Il faut avoir la vision bornée de Sartre et être aussi exclusivement
que lui préoccupé par les problèmes que lui pose son intégration dans
Ke stalinisme hinc et nunc, en France et en 1953, pour ne pas s'en
apercevoir. Le parti ou plutôt les partis, car le parti est un objectif
et non pas une réalité les partis donc se créent, se détruisent, sont
exterminés par la police, abandonnés par la classe, réapparaissent,
scissionnent, existent en plusieurs exemplaires, s'accusent mutuelle-
ment de trahison, modifient leur programme, en font un chiffon de
papier, le reprennent, subissent l'entrée en masse de générations
nouvelles en un mot, pour reprendre l'expression profonde de
Sartre, se font, se défont et se refont sans cesse, et sont soumis au
même processus de bouleversement continu de la classe, beaucoup
plus intensément, car beaucoup plus structurés et définis, beaucoup
plus « solides et fixes », donc beaucoup plus ébranlés et balayés. La
continuité que ces partis-là peuvent garantir à la classe ouvrière,
d'est une continuité de dix ou vingt ans, et cette continuité-là chaque
génération ouvrière l'a pour elle-même. L'idée du parti comme
garant de continuité, comme principe d'unité dans le temps et dans
l'espace, pourrait être discutée si le parti existait effectivement
aomme unité ; mais il n'existe pas.
Mais cette unité, dira peut-être Sartre, bien sûr elle n'est pas
donnée ; c'est une tâche toujours à reprendre. Très bien, nous voilà
donc sortis du catholicisme stalinien. Et qui doit la reprendre ?
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A partir de quoi ?. En s'orientant vers quoi ? Serait-ce par hasard
l'avant-garde prolétarienne, à partir de son expérience, s'orientant
vers des buts qu'elle essaie de définir elle-même ? Alors l'affaire
est entendue, et Sartre aurait noirci du papier pour rien ; car il
reconnaîtrait alors que le parti n'est qu'un moment dans cette
longue lutte au cours de laquelle le prolétariat tend à se définir un
rôle historique et à lc réaliser, et que c'est cette lutte qui est le
principe d'unité du prolétariat et de son histoire, et non le parti.
L'unité du parti existerait-elle d'ailleurs dans les faits, que cela
ne prouverait encore nullement ce que Sartre veut prouver. Celui-ci
a en effet si bien dépassé la philosophie, qu'il passe tout le temps de
l'être au devoir-être, du fait à la valeur et de l'explication à la
justification. Il répète tout le temps : puisque le P.C.F. est là, cela
prouve qu'il doit être là. De même il s'acharne à montrer contre ce
pauvre M. Germain, trotskiste, que si l'U.R.S.S. et la politique stali-
nienne sont telles qu'elles sont, elles le sont nécessairement ce qui
est une tautologie donc elles représentent un état révolutionnaire
et une politique révolutionnaire ce qui est une imbécilité. Car
Germain, Malenkov, Sartre, Bourdet, Guy Mollet, Mendès-France,
Bidault, Pinay, Laniel et de Gaulle sont tous nécessairement ce qu'ils
sont, on le sait à priori et on peut plus ou moins bien le démontrer à
posteriori. Et après ? Où Malenkov est-il privilégié parce qu'il est
au pouvoir ? Et Laniel, alors ? Parce qu'il dit que son pouvoir est
ouvrier ? Et Tito, alors ? Parce que lui, Sartre en réfléchissant et en
examinant son pouvoir, a conclu que Malenkov dit vrai et Tito
ment ? Le contraire, donc n'est pas à priori impensable ? Et pour
conclure cela, où prend-il les critères ? Pas dans le Parti lui-même,
bien sûr ; le parti serait-il la Raison, qui comporte ses propres cri-
tères ? Dans l'histoire et l'expérience des luttes prolétariennes ? Mais
alors pourquoi ce que fait Sartre, un ouvrier ne pourrait pas le