fonctionnement est contrôlé par la « Commission Fédérale du
Plan », elle-même responsable devant le Gouvernement, c'est-
à-dire devant le noyau central de la bureaucratie titiste. Ainsi,
c'est la bureaucratie et ses représentants qui fixent souveraine-
ment les objectifs de la production, le taux de l'accumulation
« socialiste », les salaires, les prix et les normes de travail.
Le rôle du prolétariat est d'accroître le rendement.
Pour s'en convaincre, il suffit de constater quelle est la
tâche des syndicats ouvriers complètement bureaucratisés,
par ailleurs --- dans la « nouvelle Yougoslavie ». Ceux-ci non
seulement ont cessé d'être les organisations qui luttent pour la
défense des intérêts élémentaires des ouvriers
une telle
lutte est désormais impossible au grand jour -- mais se sont
transformées directement en « contremaîtres d'Etat », au même
titre que les syndicats russes, tchèques ou bulgares. Voilà com-
ment le rôle des syndicats est défini par le dirigeant titiste
Kardelj :
« Le rôle le plus important des syndicats est dans le sec-
teur de l'édification économique. Ils sont les organes de la
lutte de la classe ouvrière pour l'accroissement de la produc-
tion, pour le relèvement de la productivité du travail... ensuite,
les organismes syndicaux doivent journellement lutter pour
un système juste des salaires, pour une rétribution équi-
table. » (25)
Ce que Kardelj entend par « système juste des salaires » et
(25) E. Kardelj, « L'édification du socialisme », p. 87. Souligné par
nous.
27
1
« rétribution équitable », un autre bureaucrate titiste, Ki.
dric, nous l'expliquera. Selon lui (26), l'ordre des tâches syn-
dicales est le suivant :
1° Assurer la discipline du travail;
2° Etablir les normes;
3° Mobiliser la main-d'oeuvre;
4° Assurer une différenciation suffisante des salaires.
Le rôle de la bureaucratie syndicale comme instrument de
gestion de la force de travail dans les intérêts du système hu-
reaucratique (discipline, maximum de rendement, minimum
de salaire, création de couches privilégiées au sein du prolé-
tariat) apparaît ainsi clairement.
Quant au Plan Quinquennal en lui-même, ce qu'on peut en
savoir est suffisamment vague pour que son aspect social ne
puisse apparaître que très difficilement. (27) Son objectif es-
sentiel est l'équipement et l'industrialisation du pays, devant
porter le revenu national de 132 milliards de dinars en 1939
à 255 milliards en 1951. (28) Ce résultat doit être obtenu par
des investissements d'une valeur totale d'environ 280 milliards
de dinars, représentant de 25 à 30 p. 100 du revenu national
de la période quinquennale. Les investissements sont évidm-
ment dirigés surtout vers la production de moyens de produc-
tion, particulièrement l'industrie lourde et la production
d'énergie électrique. Quant à la production d'objets de con-
sommation, son développement sera beaucoup plus modeste.
Ainsi, dans le domaine de la production agricole, la produc-
tion totale de céréales sera, d'après les chiffres du Plan, aug-
mentée de 13 p. 100 par rapport à la moyenne décennale
1929-1939, celle de pommes de terre de 72 p. 100, celle de
fruits de 17 p. 100, du raisin de 40 p. 100 et du vin de 26 p.
100. Quant aux produits du bétail, la production de viande
sera augmentée de 17 p. 100 par rapport à 1939, celle de
graisse de 53 p. 100, de lait de 45 p. 100, des oeufs de
76 p. 100. (29)
Ces chiffres bruts
pour autant qu'ils soient approxima-
(26) B. Kidric, Rapport au Ve Congrès du PC. Yougoslave.
(27) Voir le « Plan Quinquennal de développement de l'Economie natio-
nale de la R.F.P. de Yougoslavie », Beograd, 1947.
(28) Nous avons exprimé plus haut des réserves quant à la signification
de ces chiffres. Voici un exemple qui illustrera nos motifs : le total de
la
valeur de la production industrielle et de la production agricole en
1939,
soit (55,7 t 63,8 =) 116,5 milliards de dinars était inférieur au revenu
national de cette même année (132 milliards); ce mème total sera
en 1951
(170,7 + 96,7 =) de 266,7 milliards c'est-à-dire supérieur au revenu
natio-
nal, qui sera de 255 milliards ! («: Plan quinquennal etc. », p. 82).
Dans
ces conditions, on ne comprend plus ce que « revenu national » et «
valeur
de la production » veulent dire.
(29) « Plan Quinquennal, etc. », art. 31, p. 148-151.
28
tivement exacts et réalisables
- ne prennent leur véritable
signification que lorsqu'on les compare à l'accroissement de
la population yougoslave. La moyenne de celle-ci, pendant
la période décennale 1930-1939, était d'environ 14.600.000;
elle était de 15.750.000 en 1948 (30) et sera vraisemblablement
sur la base d'un taux d'accroissement net de la population de
1,5 p. 100 par an, de 16.500.000 en 1951. (31) L'accroissement
de la population entre ces deux périodes sera donc de l'ordre
de 13 p. 100, donc équivalent à l'accroissement des deux prin-
cipaux produits d'alimentation, céréales (13 p. 100) et viande
(17 p. 100). La production de céréales par habitant restera par
conséquent absolument stagnante, celle de viande augmentera
imperceptiblement (+ 3 p. 100).
Mais production ne signifie pas encore consommation. De
cette production il faut déduire les exportations; et les expor-
tations de denrées alimentaires, bien que l'on ne dispose pas
de données permettant de les comparer avc celles d'avant-
guerre, iront croissant si la bureaucratie yougoslave veut se
procurer à l'étranger l'équipement nécessaire à son plan d'in-
dustrialisation. Ainsi, (32) le traité de commerce conclu le
22 décembre 1949 entre la Yougoslavie et l'Allemagne occi.
dentale prévoit pour l'année 1950 des exportations yougoslaves
en Allemagne, principalement de produits agricoles, d'une
valeur totale de 65 millions de dollars, en échange de produits
allemands manufacturés. De même, le traité anglo-yougoslave
du 26 décembre 1949, prévoit des échanges pour la période
des cinq années à venir d'une valeur de 280 millions de dol-
lars dans chaque sens, les exportations yougoslaves compre-
nant surtout des produits agricoles (parmi lesquels environ
40 millions de dollars de maïs), cependant que les exporta-
tions anglaises sont composées de biens d'équipement et de
produits manufacturés. Les échanges yougoslaves avec les au-
tres pays occidentaux présentent nécessairement la même
structure. Si donc les exportations yougoslaves de produits
agricoles de base tendent à être plus élevées que celles d'avant-
guerre, cependant que la production de ces denrées par habi-
tant stagne, on aura nécessairement une diminution de la con-
sommation intérieure par habitant. Ceci, indépendamment de
(30) Bulletin Mensuel de Statistique de l'O.N.U., février 1950, p. 8.
(31) Cette conclusion est corroborée par les données du « Plan Quin-
quennal », p. 81, dans lesquelles le quotient revenu national total :
national par habitant donne pour 1951 une population de 16.320.000.
(32) International Financial News Survey, 13 janvier 1950, p. 207.
revenu
29
la question de la répartition sociale du produit disponible
entre le travailleur et la bureaucratie. (33)
Quant à l'augmentation projetée de la production des au-
tres objets de consommation (sucre, conserves, textile, chaus-
sures), elle s'inscrit surtout dans la tendance vers la réalisa-
tion d'une autarcie économique. L'augmentation de la produc-
tion locale doit compenser la diminution extrême ou l'arrêt
des importations de ces produits; ces importations étaient
payées autrefois par l'exportation de produits agricoles, mais,
comme on l'a vu, ces exportations doivent maintenant payer
les importations d'équipement. Il s'agit donc surtout de com-
penser cette diminution des importations, et il est douteux
que les quantités disponibles pour la consommation de ces
produits (production plus importations moins exportations)
présentent un accroissement substantiel en 1951.
Il est donc certain que, malgré les mensonges cyniques de
Tito et de ses avocats, la consommation des masses yougo-
slaves ne s'améliorera nullement par rapport à l'avant-guerre,
si même elle ne se détériore pas. (34) Par contre, le travail
fourni par celles-ci augmentera considérablement, tant en du-
rée qu'en intensité. Le développement des forces productives
en Yougoslavie sera donc assuré par la surexploitation des
travailleurs. Mais pour un développement obtenu par de tels
moyens, point n'est besoin d'un régime « socialiste » ou « ou-
vrier »; le capitalisme a été parfaitement capable de l'accom-
plir, et continue d'ailleurs de l'être. (35)
D
Quels sont les moteurs qui sont à la base de ce développe-
ment des forces productives par la bureaucratie ? D'abord,
sa propre conservation. La bureaucratie ne peut se maintenir
et se stabiliser au pouvoir que par l'industrialisation et la
(33) Il semble que l'accroissement considérable de la production de
pommes de terre, que nous avons signalé, a pour but de compenser cette
diminution de consommation de céréales et de viande. On sait que la
substi-
tution de la consommation de pommes de terre à celle des céréales
signifie
une détérioration de la qualité de la ration alimentaire et forme par
consé-
quent un indice classique de la misère d'un pays.
(34) I ne faut pas oublier que le niveau de vie des travailleurs
ouvriers aussi bien que paysans dans les Balkans était déjà avant guerre
inimaginablement misérable, que l'expression « défendre son beafsteak » y
était inconnue pour les ouvriers, de même que l'objet qu'elle désigne, et
qu'on parlait de « défendre son pain », au sens propre du terme. Il ne
faut pas oublier non plus que la dictature d'Alexandre et du Régent Paul,
dans la Yougoslavie d'avant 1940, avait comme objet essentiel de
maintenir
lė prolétariat yougoslave dans ce niveau misérable, par une terreur poli-
cière sans bornes. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut comprendre ce que veut
dire exactement le maintien du proletariat yougoslave à son niveau de vie
d'avant guerre.
(35) V. à ce sujet les articles « Les rapports de production en Russie »,
nº 2 de cette revue, p. 21-22 et « La consolidation temporaire du capita-
lisme mondial », no 3, p. 25-28.
30
concentration de l'économie. La base naturelle de son pouvoir
est la grande industrie. C'est le développement de cette der.
nière qui donne à la bureaucratie la suprématie économique
définitive vis-à-vis de tous les éléments ou les couches qui
pourraient aspirer à un retour vers les formes du capitalisme
privé. En même temps, l'industrialisation est la condition in-
dispensable pour l'extension des « profits » bureaucratiques,
c'est-à-dire du surproduit global qui est à sa disposition. Dans
le besoin qui pousse la bureaucratie à augmenter son « pro-
fit » total, il ne faut pas seulement voir la tendance indiscu-
table de la bureaucratie à accroître sa consommation impro-
ductive; il faut surtout comprendre que l'augmentation du
surproduit, base nécessaire à l'extension de l'accumulation,
est la condition de la lutte de la bureaucratie contre ses « con-
currents » et adversaires étrangers. Cet aspect apparaît beau-
coup plus clairement dans le rapport de l'industrialisation
avec la défense militaire, (36) mais est également valable par
rapport à l'ensemble de l'économie d'un pays et la puissance
de sa classe dominante. La phrase de Tito à l'adresse des autres
démocraties populaires, « attendez qu'on crée chez nous une
industrie forte, on discutera plus sérieusement ensuite », (37)
éclaire parfaitement ce rapport.
Si nous disons que la bureaucratie assure la relève de la
bourgeoisie traditionnelle dans la période décadente du capi-
talisme, ceci ne signifie pas seulement que la bureaucratie, en
tant que personnification du Capital: pendant sa dernière
phase d'existence historique, a pour rôle de maintenir le tra-
vail dans l'exploitation et l'oppression. A travers et par le
moyen de cette exploitation, la bureaucratie continue à assurer
aussi longtemps que l'ensemble de la société capitaliste
mondiale n'est pas entrée dans sa phase de décomposition et
de régression -- le développement des forces productives, que
la bourgeoisie a inauguré. De ce point de vue, ce n'est point
par
hasard si la bureaucratie tend surtout à accéder au pou-
voir dans les pays « arriérés », c'est-à-dire là précisément où
la bourgeoisie privée n'était pas parvenue à réaliser sa tâche
historique. Mais ceci ne signifie nullement qu'elle soit une
force historique « progressive »; de ce point de vue, elle ne
(36) « La force économique et défensive de chaque pays dépend de l’in-
dustrie lourde, et en particulier de la sidérurgie et de l'industrie des
machines... Sans le développement de l'industrie lourde... nous ne
pouvons
équiper techniquement ni l'agriculture, ni les transports, ni l'Armée...
»
(Rapport de A. Hebrang sur le plan Quinquennal, 1. c., p. 31, souligné
par
nous.)
(37) Voir la citation de Tito plus loin (« L'idéologie du titisme »).
31
présente que des différences de degré, mais aucune différence
de nature avec la bourgeoisie contemporaine qui, elle aussi,
continue à développer les forces productives, surtout dès
qu'elle peut s'assurer d'une domination illimitée sur le pro-
létariat, comme l'exemple de l'Allemagne nazie et du Japon
le prouvent. (38) La bureaucratie est partie intégrante du sys-
tème mondial d'exploitation et en tant que telle participe à sa
décadence générale.
Si le marxisme a qualifié la bourgeoisie de force historique
progressive, il l'a fait dans une période où la lutte sociale se
déroulait entre la stagnation absolue que représentait la féo-
dalité, et le développement énorme qu'amenait la domination
capitaliste; il l'a fait à une époque où la révolution proléta-
rienne mondiale était encore impossible, plus précisément,
où sa possibilité ne pouvait être donnée que par le dévelop-
ment préalable de l'économie et du proletariat que seule la
bourgeoisie pouvait accomplir. Mais aujourd'hui le choix n'est
pas entre la bureaucratie et la bourgeoisie; il est entre les
régimes d'exploitation, bourgeois ou bureaucratiques, et la ré-
volution prolétarienne. On ne peut qualifier la domination
bureaucratique de « progressive » que si l'on affirme que le
prolétariat est incapable d'assurer lui, par ses méthodes et son
pouvoir, un développement plus ample et plus profond des
forces productives. Aujourd'hui, la comparaison ne se pose
pas entre la stagnation féodale et le développement capita-
liste; elle se pose entre le piètre et misérable développement
basé sur l'exploitation, bourgeoise ou bureaucratique, et le dé-
veloppement immense, basé sur l'épanouissement des forces
créatrices de l'homme, que seul le pouvoir prolétarien mon-
dial peut assurer. Ce n'est donc pas par hasard si la contes-
tation de la capacité du proletariat à être classe dominante est
la pierre angulaire de l'idéologie bureaucratique, car c'est
cette idée mystificatrice qui peut donner un semblant de jus-
tification à la domination de la bureaucratie et son exploi.
'tation des travailleurs.
:
(38) Si le critère de la « progressivité » d'un régime social était
simple-
ment le fait qu'il développe les forces productives, les ouvriers
devraient
arrêter leur lutte contre l'exploitation dans tous les cas et toutes les
fois
où le produit de cette exploitation sert à l'accumulation; plus concrète-
ment, il faudrait même conseiller aux ouvriers français ou américains
d'accepter n'importe quelle baisse de salaire, à condition d'être assurés
que
les capitalistes investissent dans la production la plus-value ainsi
extraite.
32
LE REGIME POLITIQUE ,
« Sur les 524 députés à l'Assemblée Fédérale et au Conseil
des Peuples, 404 sont membres du P.C.; sur 1.062 députés
aux Assemblées républicaines, 170 seulement ne sont pas mem-
bres du P.C. Dans les Comités populaires des villages, des
villes et des arrondissements, 42.527 délégués sont membres
du P.C. De même, tous les postes dirigeants dans l'appareil
administratif et économique ont été occupés par les cadres
éduqués par le parti avant la guerre et dans la rude période
de guerre... Quelles étaient les sources des cadres pour l'ap-
pareil administratif qui se développait rapidement, pour notre
économie socialiste, pour l'activiié sociale, politique et cultu-
relle en général ? Ces sources étaient tout d'abord les orga-
nisations du Parti et les organes du pouvoir populaire...
Deuxièmement, ces sources se trouvaient dans l'armée. Sans
affaiblir sa combativité on a pu démobiliser un grand nombre
d'officiers et de soldats et on les a placés aux postes dirigeants
de l'appareil d'Etat... Il convient de souligner également que
dans les entreprises et les organisations syndicales des cadres,
sortant des rangs de la classe ouvrière, se formaient rapide.
ment, en premier lieu des cadres dirigeants pour nos entre-
prises économiques... Dans les seules années 1947 et 1949, on
a réparti aux postes dirigeants de l'appareil administratif fé-
déral, 1.023 membres du Parti, pris dans les organisations du
Parti et dans l'armée yougoslave. Pour l'appareil des adminis-
trations républicaines (c'est-à-dire des républiques fédérées),
on a réparti aux postes dirigeants 925 membres du parti... Le
parti a également accordé une attention particulière aux ca-
dres de la direction de la Sûreté d'Etat... Néanmoins, malgré
la formation de l'appareil administratif et économique de
l'Etat, le Parti n'aurait pas pu assurer la mobilisation des
masses populaires... sans le vaste réseau des organisations du
Front Populaire (qui compte 6.608.423 membres), des syn-
dicats (qui comptent 1.300.000 ouvriers et employés organisés
et qui sont inclus dans le nombre précité des membres du
Front Populaire) des organisations de la jeunesse (où sont
organisés 1.415.763 jeunes gens et jeunes filles), du Front an-
tifasciste des femmes, des coopératives, etc... Les communistes
qui se trouvent dans les directions des organisations de masse
sont la meilleure garantie que le parti, au moyen des formes
de travail mentionnées et d'autres encore, assurera la mobili-
33
2
sation des masses laborieuses pour la réalisation des tâches assi-
gnées... Nous sommes sortis de la guerre avec 141.066 membres
du parti, et le 1er juillet de cette année 1948, nous avions
468.175 membres du parti, 51.612 candidats (stagiaires) et
351.950 membres de la Fédération de la Jeunesse Communiste
de Yougoslavie. »
Cette description sobre de la situation politique en Yougo-
slavie, faite par l'homme le plus compétent du monde en cette
matière, le maître policier du régime Tito Alexandre Ran-
kovitch, (39) peut se passer de commentaires. Essayons sim-
plement de formuler d'une manière plus générale le contenu
de cette description.
Le parti « communiste » domine absolument la vie poli-
tique du pays. C'est parmi ses membres que se recrutent pres-
que exclusivement les membres des Assemblées « souveraines »,
tous les dirigeants de l'administration et de l'économie, les
dirigeants des organisations des masses. Ces dernières sont
enrégimentées dans des organisations, dont les deux princi-
pales (le Front Populaire et les Jeunesses) comptent plus de
huit millions d'adhérents (sur une population totale de moins
de seize; ceci donnerait en France une organisation de plus
de vingt millions) ; donc, abstraction faite des enfants et des
vieillards, deux citoyens sur trois pour les deux sexes. Ces
organisations de masse sont un des principaux moyens du
parti pour tenir la population en mains. Le recrutement de
la nouvelle bureaucratie s'effectue à un rythme assez rapide,
les membres du parti ayant plus que triplé entre 1944 et 1948.
Actuellement, membres du parti, stagiaires et membres des
jeunesses forment un total de presque 900.000 individus, soit,
compte tenu des familles, plus de 10 p. 100 de la population
totale. Un bon nombre des nouveaux « cadres » sortent des
rangs du proletariat; absorbés dans la nouvelle couche diri-
geante, liés aux prérogatives et aux privilèges du pouvoir, ina-
movibles aussi longtemps qu'ils seront fidèles serviteurs du
nouveau régime, ils oublieront pour la plupart rapidement
leurs origines.
Quant au régime interne de ce Parti, aucun doute ne peut
exister sur son caractère monolithique et totalitaire. Témoin
s'il en faut l'absence de toute discussion, de toute ten-
dance politique. (40) Témoins la rapide liquidation même de
C
(39) Le travail d'organisation », rapport présenté au Ve Cong.ès du
Parti Communiste de Yougoslavie. (Le Livre Yougoslave, 1949, p. 50-58.
Les passages soulignés le sont par nous.)
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Hebrang et de Youyovitch, devenus du jour au lendemain, des
dirigeants du parti, «hypocrites pernicieux, traîtres, instru-
ments aux mains de l'ennemi de classe, calomniateurs et en-
nemis du parti et du pays » (A. Rankovitch, 1.c., p. 79). Pour-
tant Hebrang et Youyovitch étaient tout simplement des par-
tisans, des agents, si l'on veut, du Kominform et de l'U.R.S.S.,
c'est-à-dire du pays qu'au même moment Rankovitch qualifiait
de « patrie du socialisme ». Le fait que Rankovitch se soucie
de la cohérence de ses accusations comme de sa première che-
mise, montre suffisamment qu'il est un authentique héritier
de la tradition stalinienne et que les méthodes qui prévalent
dans le P. C. yougoslave sont exactement celles du Guépéou.
L'épuration lente, mais continue des cadres dirigeants, épu-
ration qui se fait dans le silence ou dans le mensonge, est un
des indices du caractère policier du régime. Ainsi, pendant
l'automne 1948, étaient destitués le général Yovanovitch -- un
des chefs les plus importants de l'armée --, les ambassadeurs
yougoslaves à Bucarest, à Téhéran, au Caire, des hauts fonc.
tionnaires des ambassades de Sofia et de Budapest, cinq mi-
nistres de Monténégro et trois ministres de Bosnie et Herzé-
govine, (41) Pendant l'hiver 1948-1949, une vague d'épura-
tions était signalée à Monténégro; le 14 janvier 1949, cinq
membres du gouvernement croate étaient destitués; au mois
de mars, une épuration du gouvernement serbe avait lieu, et
Jacob Loutzati, ministre adjoint de l'industrie et du bois, était
condamné à huit ans de travaux forcés pour « sabotage ». (42)
Au mois de mai 1949, on apprenait un deuxième remaniement
du cabinet croate, avec élimination de deux nouveaux minis
tres. (43) Cette liste n'est évidemment pas limitative. Il va sans
dire qu'aucune explication n'est d'habitude donnée sur les
raisons de ces éliminations.
Mais le plus instructif, ce sont les dépêches triomphales de
l'agence Tanyug sur les repentirs spontanés et spectaculaires
des adversaires du régime. Nous ne pouvons pas résister à la
tentation de donner un spécimen du genre :
« Belgrade, 5 octobre 1949. Par un décret du ministre de
l'Intérieur, 713 anciens détenus que les pouvoirs compétents
avaient envoyés au travail social pour leur activité kominfor-
miste ont été amnistiés, étant donné que par leur travail et
(40) Les membres du Comité Central furent élus au V° Congrès (juillat
1918) avec des votes de 2.318, 2.319, 2.316, 2.314, 2.322 voix sur 2.323
votants !
(A.F.P., n° 199, 7 août 1948, p. 20-21.)
(41) A.F.P., n° 217, 11 décembre 1948, p. 28-29.
(42) A.F.P., n° 235, 16 avril 1949, p. 3.
(43) A.F.P., n° 239, 14 mai 1949, p. 26.
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leur attitude ils ont prouvé que les mesures coërcitives qui
leur ont été appliquées ont été efficaces (!). Toutes les per-
sonnes visées par le décret ont expliqué le désir unanime de
travailler bénévolement à l'autostrade Belgrade-Zagreb jusqu'à
l'achèvement de cet important objectif du plan quinquennal...
Les amnistiés ont fait des discours exprimant leur dévouement
à Tito, au Parti et au peuple et remerciant le parti communiste
qui leur a permis de comprendre, etc., etc. ) (44)
La conversion « spontanée » des opposants politiques est
une vieille méthode des régimes policiers. Quant à l' « effica-
cité » des camps de travail forcé de M. Rankovitch, nous n'en
avions jamais douté.
LA POLITIQUE ETRANGERE
Avant la rupture avec le bloc russe, la politique extérieure
de la bureaucratie yougoslave présente peu de particularités.
Les délégués yougoslaves sont les brillants seconds des délé-
gués russes à l'O.N.U., l'aide accordée par la Yougoslavie aux
partisans staliniens en Grèce est la principale base matérielle
de la résistance de ceux-ci. La seule question particulière qui
se pose pendant cette période est la « Fédération des Slaves du
Sud », projet par lequel les dirigeants titistes essaient d'an-
nexer à leur Etat la Macédoine grecque et la Bulgarie. (45) A