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SOCIALISME
OU BARBARIE
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P. CHAULIEU
Ph. GUILLAUME A. VEGA - J. SEUREL (Fabri)
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SOCIALISME
OU BARBARIE
Gr
Sur la dynamique du capitalisme
Marx a fait de l'économie politique une discipline histo-
rique, en plaçant au centre de l'examen l'essence sociale et
dynamique des phénomènes économiques,
L'idée que l'économie capitaliste n'est rien de plus qu'un
moment dans un développement historique qui a commencé
longtemps avant elle et qui continuera lorsque le capitalisme
comme forme d'organisation économique sera détruit, semble
aujourd'hui une platitude. Pourtant la critique de Marx
contre l'économie politique classique, qui voyait dans les lois
du capitalisme des lois économiques naturelles et éternelles
garde toute son importance ; en effet, d'une manière plus
subtile peut-être, la conception de lois économiques natu-
relles forme toujours la prémisse cachée de l'économie
politique bourgeoise, qui continue à vouloir faire procéder
le fonctionnement du capitalisme de la « logique parfaite-
ment générale du choix » (1). Cette logique du choix est la
logique du choix capitaliste, où certains choisissent parmi
des possibles qui n'en sont pas pour d'autres, en s'orientant
vers des objectifs qui sont les leurs propres. La structure
de classe du système détermine à la fois le possible et le
rationnel (le champ et le critère du choix), et par là donne
naissance à des lois (régularités statistiques de comporte-
ment) qui n'ont pas nécessairement de signification en
dehors de ce système. La rationalité capitaliste n'est ratio-
nalité que par rapport à une situation de fait appelée à dis-
paraitre, ne représente donc qu'une étape transitoire dans le
développement de la rationalité historique. Les lois écono-
miques du capitalisme représentent un groupe particulier
des lois économiques possibles ou réalisées dans l'histoire,
groupe qui n'entre en vigueur que lors et aussi longtemps
que les structures de fait correspondantes existent. Inci-
demment, la considération exhaustive des groupes de lois
possibles, et le traitement systématique de la séquence de
réalisation de ces groupes dans l'histoire effective et de sa
(1) J. Schumpeter, « Capitalism, Socialism und Democracy », éd. 1950,
p. 182 et s.
1
connexion interne serait la seule perspective théorique dans
laquelle l'économie politique pourrait être fondée comme
science.
Une partie de ce programme --- la plus importante en
pratique a été réalisée par Mars lui-même. La reconnais-
sance du caractère historique du capitalisme, donc du carac-
tère transitoire de ses lois, n'a pas lieu chez Marx par la
juxtaposition du capitalisme à d'autres systèmes possibles
ou réels, mais par son insertion dans un développement au
sens fort du terme. Le capitalisme vient nécessairement
après autre chose (l'économie marchande) et tend à ame-
ner aussi autre chose. Ce qui est la condition du capitalisme
(le capital et le prolétariat), est le résultat d'un dévelop-
pement précédent (l'accumulation primitive), et de nême,
ce qui est le résultat du développement capitaliste (la con-
centration du capital), sera la condition d'un ordre écono-
mique nouveau (le communisme).
Pär là est dévoilé un aspect fondamental de la dynamique
de l'histoire. A des conditions sociales incorporées dans des
situations et des structures de fait données, associées à un
degré de développement de la rationalité historique, corres-
pondent des lois (dans le sens défini plus haut) et l'action
des individus et des choses dans le cadre de ces lois modifie
et détruit perpétuellemont les conditions de base du système,
de sorte que les lois elles-mêmes sont modifiées graduelle-
ment ou brutaleinent. Et la préoccupation qui domine d'un
bout à l'autre « le Capital » est de montrer comment le
fonctionnement même du capitalisme tend en fin de compte
à détruire les conditions de son existence. C'est la raison
pour laquelle Marx a accordé si peut d'intérêt au fone-
tionnement d'une économie capitaliste statique. L'analyse
de celle-ci (que ce soit sous la forme de la détermination des
prix relatifs dans la courte période, ou de la reproduction
simple) l'a retenu exclusivement dans la mesure où elle
pouvait préparer le terrain pour l'examen des problèmes du
développement à tong terme du capitalisme, c'est-à-dire du
problème du déséquilibre dynamique.
On sait que l'effort titanique entrepris par Marx dans
cette direction n'est pas parvenu à son terme. « Le Capital »
est resté inachevé et les deux tiers de ce que l'on possède
aujourd'hui (les tomes II et III) n'étaiont pas considérés
par Marx lui-même comme prêts pour la publication. Bien
que ce qui intéresse ici c'est le développeinent des choses
et non pas l'Histoire des idées, il est nécessaire de sou-
mettre les conclusions de ce qui se trouve dans « Le Capital ,
inachevé à une brève appréciation, qui ne trouvera sa pleine
justification que dans la suite de cette étude. On suppose
que l'essentiel des idées du « Capital » est connu du lecteur.
La dynamique du capitalisme est déterminée dans « Le
Capital » par les deux processus, liés mais non identiques,
de l'accumulation et de la concentration du capital. Au fur
et à mesure que ces deux processus se déroulent, les grands.
rapports quantitatifs de l'économie capitaliste subissent une
modification continue : la composition organique du capital
2
(rapport entre la valeur du produit social brut provenant
du capital constant et celle provenant du capital variable
s'élève, le taux d'exploitation du travail (proportion suivant
laquelle le produit social net est divisé en plus-value et
capital variable) augniente, enfin le taux du profit (rapport
de la plus-value totale au capital total) tend à baisser.
Dans le cadre concret du capitalisme, c'est l'accumulation
(combinée évidemment avec le progrès technique, que par
ailleurs elle stimule et accélère) qui est la base de la crois-
sance économique. En même temps, la concentration détruit
constamment la structure sociale initiale du capitalisme ; la
classe capitaliste tend à devenir une infime minorité, à
laquelle s'oppose l'ensemble de la société prolétarisée. Cette
grandissante opposition quantitative prend tout son sens par
l'exacerbation de la contradiction sociale qu'amènent l'élé-
vation de la composition organique du capital (aliénation
croissante du producteur dans la production, où la masse
énorme de travail mort écrase et domine de plus en plus le
travail vivant et en même temps expulsion de l'homme
par la machine et augmentation du chômage) et l'augmen-
tation du taux de l'exploitation (misère relative croissante
du producteur en tant que consommateur). Enfin la baisse
du taux de profit mine le capital de l'intérieur et lui enlève
sa raison d'être.
Cette construction de la dynamique du capitalisme quelle
que soit sa fécondité en tant que vision historique d'ensem-
ble et son extraordinaire richesse dans les détails, n'est
absolument pas satisfaisante.
Tout d'abord, si c'est un mérite imprescriptible de Marx
d'avoir vu l'essence capitalisme dans le processus de
concentration, l'essentiel de l'analyse à en faire ne se trouve
pas dans « Le Capital ». Une fois le processus de concen-
tration posé, il faut voir quels sont les changements qu'il
apporte dans le fonctionnement du capitalisme. La varia-
tion des quantités n'a de sens pour l'analyse historique
économique que dans la mesure où elle aboutit à la modifi-
cation des structures. Le capital qui se concentre de plus
en plus ne reste pas éternellement du capital de plus en plus
concentré ; il devient autre chose, il acquiert des nouvelles
déterminations qui ne sont pas uniquement quantitatives.
Le jour où le capital concentré devient le monopole, le jour
où la crise économique et sociale conduit à la suppression
du monopole particulier et à la concentration totale de la
production entre les mains de l'Etat, quelque chose d'essen-
fiel est changé dans le structure économique. Le capitalisme
au sens le plus général ne cesse pas d'exister comme domi-
nation du capital sur le prolétariat, mais son mode de fonc-
tionnement est radicalement altéré. Pour citer les exemples
les plus évidents, on ne peut plus parler de péréquation du
taux de profit si le monopole s'est emparé de branches
importantes de la production ; puisque dans ce cas le méca-
nisme de la concurrence qui amène cette péréquation n'existe
pas. De même, on ne peut plus parler de déséquilibre entre
la production de moyens de production et d'objets de con-
sommation conduisant à la surproduction dans le cas de
la concentration totale.
3
3
Et de même que la concentration signifie une modifi-
cation des structures économiques, de même elle se traduit,
sur le plan social, par l'apparition de nouvelles catégories
et couches, ou l'accroissement énorme du poids et du rôle
de couches déjà existantes de sorte que l'opposition entre
la poignée de grands capitalistes et la quasi-totalité de la
sociétě prolétarisée cessé d'être la seule ou la plus impor-
tante.
Ce qui est important est donc d'examiner la concentra-
tion en tant que modification graduelle de la structure même
de l'économie capitaliste et par là aussi des lois de cette
économie. Les lois du capitalisme concurrentiel ne se con-
servent pas toutes dans le capitalisme monopolistique, ni
celles de ce dernier dans le capitalisme bureaucratique.
En deuxième lieu, le problème de l'accumulation du capi-
tal a été laissé à ses débuts par Marx. Il ne s'agit évidemment
pas de se demander s'il y a accumulation, mais comment
elle se déroule et si le capitalisme tend nécessairement vers
un équilibre dynamique l'accumulation sans crises ou
vers le contraire. Les modèles laissés par Marx dans le
tome II du « Capital » sont d'une grande utilité par la clari-
fication de certains concepts, mais leur portée est extrê-
mement limitée. Ils consistent à montrer que sous certaines
hypothèses sans rapport avec la réalité (chaque capitaliste
investissant toujours tous ses profits, et toujours dans son
secteur et jamais ailleurs, le crédit n'existant pas, le rythme
de rotation du capital fixe et du capital circulant étant le
même, la composition organique et le taux d'exploitation
restant constants), si le capitalisme se trouve au départ en
état d'équilibre, il est possible qu'il continue son expan-
sion en équilibre. Le vrai problème commence évidemment
lorsqu'on se débarrasse de toutes ces restrictions. Il devient
alors d'une complication énorme (ce qui explique la lamen-
table confusion des discussions sur l'accumulation dans le
mouvement marxiste), mais il est vrai qu'on ne saura rien
de solide sur la dynamique du capitalisme tant qu'on n'aura
pas avancé dans la solution du problème posé dans toute
sa complexité réelle.
Enfin, il n'est pas possible d'accepter telles quelles ni les
conclusions de Marx sur l'élévation de la composition orga-
nique, l'augmentation du taux d'exploitation et la baisse ten-
dancielle du taux de profit, ni la manière dont elles ont été
établies. Le ressort principal du raisonnement de Marx
dans ce domaine est le progrès technique. Mais il est impos-
sible de déduire du progrès technique tout court l'élévation
de la composition organique et du taux d'exploitation. S'il
parait certain que le progrès technique tend à augmenter
le volume du capital fixe et des matières premières mani-
pulés par le travail vivant, il n'est pas du tout a priori cer-
lain qu'il tende à en augmenter la valeur (1). De même, le
(1) C'est Marx lui-même qui a souligné cet aspect contradictoire de
l'évolution, de même qu'il était incontestablement et d'une manière
démon-
trable conscient de la plupart des problèmes et des difficultés qui sont
soulevées dans ces pages. Qu'il soit clair que ce qui intéresse ici n'est
pas
la critique de Marx comme auteur, mais le bilan de son effort en vue de
sa continuation. Pour le reste, on n'est pas plus intelligent que Marx ;
on
peut simplement être plus vieux d'un siècle.
4
progrès technique en diminuant la valeur des objets de con-
sommation ouvrière, tendrait à augmenter le taux d'exploi-
tation si le salaire réel restait constant. Mais le salaire
réel ne reste pas nécessairement constant ; en fait, dans la
plupart des cas, il a augmenté à travers le développement
du capitalisme. Que cette augmentation n'ait pas été le résul-
tat automatique du progrès économique, que les ouvriers
aient toujours dû, après avoir augmenté la production, lut-
ter durement pour augmenter leur part du produit social,
que jamais les patrons n'aient rien accordé qui ne leur fut
arraché de force sont des choses incontestables, qui mon-
trent toutefois que la variable essentielle pour expliquer
l'évolution du taux d'exploitation, c'est-à-dire l'intensité de
la lutte des classes, transcende largement l'économie pro-
prement dite.
De la combinaison de l'élévation de la composition orga-
nique et de l'augmentation du taux d'exploitation ne résulte
pas nécessairement une tendance vers la baisse du taux de
profit ; pour qu'il y ait baisse du taux de profit, il faudrait
qu'il y ait un certain rapport entre le rythme dont s'élève
la composition organique et celui dont s'accroît le taux
d'exploitation, et il n'est pas a priori de raison pour que ce
rapport existe dans la réalité. Par ailleurs, vraie ou non, la
tendance à la baisse du taux de profit n'a pas de significa-
tion. Un taux de profit bas peut avoir de l'importance s'il
affecte une entreprise ou une branche particulière ; mais ici
il s'agit par définition du taux général du profit. Aucune crise
du capitalisme ne résulte du fait qu'en 1850, le capital don-
nait du 15 % par an et qu'en 1950 il ne donnerait plus que
du 12 %.
Ce fait ne pourrait pas affaiblir le stimulus à l'accumu-
lation, car ce qui incite l'accumulation c'est le profit diffé-
rentiel ou alors l'existence d'un profit quelconque - non
pas la stabilité séculaire du taux général du profit. Il ne
pourrait affaiblir ce stimulus que si le taux de profit devenait
effectivement nul, ce qui n'est possible que si soit le taux
d'exploitation était nul, soit les ouvriers étaient remplacés
par des machines deux suppositions également absurdes.
Peut-on supposer que la baisse du taux de profit diminue lo
fonds d'accumulation des capitalistes ? Non, car ce taux
supposé déclinant s'applique à une masse croissante de capi-
tal, donc la masse des profits (et le fonds d'accumulation)
peut en même temps s'accroître en termes absolus. Mais le
fonds d'accumulation décroît peut-être en termes relatifs, ce
qui ferait que le rythme d'expansion de l'économie tend à se
ralentir ? Soit ; mais ce ralentissement se réfère uniquement
au taux d'expansion de quantités mesurées en valeur, ce qui
ne dit rien sur l'expansion matérielle. De plus, si le rythme
de l'accumulation se ralentit, l'élévation de la composition
organique doit se ralentir aussi, et donc aussi la baisse du
taux de profit.
En réalité, parmi ces trois tendances, celle qui à une
importance fondamentale c'est l'évolution du " taux de
l'exploitation, qui est déterminée essentiellement par un fac-
teur extra-économique le développement de la lutte des
classes. Il est évidemment essentiel de savoir comment la
lutte de classes elle-même est influencée par la situation
5
économique, et comment son influence sur l'économie est
différenté selon l'état différent de celle-ci ; mais vouloir
déterminer l'évolution du taux d'exploitation, même « en der-
nière analyse », à partir du pur et simple fonctionnement des
mécanismes économiques serait se laisser mystifier soi-
même par une « réalité économique » séparée et indépen-
dante de l'histoire.
Ceci d'ailleurs n'est qu'une première approximation. Il est
essentiel de dire que les diverses quantités ou rapports
quantitatifs qui caractérisent l'économie sont déterminés
par deux variables relativement indépendantes le progrès
Technique et la lutte des classes dont le développement
doit être observé dans la réalité historique et ne peut pas
être déduit a priori des conditions du système. Encore faut-il
voir en quoi ces variables sont-elles indépendantes, et en
quoi ne le sont-elles que relativement. Les rapports
apparaissant extérieurement comme quantitatifs = la
composition organique du capital, par exemple, ou le
taux d'exploitation - ne sont que l'habillage abstrait d'une
réalité humaine qualitative, infiniment plus complexe. Lors-
qu'on oblige les ouvriers dans une usine à tourner dans le
même temps un nombre de pièces augmenté de moitié, on
peut exprimer le phénomène en disant que la composition
organique de la valeur du produit a été élevée. L'essentiel
pourtant sera de voir que celte modification que l'on peut
supposer résultant d'un progrès technique - provoquera
fatalement une réaction au sein du groupe des ouvriers, et
par là même aura un résultat au niveau de la lutte des
classes. Selon le déroulement de celle-ci (dépendant évidem-
ment d'une foule d'autres facteurs) la modification technique
aura ou n'aura pas comme deuxième résultat une augmen-
tation du taux d'exploitation. Le problème de donner une
formation théorique générale à des relations mixtes de ce
genre -- dont l'aspect quantitatif n'épuise pas les moments
essentiels c'est-à-dire en fin de compte le problème de la
connaissance de l'histoire, attend toujours sa solution.
Dans ce qui suit, l'analyse quantitative alternera avec la
discussion de l'évolution réelle ou probable des autres
facteurs.
Ces remarques critiques tracent l'orientation d'un travail
nécessairement long, dont cette étude veut simplement poser
certaines présuppositions. Les deux premières parties
(Mesure et valeur ; Valeur et échanges) visent à clarifier les
catégories qui seront constamment utilisées par la suite
(valeur, plus-value, capital, profit, prix). Les trois parties
suivantes examinent la répartition du produit social entre
capital et travail et le problème de l'accumulation à travers
les trois phases du capitalisme (concurrence, monopolisa-
tion, concentration totale) (1).
(1) I est presque toujours utile et souvent indispensable de donner une
formation mathématique aux problèmes économiques. Dans ce qui suit, la
marche du raisonnement et les conclusions sont toujours données d'abord,
et l'utilisation des formules a été confinée à des paragraphes marqués
d'un
astérisque afin que le lecteur qui le désire puisse les sauter avec le
moins
de dommage possible.
6
1.
MESURE ET VALEUR
Parler de dynamique du capitalisme n'a de sens que si
l'on sait comparer deux états de l'économie situés à des
points différents du temps. Cette comparaison est toujours
possible en termes de description qualitative, mais la des-
cription se perd fatalement dans la diversité infinie des
faits concrets, et même si elle se concentre sur l'essentiel,
elle peut difficilement le montrer comme tel. La comparai-
son de deux états distants de l'économie serait grande-
ment facilitée si l'on pouvait associer à chacun d'eux un
système de nombres caractéristiques. La détermination
réciproque de ces nombres à un instant donné ou à des
instants différents, si elle existe, permettrait alors une
analyse sans ambiguïté des lois économiques pendant la
phase considérée de développement.
Ceci ne veut pas dire que tout ce qui est économique
doit pouvoir être quantifié, ni même que ce qui peut être
quantifié est nécessairement ce qui est important dans
l'économie. Du point de vue de l'histoire totale, c'est le
contraire qui est vrai. Ce qui est important, c'est ce qui
sera réel, et ce qui sera réel sera l'individu humain concret;
et ce que travailler ou consommer signifie pour l'individu
Concret ne se laisse pas quantifier. Mais pour l'histoire
actuelle l'individu humain n'existe pas ; ce qui existe, c'est
l'atome social interchangeable. Et pour l'économie actuelle,
cet atome n'est important qu'en tant qu'unité numérique,
son travail ou sa consommation n'ont de signification qu'en
tant qu'ils sont mesurables. Que l'économie capitaliste ne
réussisse jamais à réduire complètement l'homme social à
cet atome économique ne fait que renforcer cette consta-
tation ; car les moments où les atomes économiques font
crever leur définition et se comportent comme classe his-
torique sont précisément les moments où la réalité écono-
mique du capitalisme et la théorie économique bourgeoise
sont rádicalement mises en question (1). Il reste que la
quantification des activités humaines par l'économie capi-
taliste constitue le fondement logicohistorique de la quan-
tification de l'économie capitaliste par la théorie. Il reste
aussi que si cette théorie se place dans la perspective de
la révolution, elle verra dans cette quantification les limi-
tations qui lui sont inhérentes, de même qu'elle saura que
l'économie en tant que telle est une abstraction.
Du point de vue de la théorie économique, le problème
de la mesure est donc logiquement antérieur à l'examen
concret de l'économie. Si l'aspect quantitatif des phéno-
mènes économiques est important, il faudrait pouvoir les
mesurer avant d'essayer de les interpréter (2). De plus,
la méthode de mesure doit pouvoir être appliquée indépen-
damment des variations structurelles de l'économie capita-
(1) Voir plus haut, p. 4 à 6.
(2) Cet a priori logique est évidemment un a posteriori du point de vue
du développement historique de la connaissance. Il est aussi un a
posteriori
par rapport à d'autres phases de la théorie. L'idée de la possibilité
d'une
mesure de l'économie capitaliste, par exemple, presuppose une analyse
de l'essence du capitalisme comme aliénation de l'homme. Mais cet aspect
de
la question se situe à un autre niveau de réflexion que celui auquel se
place le texte.
7
liste, et l'étalon de mesure auquel elle conduit doit rester
identique à lui-même (1).
L'économie se présente comme un complexe d'activités
dans lequel des choses sont constamment transformées en
d'autres ; des matières se transforment en instruments, le
temps humain se transforme en objets et les objets se
transformer à nouveau en vie humaine. Ce qu'on se pro-
pose de mesurer tout d'abord, c'est la valeur ou le coût
social de telle production particulière ou de l'ensemble de
la production. Ce coût s'exprime dans le fait que des choses
doivent être détruites (en tant que choses ayant telle forme
donnée), afin que d'autres choses soient créées. Dans la
mesure où une chose peut être créée sans que la consom-
mation productive d'une autre chose (y compris le temps
šumain) soit nécessaire pour cela, cette chose n'a pas de
valeur ou de coût social.
Le problème de la mesure de la valeur ou du coût social
de la production se présente donc comme le problème de
l'aggrégation de quantités naturellement hétérogènes. Si
l'on définit comme valeur en coût social d'un produit X
l'ensemble des produits qui ont dû être consommés pour la
production de X, cet ensemble sera, sous certaines, hypo-
thèses, une notion bien définie, mais en tant que collection
d'objets hétérogènes. On saura en général dire, que la créa-
tion de telle quantité de tissu implique la destruction de
tant de fil de coton, unités (ou fractions) de machines
textiles et heures de travail, mais on ne saura pas exprimer
cet assemblage par un seul nombre, puisque l'addition n'a
de sens que si les quantités additionnées sont de la même
nature et exprimées dans la même mesure. On ne pourra
sommer ces quantités que si l'on sait construire un facteur
de conversion, perincttant d'exprimer les mètres de tissu,
les kilogrammes de fil, les heures de travail etc..., comme
multiples d'une même quantité fondamentale.
Dans la réalité économique du capitalisme - et dans
toute économie basée sur le marché il y a bien un étalon
général des valeurs (monnaie), généralement accepté comme
tel, qui rend homogènes entre eux les produits et permet
d'écrire une paire de chaussures 100 kilos de blé (en
termes de monnaie). Mais cet étalon ne peut pas être direc-
tement et simplement utilisé par l'analyse économique, pour
des raisons à la fois de principe et de fait.
Du point de vue du principe, le fait que tous les parti,
cipants de l'économie considérée acceptent un étalon donné
des valeurs n'a rien à voir avec le problème de la mesure
des valeurs à utiliser pour la théorie économique. L'exis-
tence et l'acceptation universelle au sein de l'économie d'un
étalon des valeurs est pour la théorie économique un fait à
expliquer, mais il est absurde de vouloir ériger sans discus-
sion ce fait en catégorie de la pensée économique.
OD Identique sous les déterminations considérées comme importantes :
Hidentité sous toutes les déterminations n'est pas une catégorie pouvant
s'appliquer aux choses réelles, qui deviendraient indiscernables dans la
mesure où elles seraient identiques.
8
Du point de vue des faits, non seulement l'étalon moné-
taire est variable dans le temps et dans l'espace, mais les
rapports des produits exprimés en cet étalon (prix) reflètent
une foule d'autres facteurs, à part la valeur ou coût social
des produits. Ils reflètent l'équilibre (ou déséquilibre)
momentané ou permanent de l'offre et de la demande et,
ce qui est plus important, ils varient avec le mode concret
d'organisation du capitalisme. Dans le cas d'une économie
à concurrence imparfaite ou monopolistique, les prix sont
déterminés, au-delà des coûts, par le degré de monopoli-
sation ou d'intégration de l'industrie, l'élasticité de la
demande, etc. Et, dans le cas d'une économie capitaliste à
concentration totale, où les prix et la production sont déter-
minés par une autorité centrale, ces 'notions deviennent
complètement inutilisables (1).
La théorie de la valeur-travail de Marx est la seule ten-
tative de, trouver une mesure des quantités économiques
indépendante des accidents du marché et des formes con-
crètes d'organisation de l'économie, qui exprime le coût
social des divers produits en termes du seul facteur qui a
une signification historique absolue l'effort humain. Cette
théorie implique que ce qui est à mesurer dans les quan-
tités économiques, c'est leur coût pour la société (c'est
la définition même du concept de valeur), et que pour la
société, ce qui coûte, c'est uniquement son propre travail,
direct ou indirect. La nature, en effet, est propriété de la
société, et les instruments de production le fruit du travail
passé.
Quand on parle de coût pour la société, il ne faut pas
croire que cette expression présuppose une unité réelle de
la société, autrement dit qu'elle se place au point de vue
irréel des intérêts de la société dans son ensemble. Le coût
pour la société est le coût pour celui au profit de qui la
société existe ; pour la société sans phrase, autrement dit,
s'il s'agit d'une société sans classe, pour la classe exploi-
teuse dans les autres cas. Il peut paraître paradoxal de
dire que la production annuelle coûte à la classe exploiteuse
le travail annuel des classes exploitées ; le paradoxe dispa-
raît lorsqu'on se rappelle que ce qui fonde l'exploitation est
le pouvoir. (direct ou indirect) de disposer du temps d'au-
trui, que donc la véritable richesse de la classe exploiteuse
sont les millions d'heures de travail à effectuer pour elle
par les exploités, et que si elle utilise ces heures d'une
manière donnée, elle renonce par là même à les utiliser
d'une autre. Cela apparaît sans masque lorsque la domina-
tion du capital se débarrasse, d'une manière provisoire ou
permanente, de tout le fatras du marché, des prix, de la
monnaie etc., comme dans l'économie de guerre
ou la
concentration totale. Là il devient immédiatement apparent
qu'en dernière analyse le seul facteur important est la
répartition de la force de travail entre les divers secteurs
de la production, et le capital montre dans les faits que eo
(1) Sur une autre implication fondamentale et inacceptable de l'utilisa-
tion des prix courants comme mesure, voir plus loin, p. 16, 21.
9
que lui coûte une production donnée, c'est le travail direct
ou indirect qui a dû lui être consacré et que, par conséquent,
on n'a pas pu utiliser ailleurs.
Ces considérations résolvent en même temps le problème
de l'identité de l'étalon des valeurs à travers le temps. Si
l'on suppose en effet qu'on a réussi à exprimer les coûts
ou valeurs en termes de temps de travail simple .(i.e. dé-
pourvu de toute qualification autre que celle que procure
naturellement à un individu le fait d'avoir grandi dans telle
société à telle période), cette expression gardera sa signi-
fication à travers le temps, et l'on aura le droit de dire
que le temps de travail nécessaire à la production de tel
objet a diminué de tant entre telle et telle date. Le temps
de travail dont il s'agira dans les deux cas sera en effet
de nature identique du point de vue de l'économie. Il ne sera
de nature identique d'aucun autre point de vue, puisque
même les heures d'un individu ne sont pas de nature iden-
tique à travers sa vie. Mais il sera identique en tant qu'élé-
ment du coût social, puisque ce dont dispose la société à
ehaque instant pour la prochaine période, c'est telle quan-
tité d'heures de travail simple (ou qui peut être réduit en
travail simple). Une heure de travail de l'ouvrier américain
de 1953 a la même importance pour le capitalisme améri-
cain de 1953, qu'une heure de travail de l'ouvrier anglais
de 1800 avait pour la bourgeoisie anglaise de 1800 ; dans
les deux cas, cette heure de travail est l'unité naturelle
dans laquelle se mesure la richesse de la classe exploiteuse.
Reste à montrer que l'on peut effectivement utiliser le
temps de travail comme étalon des valeurs, autrement dit
qu'il y a un moyen effectif d'exprimer le coût de la pro-
duction en termes de temps de travail. Si l'on dit que la
valeur d'un produit est égale à la quantité de travail qui
y est incorporée, il faut inontrer que l'on peut mesurer cette
quantité. Il s'agit, bien entendu, aussi bien du travail direct,
dépensé pour la fabrication de la marchandise en question,
que du travail indirect, contenu dans les instruments et les
matières premières à partir desquels la marchandise a été
fabriquée. Comment évaluer ce travail indirect ? Pour les
matières premières, il est clair que leur valeur passe dans
sa totalité au produit. Pour ce qui est des instruments, on
dira qu'ils transfèrent au produit fabriqué une parcelle de
leur propre valeur, au prorata de l'usure qu'ils subissent
pendant la fabrication. Si un instrument sert à fabriquer
une dizaine de produits, après quoi il est totalement usé,
il transférera à chacun de ces produits un dixième de sa
propre valeur. Mais quelle est cette valeur des matières
premières et de l'instrument ? C'est la somme du travail
direct dépensé à la fabrication de la matière première ou
de l'instrument, plus le travail indirect contenu dans les
instruments et les matières premières qui ont servi à la
fabrication de la matière première ou de l'instrument. La
même analyse se répètera ainsi à propos de ce deuxième lra-
vail indirect, et on remontera les âges jusqu'au moment où
le premier « homo faber » tailla le premier silex.
Cette régression à l'origine de l'histoire soulève deux
objections. La première est évidemment qu'elle serait impra-
ticable, même si cette origine se situait à un passé récent ;
10
+
ceci non pas parce que la procédure est longue, mais parce
que les informations nécessaires font défaut. La deuxième
est que ce que l'on obtiendrait ainsi ne serait pas la valeur
(coût) actuelle pour la société de la marchandise en ques-
tion, mais une valeur qui résulterait de la sédimentation
historique de coûts de diverses époques, et où les mêmes
produits ou instruments apparaîtraient avec des valeurs
différentes, au fut et à mesure de la régression.
Ce qui est exposé plus bas vise à débarrasser la théorie
de la valeur-travail comme mesure de ces deux objections
et de nombre d'autres faites par les économistes bourgeois
On essaiera de montrer :
1° Que dans tout système économique qui comporte un
nombre donné de secteurs produisant autant d'objets homo-
gènes, il y a autant de transformations possibles, permet-
tant d'exprimer la quantité totale de production (ou toute
quantité partielle) en termes d'unités physiques d'un quel-
conque de ces produits ;
2° Que parmi ces transformations, celle qui exprime les
quantités du système en termes de temps de travail est pri-
vilégiée, en ce qu'elle a un sens direct pour la société (et
pour la classe exploiteuse), et qu'elle garde ce sens à tra-
vers le temps et l'espace.
Les deux objections formulées plus haut contre la théorie
de la valeur-travail - et beaucoup d'autres - disparaissent
dès qu'on applique l'analyse des parties constitutives de la
valeur d'une marchandise non pas à la succession de mar-
chandises, matières premières et instruments, qui ont con-
crètement servi, à travers l'histoire, à fabriquer cette mar-
chandise, mais dans le présent. En effet, ce qui importe est
la mesure du coût actuel de la marchandise donnée pour la
société.
Que l'on considère, par exemple, un secteur de produc-
tion qui produit une marchandise M, l'examen des condi-
tions de production dans ce secteur révèle que la production
de la marchandise Men une quantité donnée exige un
certain nombre d'heures de travail direct, qu'on appellera
T1, une quantité de matières premières, qu'on appellera Ri,
et l'usure complète d'un nombre de pièces d'équipement,
qu'on appellera Ei.
Que l'on répète les mêmes opérations pour les marchan-
dises Ri et E1. En s'adressant à leurs secteurs de production
respectifs, on trouvera que Ri exige du travail T2
des
matières premières --- Rg et de l'équipement E. De
même, Eexige pour être produit (actuellement) du_travail,
Ts, des matières premières, Rs et de l'équipement, Es.
Lo nombre de produits qui existent dans une économie
est évidemment limité. En poursuivant cette analyse, on
tombera de plus en plus souvent sur des produits dont on
a déjà analysé, la constitution de valeur. Ces chapitres
de l'analyse comptable seront clos l'un après l'autre, ren-
voyant à ceux qui restent ouverts ; et lorsque le dernier
sera clos, on aura trouvé que la marchandise initiale et
toutes les autres se dissolvant en travail direct et indi-
rect, et l'on pourra en exprimer la valeur comme la somme
11
de travail direct et indirect dépensé actuellement dans les
divers secteurs de l'économie. Cette valeur sera, autrement
dit, égale à T. + T, + Tg +
...
+ T..
On suppose, par exemple, qu'une économie simple con-
nait uniquement deux secteurs de production et deux pro-
duits. L'un des produits est un instrument de production,
fabriqué en utilisant des quantités de ce même instrument
qui existent déjà, et du travail. L'autre produit est le seul
objet de consommation connu, fabriqué en utilisant des
instruments produits par le premier secteur, et du travail.
Soit Xi la production totale (en unités physiques) du sec-
teur I, X11, le nombre d'instruments usés productivement
fet devant donc être remplacés à la fin de la période consi-
dérée) au sein de ce secteur, et Tu, les heures de travail
consacrées à ce secteur : et soit Ui la valeur unitaire du
produit I en termes d'heures de travail. L'idée que la valeur
totale produite par ce secteur est égale à la somme du tra-
vail direct y effectué et de la valeur de son équipement usé
peut s'exprimer en écrivant :
U. X = Ti + U. Xu
Ce qui donne :
Τ,
U
X
Xu1
Quelle sera la valeur du produit II ? Soit X, la produc-
tion du secteur II, X, la quantité d'équipement (produit I)
qu'il a usé pendant la période, et T, le travail direct y
effectué.
Si la valeur unitaire du produit II est U2, on pourra écrire
que la valeur totale produite par le secteur II est égale à
la somme de travail direct qui y a été dépensé, plus la
valeur de l'équipement usé, de la manière suivante :
U, X, = T: + Ui Xa
Puisque on sait déjà que :
Τ,
U. =
X-
Xu
on a :
T,
U2 =
X, X, (X Xu)
Ха та
+
i
Ce raisonnement se généralise sans difficulté au cas où
il y a un grand nombre de secteurs (et de produits corres-
pondants), qui tous utilisent les produits les uns des autres.
On peut le montrer facilement par un exemple numérique
à trois secteurs, dont le troisième à ceci de particulier, qu'il
sonsomme l'excédent de production des deux autres et pro-
duit du travail. La comptabilité sociale peut alors se résu-
mer dans un tableau comme celui-ci, où les chiffres sont
évidemment arbitraires :
12
-
SECTBUR
PRODUIT NYT
II
QUANTITÉS UTILISÉES, VENANT DES SECTEURS
I
II
III
I
3
2
4
6
2
2
- III (travail)
6
1
4
La colonne « produit net » comprend la production totale
du secteur considéré, moins les quantités de son propre pro-
duit que le secteur à utilisées productivement ; c'est pour-
quoi aussi, dans les colonnes « quantités utilisées », les cases
indiquant ce que le secteur I par exemple à utilisé du produit
du secteur I sont vides. Il est évident que comme ces quan-
tités apparaissent simultanément des deux côtés de la
balance comptable avec la même valeur unitaire, on peut
aussi bien les en rayer.
Si maintenant on écrit que la valeur produite par chaque
secteur est égale à la somme des valeurs qu'il a consommées
productivement (y compris la « valeur du travail »), on aura
trois équations. Dans chacune d'elles, on aura à gauche, la
valeur produite, c'est-à-dire la quantité produite multipliée
par la valeur unitaire correspondante ; à droite, les valeurs
absorbées, c'est-à-dire les quantités absorbées multipliées
chacune par la valeur unitaire correspondante :
I. 3 U1 = 2 U, + 4 U,
2 U. + 2 Us
III. 6 US = 1 Un + 4 U.
ce qu'on peut aussi écrire :
3 U, -2U, 4 Ug = 0
2 U + 6 U. 2 U2 - 0
III. - 1 U - 4 U, + 6 Ug = 0
Puisque l'on veut mesurer en termes d'heures de travail,
on peut poser Ug = 1, ce qui exprime que l'heure de travail
est l'unité de valeur. En gardant les deux premières équa-
tions, on aura alors :
3 U
4
2 U + 6 Ua 2
La solution est : U= 2, U. 1 et, avec les quantités
exprimées en valeur et non plus en unités physiques, le
tableau initial devient :
VALEURS ABSORBÉES, PROVENANT DES SECTEURS
I
II
III
I
6
2
4
II
6
4
2
III
6
2
4
6 U2
La
Ila
2 U.
1
SECTEUR
PRODUIT NIT EN VALEUR
+
1
Total
18
6
6
6
Exprimé en termes de valeur, le produit total de la socié
sera 18. De ces 18, 12 sont créés et à nouveau consommés
dans la circulation productive ; ce sont les quantités que
consomment productivement les secteurs I et II en prove-
nance des secteurs I, II et III. Le restant, 6 unités de valeur,
apparaissant sous la forme matérielle de 1 unité de produit
I (de valeur unitaire 2) et 4 unités de produit II (de valeur
13
unitaire 1) est le produit social net pendant la période con-
sidérée, dont la valeur est par définition égale à la quantité
de travail direct effectué, et qui, dans cet exemple, sert à
la consommation finale.
Il semble, à première vue, que le travail ne joue pas
de rôle particulier dans ce mode de calcul. C'est, du point
de vue comptable, un « secteur de production » comme un
autre qui, au lieu d'absorber des machines et des matières
premières, absorbe des biens de consommation et, au lieu
de produire des biens matériels, produit de la « force de
travail ». On pourrait done exprimer les valeurs du système
aussi bien en termes d'unités physiques du produit I ou du
produit II ; il suffirait de poser U. = 1. ou U2 = 1, et de
résoudre les équations comptables pour les deux inconnues
restantes. Si, par exemple, on choisit le produit I comme
étalon de valeur, on aura comme solution :
1
1
U.
Uz
2
2
On remarquera que les valeurs relatives ne changent pas,
quel que soit le produit choisi comme étalon.
En effet, en utilisant comme étalon le produit III (tra-
vail), on a :
U 2 U, = 1 U, 1
et avec le produit I comme étalon :
1
U = 1 U2
2
2
.
c'est-à-dire, une unité de I coûte toujours deux fois une
unité de 2 ou de 3, et la valeur de l'unité de II est toujours
égale à la valeur de l'unité de III, quel que soit l'étalon
utilisé.
Ceci n'arrive cependant que parce que, dans l'exemple
utilisé, il y a une propriété mathématique particulière (le
déterminant de ce système homogène d'équations est nul).
Cette propriété mathématique se présentera chaque fois
que l'économie considérée sera en équilibre matériel, c'est-
à-dire chaque fois que la somme de chaque colonne du
système d'équations In, IIa, III, sera nulle. Chacune de ses
colonnes contient dans une case le produit net d'un secteur
et, dans les autres cases, les quantités de ce produit con-
sommées par les autres secteurs. Si l'économie est en équi-
libre matériel, le produit de chaque secteur est exactement
absorbé par les autres secteurs (y compris le secteur_tra-
vail). Ainsi, dans l'exemple donné, le produit du secteur I (3)
est égal à la somme des quantités de ce produit, utilisées
par les deux autres secteurs (2+1), et la même chose est
vraie pour les deux autres colonnes.
Mais l'économie peut ne pas être en équilibre matériel,
et en fait ne l'est jamais. Même s'il ne s'agit pas de désé-
14"
iner
quilibre à proprement parler (accumulation de stocks inven-
dables ou diminution de stocks en deçà du minimum nor-
mal), elle produit des biens d'équipement qui seront utilisés
dans la période suivante.
Dans ce cas, les secteurs produisant des biens d'équipe-
ment (et peut-être tous les secteurs) produiront plus qu'il
n'est absorbé par l'économie au titre de la production cou-
rante ; et c'est évidemment ce qui est consommé au titre
de la production courante d'un produit qui détermine la
valeur de celui-ci. Enfin, on a supposé dans l'exemple donné
plus haut, non seulement que l'économie était en équilibre
inatériel, mais que cet équilibre était réalisé à travers la
consommation par le secteur travail de tout ce qui n'était
pas consommé productivement par les autres secteurs ;
autrement dit, on a supposé l'absence d'exploitation.
Si l'on veut tenir compte de ces faits qu'on peut résu-
en disant que l'économie présente habituellement un
surplus, sous la forme d'augmentation des stocks, de pro-
duction de biens d'investissement et de consommation de
classes non productives on ne peut plus maintenir pour
tous les secteurs l'égalité entre valeurs absorbées et valeurs
produites. Il saute aux yeux, en effet, que si un surplus
existe, c'est parce que quelque part dans l'économie on
produit plus qu'on ne consomme, on ajoute plus à la pro-
duction qu'on ne lui soustrait.
Le calcul du coût social de la production conduit donc
à imputer d'une manière ou d'une autre le surplus de l'éco-
nomie à un secteur donné. En effet, on peut diviser l'éco-
nomie en deux groupes : l’un comprenant tous les secteurs
de production sauf un, l'autre comprenant ce dernier. En
exprimant les couts en termes du produit de ce dernier
secteur, on peut écrire que le premier groupe produit autant
de valeur qu'il en absorbe ; et on peut identifier la valeur
totale de ce qui reste comme produit de ce groupe avec
la quantité totale du produit du dernier secteur. Pour la
théorie de la valeur-travail, ce dernier secteur est précise-
ment le secteur travail. La production totale du reste de
l'économie est en partie consommée en son propre sein au
cours d'une période, en partie est consommée par le secteur
travail et en partie forme le surplus sous sa forme maté-
rielle. (objets de consommation capitaliste, biens d'inves-
tissement nouveaux, etc.). La théorie de la valeur-travail
consiste à imputer ce surplus au travail, autrement dit à
identifier la valeur de la consommation ouvrière et du
surplus à la quantité totale de travail direct absorbée en
cours de période par l'économie.
Si cette imputation est faite, le système se trouve néces-
sairement en « équilibre » comptable (le déterminant du
système homogène d'équations est nul), et toutes les valeurs
du système peuvent être exprimées en termes de temps de
travail.
L'essence du système capitaliste de production consiste à
répartir dans les faits ce surplus entre les divers secteurs
de production, sous forme de profit, au prorata du « capital »
qui y est investi sauf évidemment le secteur « travail »,
qui ne réalise pas de profit, mais couvre en moyenne ses
recettes et ses dépenses (autrement, il cesserait d'y avoir
15
d'ouvriers). Et l'essence de l'économie politique bourgeoise
consiste à ériger en norme théorique et politique ce fait, et
à imputer au capital le surplus net de chaque secteur de
production - sauf évidemment le travail, auquel on n'impute
comme valeur produite que la valeur qu'il absorbe. C'est à
cela que revient l'acceptation des prix comme base de mesure
du produit social et du coût social.
Dans le tableau donné plus haut, la traduction de la
conception bourgeoise consisterait à construire un secteur
additionnel, qui « absorberait » le surplus de production (i.e.
ce qui reste après la circulation productive et la consomma-
tion ouvrière) et « produirait » de l'abstinence, de l'attente
ou de l'éther (le nom d'un être imaginaire importe évidem-
ment peu). On ajouterait également à chaque secteur de
production (sauf le secteur travail) une dépense supplémen-
taire ; la valeur de son produit serait augmentée de la valeur
de l' « abstinence », etc., qu'il a « absorbée » pendant la
période considérée, et l'on admettrait que cette « abstinence »
se mesure par un nombre proportionnel à la valeur du
« capital » utilisé par le secteur (c'est-à-dire à la valeur des
installations, équipement, fonds de roulement, etc., du sec-
teur). Ce « capital », il faut remarquer, n'est nullement iden-
tique à la quantité de moyens de production, matières pre-
mières etc., usés pendant la période, et dont la comptabilité
du tableau avait déjà tenu compte.
On retrouvera cet aspect de la question plus loin, en exa-
minant le fonctionnement réel du capitalisme et la péréqua-
tion du taux de profit. Ici il faut simplement souligner que
le problème de la valeur ne peut en général pas être résolu
indépendamment du problème de la plus-value. Très précisé-
ment, exprimer la production sociale en heures de travail ou
en prix courants, signifie opter pour l'imputation du surplus
de production au travail humain ou au capital. Ici s'arrête
l'objectivité des formules mathématiques, qui indiquent qu'il
faut bien imputer ce surplus quelque part, mais évidemment
ne peuvent pas dire où.
D'après les définitions qui ont été posées plus haut, l'im-
putation du surplus ne crée pas de difficulté. Le coût social
de la production est le travail humain qui lui a été consacré ;
le « căpital » coûte à la société et à la classe capitaliste
elle-même -- ses frais de production et de maintien. L'idée
de l' « abstinence » ou d' « attente » des capitalistes, idée la
plus ridicule que jamais professeur d'économie politique
inventa pour donner bonne conscience à ses patrons, ne
mérite pas d'être discutée.
* Soit une économie à n secteurs de production. Chaque
secteur est défini comme l'ensemble d'activités orientées vers
la production d'un bien défini (objet ou acte). On supposera
au départ, que le bien par lequel est défini chaque secteur,
est homogène, c'est-à-dire que deux exemplaires quelconques
de ce bien sont parfaitement interchangeables quant à leur
utilisation. Cette hypothèse, faite surtout pour faciliter
l'exposition, soulève trois problèmes :
a) Elle exclut les secteurs à produits connexes physique-
ment (gaz et coke, par exemple) ;
b) Elle pose la question de la définition des secteurs à
16
produits économiquement connexes (par exemple production
de plusieurs types de voitures, camions et tracteurs au sein
du même ensemble technico-économique) ;
c) Elle pose le problème des secteurs où les produits ne
sont pas interchangeables, relativement ou absolūment (par
exemple équipement lourd à utiliser spécialement par telle
usine pour telle fabrication peinture d'art).
La question des secteurs à produits connexes physique-
ment n'intéresse que dans les cas où les produits connexes
ne peuvent être produits qu'à des proportions rigides. S'ils
peuvent être produits à des proportions variables, on peut
exprimer l'un d'eux en termes de quantités physiques de
l'autre. Si les produits sont nécessairement produits à pro-
portions rigides, on ne tiendra compte que de l'un d'eux,
considérant l'autre comme un cadeau de la nature (1).
La question des produits économiquement connexes, et
celle des produits relativement non interchangeables, ne pré-
sente pas de difficulté de principe. Le calcul du coût par
produit est plus complexe, mais est théoriquement toujours
possible et en réalité effectué par les entreprises qui les
produisent.
Quant aux produits qui ne sont absolument pas inter-
changeables, ils peuvent être traités comme les précédents,
mais en réalité ne sont pas du ressort de l'économie.
Chaque secteur produit pendant une période une quan-
tité donnée de son propre produit, en utilisant des quantités
données de ce même produit et du produit des autres sec-
teurs (pas nécessairement tous). On appellera sortie (< out-
put »). du secteur, son produit final net (c'est-à-dire son
produit final total moins la quantité qui en a été consom-
mée productivement au sein de ce même secteur), et entrées
:(« inputs ») du secteur, les quantités de produits des autres
secteurs qu'il a utilisées pendant la période considérée. En
désignant chaque secteur par un indice (1, 2, 3, ... n) on
écrira X, pour la sortie nette du secteur i, et xi pour l'en-
trée dans le secteur i d'une quantité de produit du secteur j.
Xui sera en revanche la quantité de produit (sortie) du sec-
teur i, utilisée par le secteur j. Toutes les quantités sont
mesurées dans leurs unités physiques respectives (tonnes
de charbon, mètres de tissus, tonnes-kilomètres de trans-
port, heures de travail, etc.). La subdivision de chaque sec-
teur en unités techniques ou économiques particulières
(fabriques ou entreprises) est indifférente ; c'est-à-dire
chaque secteur peut être ou ne pas être subdivisé en fabri-
ques ou entreprises particulières, et celles-ci utiliser des
quantités identiques ou non des mêmes produits ou de pro-
duits différents pour produire une quantité donnée de sor-
ties. Ce qui importe est la somme des sorties nettes du
secteur, d'un côté, des entrées totales de chaque catégorie
(1) La question s'il est rationnel du point de vue de l'efficacité
économique
de considérer que seul le coke (ou le gaz) coûte, et que le gaz (ou le
coke)
est un cadeau de la nature est une autre question qui ne sera pas
discutée
ici. On veut pour l'instant prouver simplement qu'une mesure de la valeur
est possible, non pas encore qu'une allocation des ressources sur la base
de cette mesure est la plus « rationnelle
17
1
de produit utilisée par le secteur, d'un autre coté. Autre-
ment dit, chaque secteur est représenté par l'aggrégal de
ses sorties nettes et de ses diverses entrées (1).
On peut mettre en regard la sortie nette d'un secteur avec
l'ensemble des entrées qu'il utilise. On aura alors, sous une
forme aggregative, la fonction de production du secteur
considéré. Ainsi le système suivant exprime que la sortie
nette d'un secteur dépend des diverses entrées qu'il a uti-
lisées :
X1
X2
fi (X12, X13,
f2 (X21, X23,
X1)
Xid,
X2J,
To
fa (Xn1, 112 Xai, Xnm)
On apellera valeurs unitaires des produits 1, 2, ... n, les
nombres U1, U2 Un vérifiant les équations
U, X = U, X12 + U: X12 + + U, X9 + + U, Xa
U2 X2 = U, Xa + V, X23 +
+ U, Xud +
+ U. Xun
U, X,
+ U, X J +
+ Um tom
= U, Xn1 + U, Xu2 +
qui peuvent s'écrire aussi :
U, X
1
U2 X12
UX13
UJ (1)
Un Xin
U. Xa + U, X
U: X13
U, X2J
U. Ten = 0
Ui 1n1
U2 In2
Us Xn3
U; XAJ
+ U. Xa - 0
Ces équations signifient que l'on introduit un concept de
valeur des biens, défini à partir de l'idée que la valeur d'une
quantité donnée d'un bien final quelconque est égale à la
somme des valeurs des biens utilisés pour la production du
bien final. Appliquée à un système économique où n Sec-
teurs productifs interdépendants produisent n biens dis-
tincts, cette idée équivaut à la définition suivante : la valeur
unitaire est le facteur de conversion exprimant la quanti
physique unitaire d'un bien comme un multiple économique
de la quantité physique unitaire d'un autre bien (ou, si l'on
préfère, égalant une quantité donnée d'un bien avec la quan-
tité physique unitaire d'un autre bien), à partir exclusive-
ment de la considération des quantités effectivement utili-
sées et produites (2).
(1) L'idée de représenter l'économie par un système d'équations simul-
tanées, qui remonte à L. Walras, a été élaborée à l'époque actuelle par
W. Leontief (The structure of the American economy, 1941), dont nous
utilisons dans ce qui suit le système de notation.
(2) A la différence du prix, qui est également un tel facteur de conver-
sion, mais dans la détermination duquel entrent d'autres facteurs. V.
plus
Join.
18
Le système que l'on vient d'écrire est un système homo) -
gène de n équations à n inconnues (les nombrox Un, llo.
U.), qui peut être résolu quant aux valeurs relativos con
inconnues à condition que son déterminant qu'on doni-
gnera par Di
soit nul,
Si l'économie considérée se trouve en équilibre, on poul
écrire :
X Ха X31
Xn
X12 + X,
X32
Xn2 0
Xin X2n Хэр
+ Xa 0
Ces équations expriment que, dans le cas de l'équilibre,
le produit net de chaque secteur est exactement égal à la
somme des quantités de ce produit utilisées par les autres
secteurs. Ceci est également vrai pour la production de force
de travail que l'on peut identifier avec le secteur n
dont le total X, est égal à la somme des quantités de foree
de travail (Xin) absorbées par les divers secteurs. D'un
autre côté, la partie du produit du secteur i qui entre dans
la consommation finale de la société peut être représentée
par Xai.
Si l'on considère le déterminant du système ci-dessus
qu'on désignera pár D, il sera nécessairement nul. Par
conséquent, nul sera nécessairement aussi le déterminant
que l'on obtiendra en intervertissant les lignes et les colon-
nes du premier. Or, le déterminant obtenu par cette inter-
version n'est autre que le déterminant D, du système d'équa-
tions en U. Ce dernier comportera donc nécessairement une
solution générale.
Mais la condition de l'équilibre matériel est en fait inu-
tilement restrictive. On peut en effet changer la définition
des quantités Xnı et y englober toute la partie de la produc-
tion du secteur i qui n'est pas directement utilisée par les
autres secteurs pour les besoins de la production courante ;
Xn, par exemple, sera alors la partie du produit du secteur í
destinée à la consommation finale, les variations de stocks
et l'investissement net en căpital fixe (il va de soi que les
quantités Xnı peuvent être négatives) ; le déterminant D, sera
toujours nul, comme aussi son interversion, le déterminant
D. Le système d'équations en U aura donc toujours une
solution générale.
Une nouvelle interprétation économique du système
devient cependant nécessaire. Rien n'est changé, ni quant
à la forme ni quant au fond, aux n-1 équations qui repré-
sentent les secteurs productifs au sens étroit du terme. Mais
ia ne équation
+ U X, = 0
n'a plus la même signification que les autres. Si le sys-
tème est en équilibre statique et ignore l'exploitation du
travail, c'est-à-dire si la classe ouvrière absorbe la totalité
de biens de consommation produits, celle équation garde
la même signification qu'auparavant ; il y a un secteur,
dont les entrées sont des biens de consommation et la sor-
tie de la force de travail, et la valeus, que ce secteur ajoute
au système est égal aux valeurs qu'il en absorbe (produit
U. Xn1
U, Xn2
U. Xn3
19
d'ouvriers). Et l'essence de l'économie politique bourgeoise
consiste à ériger en norme théorique et politique ce fait, et
à imputer au capital le surplus net de chaque secteur de
production - sauf évidemment le travail, auquel on n'impute
comme valeur produite que la valeur qu'il absorbe. C'est à
cela que revient l'acceptation des prix comme base de mesure
du produit social et du coût social.
Dans le tableau donné plus haut, la traduction de la
conception bourgeoise consisterai construire un secteur
additionnel, qui « absorberait » le surplus de production (i.e.
ce qui reste après la circulation productive et la consomma-
tion ouvrière) et « produirait » de l'abstinence, de l'attente
ou de l'éther (le nom d'un être imaginaire importe évidem-
ment peu). On ajouterait également à chaque secteur de
production (sauf le secteur travail) une dépense supplémen-
taire ; la valeur de son produit serait augmentée de la valeur
de l' « abstinence », etc., qu'il a « absorbée » pendant la
période considérée, et l'on admettrait que cette « abstinence »
se mesure par un nombre proportionnel à la valeur du
& capital » utilisé par le secteur (c'est-à-dire à la valeur des
installations, équipement, fonds de roulement, etc., du sec-
teur). Ce « capital », il faut remarquer, n'est nullement iden-
tique la quantité de moyens de production, matières pre-
mières etc., usés pendant la période, et dont la comptabilité
du tableau avait déjà tenu compte.
On retrouvera cet aspect de la question plus loin, en exa-
minant le fonctionnement réel du capitalisme et la péréqua-
tion du taux de profit. Ici il faut simplement souligner que
le problème de la valeur ne peut en général pas être résolu
indépendamment du problème de la plus-value. Très précisé-
ment, exprimer la production sociale en heures de travail ou
en prix courants, signifie opter pour l'imputation du surplus
de production au travail humain ou au capital. Ici s'arrête
l'objectivité des formules mathématiques, qui indiquent qu'il
faut bien imputer ce surplus quelque part, mais évidemment
ne peuvent pas dire où.
D'après les définitions qui ont été posées plus haut, l'im-
putation du surplus ne crée pas de difficulté. Le coût social
de la production est le travail humain qui lui a été consacré ;
le « capital > coute à la société - et à la classe capitalis
elle-même ses frais de production et de maintien. L'idée
de l' « abstinence » ou d' « attente » des capitalistes, idée la
plus ridicule que jamais professeur d'économie politique
inventa pour donner bonne conscience à ses patrons, ne
mérite pas d'être discutée.
!
* Soit une économie à n secteurs de production. Chaque
secteur est défini comme l'ensemble d'activités orientées vers
la production d'un bien défini (objet ou acte). On supposera
au départ, que le bien par lequel est défini chaque secteur,
est homogène, c'est-à-dire que deux exemplaires quelconques
de ce bien sont parfaitement interchangeables quant à leur
utilisation. Cette hypothèse, faite surtout pour faciliter
l'exposition, soulève trois problèmes :
a) Elle exclut les secteurs à produits connexes physique-
ment (gaz et coke, par exemple) ;
b) Elle pose la question de la définition des secteurs à
16
produits économiquement connexes (par exemple production
de plusieurs types de voitures, camions et tracteurs au sein
du même ensemble technico-économique) ;
c) Elle pose le problème des secteurs où les produits ne
sont pas interchangeables, relativement ou absolument (par
exemple équipement lourd à utiliser spécialement par telle
usine pour telle fabrication ---- peinture d'art).
La question des secteurs à produits connexes physique-
ment n'intoresse que dans les cas où les produits connexes
ne peuvent être produits qu'à des proportions rigides. S'ils
peuvent Ctre produits à des proportions variables, on peut
exprimer l'un d'eux en termes de quantités physiques de
l'autre. Si les produits sont nécessairement produits à pro-
portions rigides, on ne tiendra compte que de l'un d'eux,
considérant l'autre comme un cadeau de la nature (1).
La question des produits économiquement connexes, et
celle des produits relativement non interchangeables, ne pré-
sente pas de difficulté de principe. Le calcul du coût par
produit est plus complexe, mais est théoriquement toujours
possible et en réalité effectué par les entreprises qui les
produisent.
Quant aux produits qui ne sont absolument pas inter-
changeables, ils peuvent être traités comme les précédents,
mais en réalité ne sont pas du ressort de l'économie.
Chaque secteur pr</