SOCIALISME
OU
BARBARIE
Paraît tous les trois mois
Comité de Rédaction :
P. CHAULIEU
Ph. GUILLAUME A. VEGA
Gérant : G. ROUSSEAU
000
Adresser mandats et correspondance à :
Georges PETIT, 9, Rue de Savoie, Paris Vle
et non “SOCIALISME ou BARBARIE"
9, rue de Savoie
150 francs
LE NUMÉRO .
ABONNEMENT UN AN (4 numéros).
500 francs
SOCIALISME OU BARBARIE
1953 et les luttes ouvrières
comme
ceux
en
1953 a marqué un tournant dans la situation internationale : la
tension croissante des relations entre les deux blocs impéria-
listes a fait place à une certaine stabilisation, des négociations
qui traînaient depuis longtemps ont soudain paru devoir aboutir,
la course aux armements est momentanément ralentie des deux
côtés du rideau de fer.
1953 a également marqué un tournant dans les rapports entre
le prolétariat et ses oppresseurs : deux explosions puissantes ont
marqué la fin de la période d'apathie et de domination des
succursales « ouvrières » des impérialistes sur la classe ouvrière.
La révolte de juin 1953 en Allemagne orientale, les grandes
grèves d'août 1953 en France après cinq ans de prostration et
de désintégration du mouvement ouvrier indiquent la fin d'une
période et le début d'une autre. Les événements d'Allemagne
aussi
de Tchécoslovaquie
particulier,
dépassent de loin par leur signification la situation actuelle, et
sont destinés à rester un des moments culminants de l'histoire
de la classe, où celle-ci a démontré dans l'action son dépasse-
ment de la mystification bureaucratique stalinienne et sa capacité
de mettre en question l'ordre établi des exploiteurs même dans
les conditions de la dictature totalitaire la plus moderne.
Une relation entre les deux modifications est évidente : le
relâchement de la tension internationale, l'élongation de la pers-
pective de la guerre ont joué un rôle important dans la nouvelle
attitude des ouvriers, en dégageant l'horizon et en diminuant le
sentiment de l'annexion inéluctable de leurs luttes par l'un ou
l'autre des blocs impérialistes. Mais une autre relation, moins
apparente, est beaucoup plus importante : c'est le rôle qu'a joué
dans le ralentissement du cours vers la guerre l'opposition du
prolétariat à l'exploitation, et en tout premier lieu l'opposition
du prolétariat russe. C'est parce qu'elle sentait son régime cra-
quer sous l'opposition des ouvriers que la bureaucratie russe.
Staline mort ou pas, était obligée d'accorder des concessions, qui
entraînaient nécessairement une diminution des dépenses mili-
taires et donc aussi une politique extérieure plus conciliante. Que
cette opposition n'ait jamais pu se manifester au grand jour ne
change rien à l'affaire : les concessions de la bureaucratie russe,
réelles ou apparentes, manifestent sa virulence, comme aussi
après coup les luttes ouvrières en Tchécoslovaquie et en Alle-
magne orientale.
1
Ces modifications des rapports inter-impérialistes et des
rapports de classe rendent nécessaire une nouvelle analyse de la
situation mondiale et des perspectives des luttes ouvrières dans
la période présente. On trouvera un texte sur cette question dans
le prochain numéro de « Socialisme ou Barbarie ». Ce numéro-ci
est essentiellement consacré à l'analyse des luttes du prolétariat
allemand et du prolétariat français pendant cet été de 1953.
D'autre part, l'article sur « La bureaucratie syndicale et les
ouvriers », qui pose certains problèmes que les militants ouvriers
rencontrent dans leur lutte contre les exploiteurs et leurs agents,
les bureaucrates « ouvriers », est le premier d'une série de textes
sur les problèmes actuels de la lutte ouvrière (revendications,
formes d'organisation et de lutte) qui seront publiés dans les
prochains numéros de la Revue.
- 2
1
Signification de la révolte de Juin 1953
en Allemagne Orientale
Les événements de juin 1953 en Allemagne Orientale sont une
manifestation de la crise générale du bloc russe. L'élément essen-
tiel de cette crise est la résistance de la classe ouvrière à l'exploi-
tation de la bureaucratie (1).
Le mouvement d'Allemagne fait écho aux grèves de Tchéco-
slovaquie, à la sourde opposition des ouvriers russes qui a
déterminé les récentes concessions du régime en U.R.S.S.
L'élément fondamental de la production, le prolétariat, refuse
de collaborer à des tâches qu'il ne reconnait plus comme les
siennes. La division du régime bureaucratique en classes et
l'antagonisme irréductible des intérêts de ces classes, appa-
raissent au grand jour.
Les journées de juin constituent un éclatant démenti à la
propagande stalinienne sur l'édification du socialisme et la par-
ticipation des ouvriers à la gestion de l'économie et de l'Etat.
Démenti qui a été donné non seulement par l'action des travail-
leurs, mais par l'attitude même du S.E.D. et du gouvernement,
dont les jérémiades hypocrites « nous n'avons pas su nous
faire écouter par la classe ouvrière », « nous avons appliqué une
politique erronée >> et les accusations dépitées « les ouvriers
n'ont pas fait preuve de conscience de classe >> prouvent len
que le parti et l'Etat sont deux corps étrangers, extérieurs au
prolétariat, auquel ils imposent un régime et une politique. Leur
isolement est frappant au cours de ces journées : lâchés par la
majorité de leurs propres fonctionnaires et par une partie de
la police populaire, ils n'ont évité l'effondrement que grâce à
l'intervention des troupes russes. Leur rôle : fusilleurs d'ouvriers
et serviteurs de l'impérialisme russe. Voici ce qui ne fait plus
de doute pour les travailleurs allemands. Egalement évidente
l'attitude anti-ouvrière de la « grande amie de l'Est », la Russie
1
(1) Sur le régime social en Allemagne orientale, voir l'étude de Hugo
Bell,
« Le Stalinisme en Allemagne orientale », publiée dans les Nos 7 (p. 1 à
45)
et 8 (p. 31 à 49) de Socialisme ou Barbarie.
bureaucratique, dont les troupes sont intervenues pour mater la
révolte ouvrière.
Mais l'essentiel de ce mouvement c'est la démonstration qu'il
est possible pour la classe ouvrière de résister, de s'organiser
et de passer à l'attaque dans un régime du type totalitaire
stalinien et de l'obliger à faire des concessions importantes.
Démenti irrefutable donné à tous les défaitistes, tous les ex-
révolutionnaires qui nous rebattaient les oreilles avec la pré-
tendue transformation des prolétaires en « esclaves »
sous le
régime stalinien, avec l'incapacité du prolétariat à lutter contre
le capitalisme bureaucratique.
Sans doute les événements de juin ont-ils été déterminés
par une série de facteurs précis, dont certains découlent de la
situation particulière de l'Allemagne Orientale. Par exemple,
la proximité de l'Ouest, la possibilité donc de maintenir des
contacts avec les ouvriers des pays occidentaux, la possibilité
d'exploiter les hésitations de l'occupant, pour lequel la zone
orientale a longtemps été un objet de marchandage et dont la
propagande pour l'unification de l'Allemagne entravait la liber
de mouvement.
Mais d'autres facteurs ont, eux, une signification et une
valeur générales.
Le fait que l'action ait eu lieu dans les régions de forte
concentration industrielle est la preuve que seule la classe
ouvrière est capable de mener la lutte contre l'exploitation
bureaucratique. Les villes de la zone orientale ont une tradition
révolutionnaire fort ancienne. Ce prolétariat qui se révolte en
1953 contre le stalinisme est le même que celui du mouvement
spartakiste de janvier 1919 à Berlin, de insurrection de 1921
en Saxe et en Thuringe, le même qui a combattu les chemises
brunes pendant des années et a maintenu une sourde résistance
au nazisme. Ce n'est pas la masse brute aux réactions élémen-
taires qu'aime à décrire le journalisme bourgeois, mais une
classe capable de conserver vivante son expérience de lutte et
d'organisation.
Cette expérience, les ouvriers ont su s'en servir après la fin
de la guerre. Le soutien qu'ils ont accordé aux mesures de
nationalisation prises par les staliniens, leur tentative d'inter-
vention dans la gestion des usines avers des comités d'entre-
prise, n'ont pas été de longue durée. Dans la mesure où le
caractère bureaucratique de l'Etat s'est dévoilé, les ouvriers ont
manifesté leur opposition au régime et celle-ci est devenue peu
à peu plus consciente et plus ferme. Ils ont organisé leur
résistance à l'exploitation en profitant de toutes les possibilités
qu'offrait l'appareil bureaucratique ; ils ont su modifier les
formes de la lutte suivant le lieu, l'époque et l'adversaire
immédiat.
Dès 1949, après la période de reconstruction proprement dite,
de famine aussi, l'opposition entre la couche des dirigeants,
formée par des anciens techniciens et des anciens ouvriers
promus bureaucrates, et l'ensemble des travailleurs se précise.
!
Dans les usines, c'est la lutte contre les « stakhanovistes » et les
chronométreurs. Dans les assemblées d'usine, dans les réunions
syndicales, les ouvriers s'opposent au relèvement des normes
de travail, aux mesures tendant à les pousser au rendement.
Ils utilisent même les organes de l'appareil bureaucratique qui
sont le plus près d'eux, les organismes syndicaux de base, pour
défendre leurs droits et ils parviennent à les faire respecter
dans bien des cas.
Cette opposition s'accentue au début de 1953. La politique de
réarmement, d'industrialisation à outrance, de collectivisation
rapide de l'agriculture, aggrave la pénurie de produits de
consommation et provoque l'augmentation des prix des denrées
du marché libre. En même temps, la campagne officielle pour
le relèvement « volontaire » des normes se développe. Le Gou-
vernement exige un rendement accru des ouvriers. Mais il
diminue les prestations des assurances sociales et annule la
réduction de 75 % sur les billets de chemin de fer pour les
ouvriers se rendant au travail. Des grèves sporadiques éclatent
à Magdeburg et à Chemnitz.
En mai, une augmentation générale de 10 % des normes est
décidée. Elle doit être appliquée à partir de juin.
Or, au même moment, le parti décide un tournant destiné à
améliorer la situation économique et à faire écho à l'offensive
de paix russe. Des mesures de détente sont prises en faveur des
paysans, du commerce et de l'industrie privés, de l'Eglise. Mais
aucune mesure ne concerne directement les ouvriers.
On sait comment cette situation a provoqué l'explosion des
16 et 17 juin, comment la grève, commencée sur les chantiers de
construction de la Stalinallée, à Berlin, s'est transformée en
manifestation de rue et s'est étendue en un vaste mouvement
de révolte de tous les ouvriers de l'Allemagne Orientale (1).
Mais ce qu'il faut souligner c'est la nette conscience que les :
travailleurs ont manifesté du caractère anti-ouvrier du régime,
leur dynamisme dans la lutte, leur capacité d'organisation, la
portée politique de leurs initiatives.
La formation des comités de grève est un fait établi, reconnu
même par la presse officielle. A Berlin, on connait ceux des
usines «Kabelwerke », du Block 40 de la Stalinallée, des chan-
tiers de Friedrichshein, des aciéries de Henningsdorf. Ce sont
d'ailleurs ces métallos de Henningsdorf qui, le matin du 17,
avec les ouvriers d'Oranienburg, parcourent 14 kilomètres pour
participer aux manifestations et occupent le Stade Walter-
Ulbricht, où des discussions ont lieu sur la question du rempla-
cement du Gouvernement, pendant lesquelles des ouvriers lancent
l'idée d'un «Gouvernement des métallurgistes » (2).
Le caractère de la grève est très net dès le début à Berlin. Le
16, devant le siège du Gouvernement, les ouvriers proclament
(1) Voir l'article de Sarel, « Combats ouvriers sur l'avenue Staline »,
dans Les Temps Modernes d'octobre 1953.
(2) D'après le correspondant de L'Observateur.
des revendications précises : abolition de l'augmentation de 10 %
des normes, diminution de 40 % des prix du ravitaillement et
des marchandises vendues dans les magasins du secteur libre,
démission du Gouvernement, élections libres. Au ministre
Selbmann qui essaie de les calmer et s'écrie : « Camarades, je
suis aussi un ouvrier, un communiste... », ils répondent : « Tu
ne l'es plus, les vrais communistes, c'est nous ».
Dans les villes industrielles de la zone, l'action ouvrière est
encore plus nette et violente.
A Brandenburg, les ouvriers du bâtiment forment un comité
de grève avec ceux des chantiers de constructions navales « Thäl.
mann»;
ils envoient aussitôt des cyclistes aux principales
usines. 20.000 manifestants parcourent les rues. Ils libèrent les
prisonniers politiques, attaquent le local du S.E.D. La plupart
de « vopos » (police populaire) sont désarmés ou rejoignent
les manifestants ; une minorité se défend.
A Leipzig, plus de 30.000 manifestants attaquent le Bâtiment
de la Radio, les locaux du parti. Des policiers populaires sont
désarmés.
A Rosslau (Elbe), la grève commence aux Chantiers de cons-
tructions navales « Rosslauer ». Les ouvriers se dirigent vers
la mairie, où le maire finit par se joindre à eux. Ils utilisent des
camions avec haut-parleur pris aux « vopos ». Ils pénètrent dans
la prison et libèrent 20 prisonniers politiques. Ayant rencontré
un camion plein de « vopos », ils les désarment et les enferment
en prison.
A léna, les grévistes attaquent les locaux du parti, des
jeunesses, détruisent leurs dossiers, s'emparent de quelques
armes. Ils attaquent la prison et libèrent les détenus politiques.
A Halle, les prisonniers politiques sont libérés. A 6 heures
du soir des milliers de grévistes se réunissent sur le « Hall-
markt » et le «Grossenmarkt » ; des orateurs improvisés prennent
la parole ; les tanks russes sont arrêtés au milieu des mani-
festants. Un comité central de grève est élu.
A Magdeburg, le Palais de Justice, la préfecture, sont attaqués,
les dossiers brûlent. 1.000 grévistes attaquent la prison de
Sudenburg-Magdeburg. Ils ne peuvent libérer qu'une partie des
détenus, car la police populaire tire des toits et les tanks russes
interviennent : 12 morts.
A Gera, en Thuringe, les grévistes occupent le siège de la
police. A Erfurt, la grève est générale et les prisonniers poli-
tiques sont libérés.
Aux usines Leuna, près de Merseburg, 20.000 ouvriers
débraient. Ils forment un comité de grève ; une délégation est
envoyée à Berlin pour prendre contact avec les grévistes de
la capitale. Le comité de grève de Leuna utilise les installations
de radio de l'usine. Les ouvriers marchent sur Merseburg.
Environ 240 « vopos » sont désarmés ou rejoignent les colonnes
des manifestants.
A Merseburg, 30.000 manifestants parcourent les rues, libèrent
les prisonniers politiques, désarment les « vopos ». 70.000 per-
6
sonnes se réunissent sur la Uhlandplatz. Il y a là les ouvriers
des usines Leuna et Buna, des mines de Gross-Kayna, de la
papeterie de Königsmühle, du bâtiment, les traminots, des em-
ployés, des « vopos », des ménagères. Ils élisent un comité central
de grève de 25 membres. Ayant appris que les troupes russes
arrêtent des grévistes et les gardent, les ouvriers se dirigent
vers la prison et se font remettre les détenus par les russes.
A Bitterfeld, dans la même région, environ 35.000 manifestants
se réunissent sur la Platz der Jugend.
Le comité central de grève donne l'ordre aux pompiers de
nettoyer la ville des inscriptions et affiches staliniennes.
Ce même comité envoie un télégramme qui commence ainsi :
« Au soi-disant Gouvernement Démocratique Allemand.
Nous, travailleurs de l'arrondissement de Bitterfeld, exigeons :
1° Le retrait du soi-disant Gouvernement Démocratique Alle.
mand qui est arrivé au pouvoir par des élections truquées ;
2° La constitution d'un Gouvernement provisoire de travail.
leurs progressistes......it
Il envoie également un télégramme au Haut Commissaire
soviétique demandant la levée de l'état de siège à Berlin et «de
toutes les mesures prises contre la classe ouvrière pour qu'ainsi,
nous, allemands, puissions conserver la croyance que vous êtes
effectivement le représentant d'un régime de travailleurs ».
Dans toutes ces villes, pendant quelques heures, une journée,
les ouvriers sont les maitres de la rue. Des bruits se répandent :
le Gouvernement aurait démissionné, les russes n'oseraient pas
le soutenir. Les blindés russes sortent enfin, l'état de siège est
proclamé, les rassemblements interdits. La police populaire se
regroupe. Les ouvriers battent en retraite. Mais la grève dure
encore un jour ou deux, davantage dans certaines usines.
La résistance des ouvriers n'est pas brisée. Le Gouvernement
envoie des émissaires dans les usines pendant que le comi
central du parti publie, le 22 juin, un programme destiné à
améliorer le niveau de vie et à aider à effacer « l'acrimonie
contre le Gouvernement ». Il comporte les dix points suivants :
1. Retour à des normes de production plus faibles et calcul
des salaires suivant le système en vigueur le før avril 1953.
2. Réduction des tarifs de transport pour les ouvriers
gagnant moins de 500 marks par mois.
3. Réévaluation des pensions de veuves et invalides et des
pensions de vieillesse.
4. Les congés de maladie ne seront pas décomptés du congé
annuel normal.
5. Pas d'inscription obligatoire à la Sécurité Sociale.
6. Accroissement de 3.600 millions de marks des crédits
budgétaires pour les constructions d'appartements et d'im-
meubles privés.
7. Attribution de 30 millions de marks supplémentaires pour
l'amélioration des installations sanitaires et des services sociaux
dans les usines de l'Etat.
8. Attribution de 40 millions de marks supplémentaires pour
un nouveau programme culturel destiné à la construction d'un
plus grand nombre de cinémas, de théâtres, d'écoles, de jardins
d'enfants et d'instituts culturels pour les heures de loisir.
9. Amélioration des chaussures et des vêtements de travail
distribués par les syndicats.
10. Réduction des coupures de courant aux dépens de l'in-
dustrie lourde,
Le mouvement a obligé la bureaucratie à reculer. La résis-
tance paie. Enseignement de ces journées que les travailleurs
n'oublieront pas et qui peut avoir des profondes répercussions
dans les autres pays du « glacis » russe.
Mais si la résistance ouvrière est parvenue à s'exprimer
ouvertement, à arracher des concessions au régime, c'est parce
que celui-ci se débat dans de profondes contradictions.
L'industrialisation des pays satellites se fait en fonction des
besoins de l’U.R.S.S., sans que celle-ci soit capable de satisfaire
aux nécessités en produits de consommation courante et en
biens d'équipement. D'où la pénurie de vivres et les difficultés
de la planification. Les bureaucraties nationales sont divisées :
tandis qu'une partie obéit aveuglément à Moscou, l'autre partie
souhaite une politique qui tiendrait davantage compte des inté-
rêts « nationaux » et s'effraie du fossé qui se creuse entre elle
et la majorité de la population.
Le soi-disant parfait fonctionnement du capitalisme bureau-
cratique, qui serait arrivé à résoudre toutes les contradictions
du capitalisme classique, est donc bien un leurre. Car ni la
concurrence, ni l'anarchie du marché, que la planification peut
amender, n'en constituent la cause profonde. Celle-ci réside dans
l'appropriation du travail par une minorité qui oriente la pro.
duction en fonction de ses intérêts et écarte la majorité produc-
trice de la gestion de l'économie et de la société. Dans ces
conditions, l'industrialisation signifie exploitation accrue du
prolétariat. Par l'augmentation de la productivité individuelle,
par l'augmentation des heures de travail ou par les deux à
la fois, la masse des produits augmente, mais la part que les
ouvriers en reçoivent reste la même quand elle ne diminue pas.
La partie de la production destinée aux ouvriers, essentiellement
des produits de consommation, diminue par rapport à la partie
réinvestie et à celle qui est destinée à la consommation de la
bureaucratie.
Mais ce mécanisme n'a rien d'automatique. La production
moderne et surtout l'économie planifiée, exigent une collaboration
effective des ouvriers au processus de production. Nécessité
technique par suite de la complexité des rouages industriels et
du plan. Nécessité politique pour faire accepter les « sacrifices
nécessaires ».
C'est cette contradiction entre la collaboration indispensable
du prolétariat et son exploitation, son aliénation, qui est la cause
profonde de la crise du capitalisme, aussi bien traditionnel que
8
bureaucratique. C'est elle qui se trouve à la racine des événe-
ments de juin.
Depuis 1949, la classe ouvrière du secteur oriental a fait un
énorme pas en avant. Surmontant la mystification du « socia-
lisme » stalinien, elle a posé de nouveau le vrai problème : la
lutte entre exploités et exploiteurs.
Au cours de la révolte de juin, indiscutablement spontanée,
elle a su se donner, au dehors du cadre syndical et politique
traditionnel, des formes d'organisation propres comités de
grève et a fait des tentatives importantes pour coordonner
son action : formation de comités centraux de grève, envoi de
délégations aux usines de la région, dans le cas de Leuna, envoi
d'une délégation à Berlin.
Sans doute le mouvement n'est-il pas parvenu à une grande
clarté politique. L'idée d'un Gouvernement des travailleurs a
été avancée dans certains cas, adoptée, par exemple, par le
comité de Bitterfeld et, à l'échelon de l'usine, les comités de
grève se sont pratiquement substitués à la direction officielle.
Mais l'intervention de couches non-prolétariennes dans les mani-
festations, s'est traduite par des revendications démocratiques
formelles, souvent par du nationalisme. Dans certaines villes, la
tendance social-démocrate des ouvriers s'est exprimée ouver-
tement (3).
Il est clair que l'intervention des troupes russes, avec la
proclamation de l'état de siège, a empêché le développement,
aussi bien politique que d'organisation, du mouvement. Mais cette
intervention même, montre un autre aspect des limites qui lui
étaient imposées : la puissance de l'U.R.S.S. comme force contre-
révolutionnaire et la possibilité pour Moscou d'utiliser ses
troupes contre les travailleurs. Il y a aussi l'isolement de la
révolte, le manque d'écho chez les ouvriers de l'Ouest. Il est
certain qu'un mouvement de solidarité en Allemagne Occidentale,
une grève générale par exemple, aurait constitué une puissante
démonstration d'unité ouvrière face aux deux blocs impérialistes
et leurs serviteurs de Bonn et de Berlin. Mais les travailleurs de
l'Ouest, sous l'influence des dirigeants réformistes, n'ont pas
bougé. A la place de la grève de solidarité, il y a eu les mani-
festations d'« union sacrée » de Berlin-Est présidées par Ade-
nauer, l'exploitation des événements dans un sens nationaliste
et la répugnante affaire de la distribution des colis de vivres.
Dans les autres pays occidentaux, si des militants isolés ont pu
être encouragés par l'action de juin, l'ensemble des travailleurs
n'a pas non plus bougé.
Mais quelles qu'aient été ses limites, la révolte de juin reste
(3) « A Magdeburg, vieux centre social-démocrate, les ouvriers manifes-
tent en exigeant la légalisation du parti social-démocrate. Les cheminots
de
Magdeburg font partir des locomotives avec l'inscription : « Nous ne
négo-
» cierons ni avec Ulbricht, ni avec Adenauer. Nous négocierons seulement
» avec Ollenhauer » (Ollenhauer, chef du parti socialiste de l'Ouest, est
origi-
naire de Magdeburg). >> « IV• Internationale », juillet 1953.
un événement capital de la lutte révolutionnaire. Aboutissement
du lent regroupement des travailleurs de la zone orientale et
de leur résistance croissante, elle peut représenter le point de
départ d'une nouvelle étape.
A. VEGA.
Le prolétariat d'Allemagne Orientale
après la révolte de Juin 1953
La période qui a suivi la révolte du 17 juin peut être divisée
en deux étapes : la première occupe 3 à 4 semaines ; la seconde
dure encore. La première de ces étapes est marquée par une
tentative de libéralisation du régime. Un ouvrier put déclarer
dans une assemblée d'usine : « Je suis fier du 17 juin » et sa
déclaration fut reproduite par la presse du parti (1). Parallèle-
ment un tournant économique s'amorce. Rappelons ici : la baisse
des normes, la révision du plan en faveur de l'industrie légère,
l'amélioration immédiate du ravitaillement. Cette première étape
prit fin au cours de la seconde décade de juillet avec l'arrestation
de Fechner et le limogeage de Herrnstadt et de Zaiser, promo-
teurs de la libéralisation.
La seconde étape signifie le retour aux méthodes politiques
« dures », tout en conservant en gros la nouvelle orientation
économique. Cependant la situation est changée maintenant en
Allemagne orientale et un retour pur et simple aux méthodes
politiques d'avant le mois de juin n'est pas possible. L'évolution
la plus importante concerne le monde des usines, la conscience
ouvrière. Si le 17 juin est le résultat d'un long processus de
cristallisation ouvrière où des éléments oppositionnels au régime
se regroupent peu à peu de manière très lâche sur la base
de l'atelier et du syndicat, la révolte elle-même représente un
bond gigantesque dans la reprise de confiance des ouvriers en
eux-mêmes. Des comités de grève surgissent. Des milliers
d'ouvriers d'avant-garde se révèlent qui désormais se connais-
sent, restent en contact. Après la révolte, pendant la période de
détente, on est frappé par le caractère unifié que tendent à
prendre les revendications ouvrières : réélection des comités
syndicaux d'usine, une seconde baisse des normes, diminution
des prix du secteur commercial libre, relèvement des salaires
les plus bas. Un peu partout des cahiers de revendications
locales sont déposés dans les usines. En même temps les ouvriers
demandent le limogeage de Ulbricht, leader de la politique dure.
En desserrant l'étreinte officielle, Herrnstadt-Zaiser pensaient
endiguer l'opposition, espérant que celle-ci s'exercerait dans les
limites du régime. Il fallait peu de temps pour s'apercevoir que
c'était là une illusion. Indépendamment des événements survenus
entre temps à Moscou chute de Beria - il y avait là raison
(1) Neues Deutschland, 28-6-1963.
may 10
..
.!
suffisante pour un retour aux méthodes d'Ulbricht.
Mais la lutte ouvrière était à un autre niveau : cela était un
fait acquis. Et l'action du régime tout en revenant vers ce qu'elle
avait été, devait se renouveler aussi. La critique ouvrière avait
toujours été vive en Allemagne orientale et elle ne se limitait pas
toujours aux misères immédiates de l'atelier. Des remarques
comme : «Les flics ont des bonnes chaussures mais pour nous
il n'y en a pas », ou bien : «Les nouveaux dirigeants sont pires
que les capitalistes » étaient monnaie courante. En général, il
n'arrivait rien à celui qui tenait ces propos s'ils étaient instinc-
tifs, si visiblement ils ne correspondaient pas à un système de
pensée. Et le plus souvent c'était le cas. Mais depuis le 17 juin,
les mêmes propos acquièrent un autre poids. Aussi bien pour
l'ouvrier qui a participé à la révolte que pour le bureaucrate qui
l'a réprimée, ces remarques jetées dans les réunions, à la cantine,
dans le train évoquent maintenant quelque chose de bien précis
et des deux côtés on sait qu'elles peuvent se traduire en action.
Pendant les 3-4 semaines où régna la politique de détente,
les cadres du parti étaient en plein désarroi dans les usines ; par
la suite, les dirigeants les reprirent peu à peu en main. Il existe
des usines où les militants responsables du parti se réunissent
chaque matin avant le travail. Les réunions du personnel sont
préparées maintenant de sorte que les propos hostiles au régime
soient aussitôt couverts par des menaces : «A la porte ! fas-
ciste ! », etc. Tandis qu'auparavant la discussion du rapport était
ouverte par un encouragement : « Que chacun dise ce qu'il a
sur le cour... », maintenant le cas courant est celui cité par le
Neues Deutschland du 2 octobre, où Hermann Mattern, membre
du comité central, ouvre ainsi la réunion des ateliers de chemin
de fer de Halle : « Il y en a dans votre entreprise qui s'imaginent
que nous avons les genoux tremblants de peur... Mais ceux qui
pensent pouvoir empêcher la réalisation du cours nouveau...
recevront de tels coups sur la tête de notre part que la parole
périra sur leurs lèvres. » Effectivement, de nombreux comptes
rendus d'assemblées d'usine au cours du mois d'août et septembre
se terminent avec la phrase : « Les provocateurs furent remis
aux mains des autorités. » A cette époque les ouvriers tentaient
de résister au sein usines. Peu à peu, ce type de résistance
est abandonné et beaucoup plus nombreux deviennent les comptes
rendus d'assemblée d'usine où il est signalé que personne ne
prend la parole à la suite du rapport.
Cependant la résistance existe. Plusieurs articles signalent
des organisations clandestines dans les usines qualifiées soit de
fascistes, soit de social-démocrates. Dans l'article cité du Neues
Deutschland, Mattern parle d'un « mouvement du travail au
ralenti ». Ces groupes, ces « mouvements >> ne sont autre chose
que les comités de grève du 17 juin qui, après avoir agi au
grand jour, s'adaptent à la nouvelle situation.
Surtout, la lutte économique des ouvriers se poursuit. Les
petites assemblées de brigade et d'atelier sont animées, comme
elles l'ont toujours été, par des discussions sur les conditions de
11
travail, mais à différence de la période précédant le 17 juin, les
revendications exprimées sont rassemblées maintenant dans des
cahiers. Les comités syndicaux d'atelier, proches des ouvriers
semblent jouer dans cette action un rôle essentiel. Les cadres
supérieurs des syndicats ainsi que le parti tolèrent ces cahiers
de revendications, et en même temps s'efforcent d'inclure leur
contenu dans les conventions collectives d'entreprise qui cons-
tituent un rouage du régime et où les concessions aux ouvriers
comportent une contrepartie d'engagements de réalisation du
plan.
Si sur le terrain de la vie politique il existe moins de « jeu »
que jamais, par contre, sur le terrain de la vie économique le
cours nouveau du régime tend à donner satisfaction aux masses
populaires : diminution des impôts sur les salaires, diminution
des prix, crédits à l'agriculture, crédits à l'industrie légère,
enfin, et surtout -- car c'est la revendication la plus typiquement
arrachée par l'action des masses : augmentation des salaires des
catégories 1 à 4, les plus basses, ce qui renverse la tendance à
l'ouverture de l'éventail des salaires, dominante jusque là.
Ces concessions du régime aux travailleurs ont été rendues
possibles par les concessions de Moscou à Berlin-Est et dont les
principales sont : annulation des réparations de guerre, retour
des Sociétés Anonymes Soviétiques à l'Allemagne, diminution
des frais d'occupation (1).
Le niveau de vie des masses s'est amélioré ces derniers mois
en Allemagne orientale et sans doute continuera-t-il à s'amé-
liorer. Sans doute le régime réussira-t-il à consolider la couche
de stakhanovistes, d'aristocrates ouvriers, de bureaucrates qui
lui sont dévoués. Mais il semble certain que les rapports entre
classe ouvrière et bureaucratie régnante continueront à se poser
en termes politiques. D'une part le niveau de vie de l'Allemagne
orientale est encore loin derrière celui de l'Allemagne occiden-
tale. De l'autre et surtout, les ouvriers ont conscience que l'amé.
lioration de leurs conditions de vie est due pour une bonne
part à leur action.
Au stade qu'il a atteint, le mouvement des ouvriers d'Alle-
magne orientale doit résoudre trois types de problèmes, qui
d'ailleurs se conditionnent : trouver une formule d'organisation
adaptée à la situation ; se donner un programme, une idéologie ;
se dépasser, s'allier avec les autres classes opprimées de la
nation, prendre des contacts au-delà des frontières du pays
posant en même temps, à sa manière, le problème de l'unité
allemande. Son avenir dépendra de sa capacité à résoudre ces
problèmes.
Hugo BELL.
1
(1) Pour apprécier réellement la valeur des concessions, il faudrait les
placer dans le cadre général des rapports économiques Allemagne
orientale-
tenir compte des prix pratiqués dans les échanges entre les deux pays,
etc.,
et ceci n'est pas possible.
- 12
1
Les grèves d'Août 1953
.
Au mois de juillet 1953, un Parlement indécis votait cependant
les pouvoirs spéciaux que lui demandait le gouvernement Laniel.
Ce gouvernement improvisé après les « expériences » du type Pinay
se plaçait simplement dans la même ligne réactionnaire que ceux
qui l'avaient précédé : accommodation à la stagnation de l'écono-
mie, incapacité de régler ses problèmes les plus brûlants (rapports
avec les U.S.A., Indochine, colonies), tentatives de faire supporter
à la classe ouvrière tout le poids du bilan de faillite du capitalisme
français. Simultanément au glissement continuel de la politique
française vers les solutions les plus réactionnaires, la classe
ouvrière se trouvait divisée et démoralisée. Le détachement des
ouvriers des organisations traditionnelles se faisait sous la forme
d'un abandon pur et simple de la lutte, aucune réaction importante
ne se produisait contre les attaques du patronat et de l'Etat.
Pour utiliser les pouvoirs qui lui avaient été donnés par le Parle-
ment, Laniel et ses conseillers poussèrent l'habileté jusqu'à porter
le coup décisif aux fonctionnaires, ces parasites si bien dénoncés
lors des précédentes campagnes d'économie, si peu populaires
auprès des autres travailleurs et chacun sait cela
combatifs. Précaution supplémentaire : la date fut choisie pendant
la période des vacances. Les stratèges avaient mis tous les atouts
dans leur jeu. Et l'opération échoua. Mais les hommes du gouver-
nement ne furent pas les seuls à être stupéfiés de la tournure que
prenaient les événements ; les chefs syndicaux ne s'attendaient
pas à un tel mouvement et eurent quelque peine à rectifier leur
attitude.
La grande surprise d'août 1953 eut ses causes principales dans
deux séries de faits. D'abord, les projets visant les fonctionnaires,
postiers ou cheminots, venaient après une longue suite de promes-,
ses non tenues, de restrictions, de menaces et d'attaques contre
certains avantages spéciaux compensant mal le niveau particuliè-
rement bas des salaires dans ces branches. La mesure était comble.
C'était oublier que les travailleurs des services publics comme
ceux de l'industrie privée, ne sont pas des domestiques résignés,
mais des hommes capables de prendre conscience de leur force, de
si peu
13
i
s'organiser, et de s'opposer à leurs exploiteurs. (Finalement l'âge
de retraite a bien été fixé d'après un certain rapport de force
travailleurs-Etat et non d'après l'allongement de la vie qu'entraine
l'emploi des antibiotiques en médecine.) Le patron paternaliste
qu'est Laniel pouvait ignorer cela. Mais il est révélateur de leur
éloignement des travailleurs que les grandes organisations ouvriè-
res se soient présentées dans un mouvement de cette ampleur avec
une telle absence de perspectives.
A ces raisons générales, il faut ajouter le fait déterminant que
les mesures du gouvernement Laniel en politique intérieure,
tombaient exactement à contre-temps de l'évolution de la politique
mondiale. Pour un pays aussi faible et dépendant que la France,
cette « erreur » devait être particulièrement grave. Nous avons
parlé assez longuement des changements qui sont intervenus dans
la situation à l'échelle internationale (1), et qui se traduisent
par un ralentissement du cours vers la guerre. C'est en Russie
que ces changements se manifestèrent en premier lieu. La mort
de Staline en provoquant de profonds remous dans le personnel
dirigeant de l'U.R.S.S. fit apparaître au grand jour les contradic-
tions permanentes du régime : incapacité de la bureaucratie à
soumettre totalement la classe ouvrière, frictions avec les bureau-
craties des pays satellites et entre secteurs différents de l'écono-
mie en U.R.S.S. même. Les successeurs de Staline furent ainsi
contraints à des concessions réelles ou apparentes telles que la
baisse des prix, le développement de l'industrie légère au détriment
de l'industrie lourde, les mesures de conciliation envers les oppo-
sants au régime (et spécialement envers les ouvriers). On sait que
dans les pays possédant un fort prolétariat comme l'Allemagne
orientale, une lutte s'engagea entre les tendances à la conciliation
et les tendances les plus « dures », qui affaiblît le régime et libéra
les mouvements de révolte de Berlin et de Tchécoslovaquie où les
ouvriers luttèrent en tant que classe contre la classe bureaucra-
tique exploiteuse. Ces événements accentuèrent encore la tendance
générale au ralentissement des préparatifs de guerre et à la révi-
sion de la politique étrangère, et de la diplomatie du bloc oriental.
Du côté américain, la reprise partielle de l'initiative politique
et diplomatique fit ressortir avec force la non-maturité des condi-
tions politiques de la guerre : difficulté à détinir une politique
intérieure et extérieure cohérente, difficultés d'ordre économique
partiellement masquées par le boom de la guerre de Corée. L'ana-
lyse de ces contradictions dans les deux grands blocs impérialistes
nous avait amenés dans la note sur la situation internationale
citée précédemment à conclure que le prolétariat pouvait béné-
ficier de cette situation, et se manifester avec son visage propre,
opposé à l'expansionnisme bureaucratique russe, comme à l'impé-
rialisme américain,
Quelle a été l'incidence des changements dans la politique inter-
nationale sur le développement de la lutte des classes en France ?
(1) * Socialisme ou Barbarie », no 12 : La situation internationale, p.
48
à 69.
14
Nous devons pour répondre à cette question, nous placer dans
l'optique même des travailleurs ; les changements dans la situa-
tion objective internationale ont modifié radicalement la percep-
tion qu'ont les ouvriers de cette situation, mais aussi de la leur
propre. Dans le bloc américain, jusqu'à ce moment, les luttes
ouvrières paraissaient avoir comme principal résultat d'aider
l'effort de guerre de la Russie ; l'absence d'organisation autonome
de la classe et la puissance des organisations staliniennes (en
France par exemple) renforçaient cette confusion et les organi-
tions réformistes obligées de choisir trouvaient leur place dans
la grande coalition anticommuniste bourgeoise en s'opposant à
toute tentative de mouvement social. L'autonomie ouvrière ne pou-
vait se réaliser que sur un plan très étroitement économique (bien
que radical par rapport aux deux blocs en présence) et par ailleurs,
des victoires partielles étaient de moins en moins possibles. Si ces
facteurs jouaient à long terme dans le sens d'une clarification de
la conscience de classe des ouvriers et de l'avant-garde, la pers-
pective immédiate de luttes se trouvait singulièrement bouchée. Au
contraire, le ralentissement du cours vers la guerre augmenta pour
les ouvriers les chances de s'opposer efficacement à leurs exploi-
teurs et la possibilité apparut de mener des luttes sans rapport
direct avec leur utilisation par les staliniens. L'hypothèque de
l'intégration internationale des luttes fut levée ou passa au second
plan, les facteurs politiques de division dans la classe ouvrière
reculèrent et le rapport de force entre salariés et patrons se trouva
de ce fait modifié. C'est dans ce cadre général que les grandes
grèves éclatèrent en août 1953.
L'opposition des organisations syndicales réformistes et du P.S.
à l'aile la plus réactionnaire de la bourgeoisie s'était renforcée
depuis la tentative manquée de Mendès France pour réajuster la
politique française. Mais les limites de cette opposition étaient
tracées par le but recherché : on voulait faire une démonstration
en utilisant la classe ouvrière comme instrument, ce qu'on combat-
tait, c'était Laniel, et non le régime lui-même ; d'ailleurs on
ouvrait l'œil, car on savait combien ces ouvriers, à propos de la
moindre revendication sont prompts à mettre en cause tout
l'ensemble du système d'exploitation capitaliste : « Devions-nous
généraliser le conflit ? La grève générale, c'était ouvrir la porte
aux possibilités de maneuvres communistes qui vont par tradition,
contre le régime. Or, le Bureau Confédéral n'est pas fait pour
jouer la vie de Force Ouvrière à quitte ou double » avoue Bothe-
reau, théoricien de F.O. Les staliniens de leur côté, restent très
attentifs à exploiter toutes les difficultés de leurs adversaires
atlantiques. Mais pousser à bout leur opposition au gouvernement
et engager le pays dans une grave crise sociale aurait été en
contradiction avec la politique d'apaisement poursuivie par
l'U.R.S.S. Les bureaucrates staliniens aussi durent donc s'employer
à limiter le mouvement. C'est dans la métallurgie et particulière-
ment chez Renault que leur action a été décisive. L'article du
camarade Mothé nous montre qu'à ce sujet, point n'est besoin de
15
mesures brutales : les chefs « ouvriers » ont plus d'un moyen
de faire avorter une grève. Mais si, séparés, staliniens et réfor-
mistes n'auraient jamais été capables de lancer un mouvement
de quelque importance contre le gouvernement Laniel, pratiquement
unis ils déclenchèrent un véritable raz-de-marée : 2 millions de
grévistes le 7 août, 4 millions le surlendemain. Un observateur
superficiel pourrait trouver là de quoi s'étonner ! Les réformistes
qui ne craignent pas le ridicule, affirmèrent que cette mobilisation
inattendue était le fruit de leurs efforts et prouvait l'importance
de leur action sur le plan social. D'autres au contraire, et parmi
ceux-là les staliniens, les syndicalistes unitaires, les anarchistes et
les trotskystes firent ressortir avec satisfaction la justesse de
leur orientation unitaire (chacun sait qu'il y a autant de concep-
tions de l'unité que de parties séparées). Cette idée mérite qu'on
s'y arrête un peu, car l'unité syndicale est une sorte de panacée
dont personne n'ose douter aujourd'hui. En août, l'unité fut prati-
quement réalisée parmi les ouvriers en grève (nous verrons plus
loin quelle différence existe entre l'unité des ouvriers en lutte
et l'unité syndicale) : les centrales elles-mêmes eurent des contacts,
des initiatives qui firent crier victoire aux champions de l'unité
syndicale. Ils oubliaient simplement que ce n'était pas leurs campa-
gnes de propagande qui avaient rendu possibles ces contacts et ces
initiatives, mais bien plutôt, la modification de la situation objec-
tive en diminuant à tous les échelons, la tension entre le bloc russe
et le bloc américain. En effet, la division syndicale ne vient-elle
pas directement de la nature et du rôle différents des bureaucraties
qui tentent d'encadrer et de contrôler le proletariat ? La pluralité
syndicale ne signifie-t-elle pas l'acceptation par les ouvriers d'idéo-
logies étrangères, et n'est-ce pas en acceptant de combattre pour
le compte et sous la direction des bureaucrates staliniens ou
réformistes que les ouvriers se trouvent divisés au sein de leur
classe ? Cependant quelle que soit la division qui peut se manifester
dans les époques de relatif calme social, l'unité ouvrière se réalise
nécessairement chaque fois que la lutte éclate. L'attitude des cadres
F.O. forcés d'accepter l'unité d'action est significative à ce sujet.
C'est que les bienfaits de l'unité ne sont pas à démontrer aux
ouvriers qui posent eux-mêmes les questions d'union dans chaque
branche et d'extension, de généralisation. L'unité d'action comme
seul procédé de lutte est une évidence. On ne concevrait pas que
les ouvriers d'un atelier où seraient représentés trois syndicats se
missent en grève trois jours différents pour des revendications
analogues. Par ailleurs l'unité dans la lutte laisse intacte la criti-
que que font déjà d'une manière plus ou moins claire, certains
ouvriers des organisations syndicales (soit sous la forme du refus
de toute organisation, soit sous la forme d'une fidélité sans illu-
sions à l'organisation précédemment choisie). L'unité ouvrière
s'oppose donc en cela à l'unité des centrales syndicales qui lors-
qu'elle se réalise aboutit à un resserrement du contrôle des orga-
nisations traditionnelles sur les ouvriers (1). Si les travailleurs
(1) Il n'est pas sans importance de remarquer que la grève a commencé
chez les postiers de Bordeaux, dans une corporation où l'influence de
l'orga-
nisation syndicale stalinienne, la plus lourde, était contrebalancée par
celle
d'autres syndicats, spécialement sur l'initiative de minoritaires de la
Fédé.
ration F.O.
16
en lutte tendent à surmonter leurs divisions, c'est au profit d'une
unité ouvrière dont l'unité syndicale n'est qu'une caricature.
Les grèves prirent au début le caractère d'une lutte purement
défensive. On sait que ces fameux droits - qui ne furent d'ailleurs
acquis qu'après de longues luttes - s'intégraient parfaitement dans
le mode de fonctionnement des grandes entreprises publiques.
Sécurité de l'emploi, retraite assurée, régime d'assurances sociales
plus avantageux, étaient effectivement utilisés pour s'assurer la
fidélité des fonctionnaires : cheminots, postiers, etc... Mais menacés,
ces maigres avantages se transformèrent en motifs de lutte. On
doit d'ailleurs noter que c'est dans les secteurs où la concentration
et l'industrialisation sont le plus poussées : transports, commu-
nications, production du gaz, de l'électricité etc., que le mouvement
a pris naissance. Il exista cependant un décalage entre l'éclate-
ment spontané des grèves, leur étendue et leur durée d'une part,
les objectifs poursuivis, les moyens mis en œuvre d'autre part.
Ni dans les revendications. (maintien du régime antérieur des
retraites) ni dans l'organisation des grèves (le plus souvent, pas
de comités de grève élus, mais comités formés des différents res-
ponsables syndicaux, voire simples comités de coordination inter-
syndicaux, absence de manifestations de rue, évacuation des
chantiers ou bureaux) les grévistes ne manifestèrent une volonté
de lutte claire et ferme, ne s'affranchirent de la tutelle des direc-
tions syndicales.
Les grèves d'août représentèrent l'opposition de l'ensemble de
la classe ouvrière française à la politique de Laniel et consorts.
Ce fut donc à ce moment l'ensemble de la classe ouvrière qui ne
sut pas dépasser le cadre étroit dans lequel les syndicats avaient
enfermé les grèves : les travailleurs du secteur public en n'abor-
dant pas franchement les revendications les plus générales, et
les autres ouvriers (métallos en particulier), en ne reconnaissant
pas dans ces grèves la lutte de tous les travailleurs contre leurs
oppresseurs. Pourtant malgré l'extrême confusion qui régnait dans
l'esprit des grévistes quant aux objectifs finaux, et aux possibilités
réelles du mouvement, aucune illusion ne subsistait sur le carac-
tère soi-disant économique et politiquement neutre de la lutte. Les
grévistes avaient conscience de l'enjeu politique de la lutte qui les
opposait au gouvernement et les plus anciens parlaient aux jeunes
ouvriers de juin 36. Le gouvernement ne fut ni assez fort, ni assez
cohérent pour briser le mouvement. La prime spéciale qu'il
accorda aux agents de police fit douter de son autorité auprès
de ses serviteurs plutôt qu'elle ne prépara ces derniers à des com-
bats de rue. Il n'osa pas les lancer contre les grévistes. Malgré
un effort spécial pour remettre en marche les transports et
communications, il ne parvint avec l'aide du haut personnel de
direction de la S.N.C.F., qu'à lancer quelques trains de voyageurs
de parade et le recrutement de jaunes fut un lamentable échec
dans les P.T.T.
Ni victoire ni défaite, mais finalement bilan positif, tel apparaît
le résultat des grèves d'août ; ni victoire car les travailleurs sen-
17
SA
tirent bien qu'une telle mobilisation ouvrière aurait pu avoir des
résultats beaucoup plus importants et que la forme même que
prirent les grèves fut bien inoffensive : c'est à peine si ces cen-
taines de milliers de travailleurs qui arrêtèrent pendant plus de
deux semaines la vie du pays, organisèrent des comités de liaison
inter-professionnels pour venir en aide aux familles des grévistes.
Ni défaite car pratiquement les décrets sur l'âge de la retraite
furent enterrés (1), la grève se prolongea après le 24 avec des
manifestations particulièrement combatives à Rouen, Angers,
Nantes, les ouvriers interprétèrent la défection des organisations
réformistes non comme un échec mais comme une trahison et enfin,
le sentiment général, au moment de la reprise était qu'il faudrait
remettre ça. Bilan positif puisque les grèves d'août portèrent un
coup d'arrêt à l'évolution dans un sens de plus en plus réaction.
naire de la politique française, modiflèrent sur le plan social le
rapport de force en faveur du proletariat et marquèrent une
reprise de confiance de la classe ouvrière dans ses propres forces.
Le décalage que nous avons constaté entre la spontanéité des
grèves et leur but, leur potentiel et leur forme ne fait qu'exprimer
la contradiction qui se trouve dans toutes les actions que les
ouvriers engagent aujourd'hui : d'une part la défiance envers les
organisations traditionnelles héritées de la période précédente
demeure comme une acquisition de l'expérience, valable même
lorsque l'attitude de ces organisations parait changer (obligeant
les dirigeants syndicaux à des concessions « démocratiques » telles
que : élections dans certains cas de comités de grève, discussion
et formulation de revendications par les travailleurs eux-mêmes,
etc...) ; d'autre part la conscience de l'importance de l'enjeu, le
désir des ouvriers de mener une grande bataille, les conduisent à
prendre pour cadre organisationnel les grands syndicats solide-
ment charpentés, représentés nationalement, en liaison avec les
syndicats d'autres branches industrielles et possédant les militants
formés pour remplir ces tâches. Les ouvriers les plus enclins à
critiquer les syndicats et à se mettre en grève sans en avoir l'ordre
étaient les mêmes qui formaient des délégations demandant aux
dirigeants syndicaux l'extension de la grève, sa généralisation, etc.
Ainsi l'action spontanée est un des moyens par lesquels les ouvriers
parviennent à surmonter la tutelle des organisations bureaucra-
tiques mais cette spontanéité est immédiatement ressentie comme
insuffisante pour régler le problème de la lutte contre le capita-
lisme centralisé. Les ouvriers ont parfaitement compris l'obliga.
tion où ils sont de s'organiser pour vaincre mais ils savent aussi
que l'organisation des masses d'ouvriers est la porte par laquelle
s'insinuent les tendances bureaucratiques de domination de la
classe ouvrière. Leur oscillation entre la révolte spontanée et la
lutte dirigée par les chefs syndicaux dénote qu'aux problèmes
(1) Des dirigeants S.N.C.F. qui dans certaines gares avaient cru pouvoir
se montrer plus durs que le gouvernement lors de la reprise du travail
ont
vite compris devant les nouveaux débrayages que cela entraînait qu'ils
n'avaient pas du tout remporté de victoire.
18
posés par leur opposition tant à la bourgeoisie capitaliste qu'à la
bureaucratie, les ouvriers cherchent une solution sur le plan de
l'organisation,
Or, les causes qui ont rendu possible l'éclatement des grèves
d'août subsistent et en liaison avec le ralentissement du cours vers
la guerre il existe désormais, bien que faibles et limitées, des pos-
sibilités objectives de succès ouvriers. Il est vrai que la bourgeoisie
française 'a des difficultés spéciales (guerre d'Indochine, concur-
rence du capitalisme allemand) qui sont à peine ou pas du tout
atténuées par les changements dans la politique mondiale mais
on sait aussi que la possibilité de donner satisfaction à des reven-
dications ne dépend pas de la seule volonté de la bourgeoisie
mais d'un certain rapport des forces. Par contre, rien n'indique
que les luttes qui éclateront sur ces bases auront l'ampleur des
grèves d'août : celles-ci polarisèrent une opposition générale au
régime, mais elles ne pouvaient obtenir satisfaction que sur cer-
tains points précis tels que l'âge de la retraite etc... (1). Cependant
le regain d'activité de la classe ouvrière et le développement des
luttes sociales permettent un développement de l'intervention
des militants d'avant-garde. L'expérience ouvrière de l'intégration
des organisations traditionnelles aux blocs impérialistes se mani-
feste non seulement dans le souvenir de l'action de ces organisa-
tions (lorsqu'elles combattaient la grève par exemple) mais aussi
dans la formulation de mots d'ordre s'opposant aux mots d'ordre
d'inspiration bureaucratique (ainsi les revendications tendant à
comprimer la hiérarchie des salaires):
La tâche des militants d'avant-garde est donc double : 1° formu-
ler les revendications par lesquelles les ouvriers révolutionnaires
s'opposeront aux directions bureaucratiques, 20 déceler les formes
d'organisation et de lutte autonomes dans lesquelles le mouvement
ouvrier échappant à l'emprise des bureaucrates pourra coordonner
et diriger ses combats. Si le relatif attachement des ouvriers aux
organisations traditionnelles signifle bien leur volonté de mener
une lutte organisée, c'est de ce fait même que le problème de
l'organisation propre de l'avant-garde se trouve posé.
Robert DUSSART.
CHRONOLOGIE DES GREVES
Apparemment rien ne laissait présager l'ampleur du conflit qui
allait se développer avant le 4 août 1953. Laniel ayant en mains
certains pouvoirs spéciaux, en annonçait l'application proche. Cer-
tes la coupe était pleine et les prolétaires de l'Etat se sentaient
cette fois la force de résister victorieusement aux attaques que leur
Patron s'apprêtait à lancer contre eux. Mais personne n'eut pu
prédire que, rapidement, la grève allait grouper 4 millions de
travailleurs dans la lutte.
(1) Tendance à regrouper une opposition générale au régime, possibilités
de satisfaction très limitées : ce qui manque à cette situation
intérieure pour
devenir révolutionnaire c'est la conscience claire des buts et des
moyens,
l'organisation autonome de la classe ouvrière. Nous savons que cela ne
peut
pas être détaché de l'évolution de la situation mondiale et de la
perspective
de la guerre et de la révolution que porte l'opposition des deux grands
blocs
impérialistes,
19
• Le MARDI 4 AOUT une journée de protestation des fonction-
naires contre les « économies » de Laniel, est organisée par les
syndicats. Seule F.0. s'abstient et ne participe pas au mouvement.
La C.G.T, invite ses adhérents à participer à la journée du 4 août.
Le même jour la section girondine de la Fédération F.0. des P.T.T.
lance l'ordre de grève illimitée à Bordeaux.
MERCREDI 5, la grève générale des P.T.T. est déclenchée.
L'ordre en est donné par F.0., à laquelle se joignent la C.F.T.C. et
les autonomes. La plupart des grands centres postiers sont rapide-
ment paralysés. La Fédération Postale C.G.T. demande à ses adhé.
rents d'appuyer le mouvement.
JEUDI 6, le cartel F.0. des Services Publics groupant les chemi.
nots, les Services de Santé, les mineurs, le Gaz, l'Electricité, la
Régie des Tabacs décide de lancer un ordre de grève de 24 heures.
En même temps, les Fédérations C.G.T. envoient une lettre au cartel
F.O. et aux autres centrales, proposant une action commune pour
le lendemain, dans tous les services publics. La C.F.T.C. lance un
ordre de grève de 24 heures également. La grève est totale dans les
P.T.T. Laniel lance son premier appel aux grévistes et réquisi-
tionne le personnel de l'interurbain.
VENDREDI 7, la grève est effective dans tous les Services
publics et se développe en profondeur.
SAMEDI 8, « Combat » titre « Situation confuse ». Les fonction-
naires ont repris le travail, sauf les postiers qui continuent la lutte.
Mais les premiers décrets sont arrêtés par le gouvernement.
• LUNDI 10. Sous l'influence des cheminots C.G.T., la Fédération
demande à ses militants d'organiser l'arrêt du travail dans tous
les services. Cette fois la C.G.T. offre aux autres centrales syndi-
cales de reprendre la grève. La S.F.1.0. invite ses députés à exiger
la convocation du Parlement.
MARDI 11. La grève est générale dans tous les Services publics.
La base dépasse les directions syndicales en cette journée et force
les dernières fédérations (Service Santé) à lancer l'ordre de grève
illimitée. F.0. et C.F.T.C. demandent la convocation du Parlement.
MERCREDI 12. Laniel dit « non à la grève ». La grève des Ser.
vices publics tente de s'étendre au secteur privé. Les syndicats
F.O. et C.F.T.C. tentent de forcer la décision de Laniel pour la
réunion de l'Assemblée. La date du 21 août est avancée. Laniel
répond par un durcissement de l'attitude gouvernementale (arres.
tations, menaces, utilisations de la troupe).
JEUDI 13. Un seul autobus roule dans Paris. Les grévistes tien-
nent malgré les maneuvres venant de toute part. Propagande ultra
mensongère du gouvernement. F.0. demande une entrevue à Her.
riot, en même temps que l'on joue la généralisation de la grève.
F.0. demande également la possibilité de pourparlers avec le
C.N.P.F. A travers ces tentatives se font jour les possibilités d'une
discussion avec le gouvernement au-dessus des masses en lutte.
VENDREDI 14. Situation stationnaire. Le début de grève dans
la métallurgie marque le pas (la plupart des ouvriers sont encore
en vacances). La C.G.T. publie une déclaration disant qu'elle est
prête à discuter avec le gouvernement dans « l'intérêt des travail.
leurs ». D'autre part Laniel dit ne pas refuser d'envisager la convo.
cation de la Commission des Conventions collectives.
SAMEDI 15. La C.F.T.C. commence des conversations avec le
gouvernement « au niveau le plus élevé ». Une entrevue a lieu entre
Bouladoux et Levard et le Président du Conseil, voulant élargir la
discussion aux représentants de F.O.
DIMANCHE 16. Jouhaux remet au gouvernement un mémoran-
20
dum au nom du Conseil économique (qui à cette date était en
vacances). Une nouvelle fois le vieux bonze réformiste joue les
médiateurs. La discussion reprend entre le gouvernement, F.0. et
C.F.T.C. Les syndicats dépassés par le mouvement tentent sans
être mandatés par les grévistes de faire admettre à Laniel là néces-
sité de régler le problème des salaires des postiers, des cheminots,
des travailleurs de la R.A.T.P. Dans la nuit du dimanche au lundi,
Bacon donne lecture de l'ultimatum aux grévistes, leur enjoignant
à rer
ndre le travail, aucune discussion ne devant être menée
avant la reprise.
LUNDI 17. Laniel fait entrer dans les faits son ultimatum. Il
exige de F.0. et de la C.F.T.C. que l'ordre de reprise soit donné
avant 18 heures. Dans la soirée, il déclare à la radio qu'aucune
négociation ne sera engagée avec ceux qui n'auraient pas repris le
travail.
MARDI 18. La grève rebondit. D'une part les grévistes accep-
tent le défi de Laniel et se cristallisent autour des comités de grève,
pour une lutte pouvant être encore longue, et sont décidés à ne pas
céder. D'autre part les syndicats ulcérés du peu de cas que fait
Laniel de leur position, et obligés de ne pas désavouer le mouve-
ment à ce stade appuient une nouvelle fois les grévistes.
O MERCREDI 19. « Combat » titre : « Laniel s'installe dans la
grève ». Les ouvriers de la métallurgie commençant à rentrer se
préparent à la lutte. Des débrayages ont lieu chez Renault à Billan-
court ; l'usine du Mans cesse le travail. Au Havre la grève est
pratiquement totale. Laniel emploie les jaunes à outrance, mais
l'orchestration des mensonges lancés par le gouvernement n'atteint
pas son but.
JEUDI 20. Dans la nuit le M.R.P. joue les conciliateurs entre le
gouvernement et les syndicats. On parle d'un accord, puis on
le dément. Un certain revirement de la position du gouvernement
a lieu, le bureau de l'Assemblée n'ayant pas encore statué sur la
convocation du Parlement. Laniel paraît temporiser.
Poussés par la volonté des métallos, les syndicats donnent
l'ordre de grève générale dans la métallurgie. On verra plus loin
comment ils ont fait noyer le poisson (1).
VENDREDI 21. La trahison des syndicats éclate au grand jour.
F.O. et C.F.T.C. signent un accord avec le gouvernement sur les
ves ». En réalité la « base » n'est pas dupe et, malgré les ordres de
reprise, très peu de grévistes reprennent le travail. La situation
paraît ilottante, l'accord ne donnant pas de précision quant à son
contenu. Les grévistes exigent un peu partout des explications.
SAMEDI 22. Le gouvernement a reculé sur la question de l'âge
de retraite, mais tous les autres points restent en suspens : sanc-
tions, paiement des jours de grèves. La question des sanctions,
notamment chez les cheminots, cristallise une nouvelle fois la
volonté de lutte des grévistes.
LUNDI 24. Certains travailleurs qui avaient repris le travail
recommencent la grève. La trahison profite aux staliniens qui peu-
vent maintenant démasquer F.O. et la C.F.T.C. aux yeux des grévis-
tes et centrent leurs mots d'ordre sur la convocation du Parlement.
O MARDI 25. Les grévistes sont une nouvelle fois trompés. Il n'y
aura pas de convocation du Parlement. 207 signatures de députés
(il en fallait 209) sont seulement parvenues. Le mot d'ordre stali.
nien est balayé par les faits. La C.G.T. donne l'ordre de reprise
de travail.
(1) Voir l'article sur « La grève chez Renault ».
21
LA GREVE DES POSTIERS
Lorsque le 4 août, à l'appel des fédérations C.G.T., C.F.T.C. et
Autonomes, les postiers manifestèrent par divers moyens (pétitions,
débrayages limités, grève) contre les « pouvoirs spéciaux », il n'est pas
un syndicaliste qui n'ait regretté que cette riposte se fasse à une date
choisie par le Gouvernement, c'est-à-dire à un moment défavorable
aux luttes. Son succès s'avère un sérieux avertissement pour les Pou-
voirs publics et un gage d'espoir pour les syndicats orientés vers un
grand mouvement pour octobre...
Pourtant la Fédération Postale C.G.T. aurait dû se montrer plus
perspicace ; elle avait déjà été victime de l'indiscipline de la corpo-
ration osant revendiquer avant de produire, et ce, en pleine période
de vacances (août 1946).
Le 5 août dernier ce sont les postiers de Bordeaux qui osèrent, en
poursuivant la grève amorcée la veille, et en se donnant une direction :
le Comité Paritaire. Ils allaient entraîner leurs 230.000 camarades, puis
soulever 4 millions de travailleurs.
Cette étincelle a failli aveugler les dirigeants syndicaux, Ceux qui
réclamèrent la paternité du mouvement, les dirigeants de la Fédéra-
tion Syndicaliste F.O. (dont la région bordelaise est la plus représen-
tative), étaient alors absents de Paris. Ils n'avaient pas pris part au
déclenchement du 4 août, et pourtant ils déclarèrent plus tard : «A
Bordeaux, la section régionale de la F.S. réunit ses militants, apprécie
la situation et en complet accord avec le B.N. déclenche la grève
générale » (« P.T.T.-Syndicaliste », organe de la F.S.F.O., n° 62 d'août-
septembre 1953). La situation réelle était que la section girondine
pratiquait l'unité d'action avec la C.G.T. au sein d'un comité régional
de grève. Etait-elle alors en accord avec le B.N. qui «refuse toute
discussion, tout contact avec les responsables cégétistes à quelque
échelon qu'ils appartiennent » ? (motion du Congrès de novembre 52).
La Fédération F.O. se trouva donc devant un état de fait qu'elle
n'avait pas pu provoquer.
Quant à la Fédération Postale C.G.T., qui dénie elle aussi toute
spontanéité au mouvement, elle enjoignait à ses militants le 5 au
soir « d'appuyer tout mouvement démocratiquement décidé » ; c'était
avouer que celui-ci lui échappait.
Cette grève a surpris tout le monde en éclatant au mois d'août et
non en octobre : voilà la spontanéité. Le feu couvait depuis plusieurs
mois, pendant lesquels les postiers avaient accumulé une réelle expé-
rience qui pouvait favoriser la spontanéité de la grève, la grève géné.
ralisée, l'unité d'action. Cette expérience s'était récemment enrichie
à l'occasion du mouvement pour la prime de fin d'année (novembre 52-
janvier 53) au cours duquel les postiers retrouvèrent le chemin de
l'action.
A l'appel de 23 collègues du Bureau-gare du Nord (en majorité:
non organisés) lancé le 8 novembre 1952 sur le mot d'ordre : « la fin
de l'année approche, nous demandons le mois double » et distribué
dans tous les bureaux par le canal des sacs postaux, toute la corpo-
ration s'ébranla. Par deux fois, le 19 décembre et 22 janvier, la
grande salle de la Mutualité est remplie, débordante d'enthousiasme.
Une telle mobilisation n'avait pas été réalisée depuis cinq ans. Un
congrès régional, puis national réunissait en quelques jours plus de
300 délégués. Un « Comité national pour la prime de fin d'année » est
constitué. Les frais de voyage, de tracts, de location de salle avaient
été couverts par les listes de souscriptions. Ainsi toute l'organisation
du mouvement est passée par-dessus l'appareil syndical ; sa construc-
22
tion rapide s'explique par l'enthousiasme rencontré. Pourtant jamais
mot d'ordre ne fut tant contreversé! Fallait-il demander « mois
double » ou « prime uniforme » ?
Dans le but d'entraîner toutes les catégories, le Congrès se fixa à
une prime de fin d'année égale au 1/12e du traitement et ne pouvant
être inférieure à 20.000 francs. Son deuxième objectif fut d'essayer
d'écarter la prime de 'rendement, facteur constant de division parmi
le personnel : la F.N.S.A. avait proposé (et propose toujours) sa
suppression et son remplacement par ladite prime de fin d'année,
s'échelonnant alors de 20.000 francs à 100.000 francs. Il faut savoir en
effet, que la prime au rendement est la seule prime dont bénéficient
les postiers mais qu'elle s'étale de 3.700 francs à 194.000 francs par
an,
et que les facteurs manutentionnaires et auxiliaires en sont exclus
(pour les autres l'attribution est faite au choix).
Les trois autres fédérations adoptèrent une solution identique : une
prime uniforme venant s'ajouter à la prime de rendement et aux
heures supplémentaires fictives. Cette revendication a rencontré un
écho extraordinaire. En l'absence d'objectif général il est évident
qu'un mot d'ordre catégoriste peut capter des salariés au traitement
insuffisant. Et cela à plus forte raison lorsque d'autres secteurs natio-
nalisés ou à caractère administratif touchent cet appoint sans pouvoir
justifier, comme dans les P.T.T., d'un surcroît de travail en fin d'année
(ce qui se traduit par la suppression des repos et des congés du
15 décembre au 15 janvier).
L'agitation a été menée par des comités élus par chaque service,
et sous la forme de pétitions, délégations, arrêts de travail. Elle a été
surtout importante dans les bureaux-gares qui concentrent jusqu'à
1.200 agents. L'appel de la gare du Nord trouva là un terrain fertile.
Au centre de tri de Paris P.L.M., chaque service, dans chacune des
quatre brigades, désigna deux délégués. Ces délégués élurent ensuite
un Comité dans lequel entrèrent automatiquement les délégués syn-
dicaux. Au cours de la première journée revendicative, un arrêt de
travail à 100 % pendant un quart d'heure, affecta chaque brigade avec
rassemblement du personnel à la cantine. Pareille démonstration
symbolique marquait une reprise de conscience.
Malgré tous ces signes révélateurs, la C.F.T.C. ne fut guère
engagée à aller de l'avant. Elle s'obstina d'abord à ne pas recon-
naître le Comité national qualifié d'irresponsable. Elle se retrancha
ensuite derrière le principe de l'octroi d'une avance de 20.000 francs
å valoir sur la revalorisation des traitements. La Fédération F.O.,
d'autre part, ne recherche pas l'attribution de primes' mais la
rémunération normale pour toutes les catégories quelles qu'elles
soient ». De toute façon son récent Congrès s'était prononcé contre
tout contact avec la C.G.T.
Néanmoins 3.000 postiers parisiens se retrouvèrent par deux fois
à la Mutualité non pas sur des principes mais pour obtenir d'abord
20.000 francs. La plus forte section F.O. (gare Saint-Lazare) s'y
trouvait représentée par Margalejo et Rigade ; des militants C.F.
T.C. étaient également présents. Seules la F.P.-C.G.T. et la F.N.S.A.
soutinrent le mouvement. Placée devant une décision de grève
lancée par le Comité pour la prime de fin d'année et prévue pour
le 6 janvier, la Fédération Autonome s'y opposa parce que « un
arrêt de travail décidé à l'avance et en l'absence de gouvernement
constitué, peut entraîner un
échec ».
Par la suite, Frischman
devait condamner ce mot d'ordre « pris sans base suffisante » et
décelant « la tendance opportuniste dans nos rangs » (C.N. de
juin 53.) Le 9 janvier, un accord C.G.T.-Autonomes est signé « pour
intensifier les actions et informer le personnel sur cette scanda-
23
1
leuse répartition des primes de rendement ». Mais ces actions vont
se situer bien vite dans le cadre de la « tactique de harcèlement »
et « d'union à la base », développée par Gastaud secrétaire de la
région parisienne de la Fédération Postale (C.G.T.). Ses articles
dans « L'Humanité » remplaçant ceux de Frischman, secrétaire
général mais « grippé », sont essentiellement dirigés contre F.O.
Cette union à la base au départ avait une perspective : l'unité
au sommet ; le Congrès du Comité pour la prime de fin d'année se
félicitant de l'appui C.G.T.-F.N.S.A., réclamait l'entente des quatre
syndicats. Dans le tract diffusé pour le meeting du 22 janvier, si on
lit encore « le C.N. appelle toutes les fédérations à se rencontrer
afin de discuter et d'élaborer une revendication commune », c'est
parce que les Autonomes ont fait reculer la F.P. (C.G.T.). L'usure
et le sectarisme vont suspendre l'action en cours qui voit pour la
première fois dans les P.T.T., deux fédérations agir en commun.
Durant les mois de mars, avril et mai, la C.F.T.C. s'intègre dans
la campagne visant à réduire l'étalement des congrès sur cinq
mois (1). Et, lorsque le gouvernement Meyer projette d'attaquer
par décrets-lois les droits acquis, un appel national C.G.T.-C.F.T.C.-
Autonomes pour une grève de 24 heures le 27 mai est lancé. C'est la
chute de Meyer qui fait éclater ce cartel, mais la C.G.T. maintient
ce mot d'ordre qui est largement suivi à Paris.
Lorsque Laniel proposera ses décrets, l'unanimité des postiers
se retrouvera contre lui. Les projets initiaux prévoyaient un recul
de l'âge de la retraite, l'arrêt de l'avancement et du recrutement en
particulier. Ils s'attaquent à des avantages acquis auxquels les
fonctionnaires sont attachés. L'abandon de ces mesures, la titula-
risation des auxiliaires et la prime de fin d'année de 20.000 francs
sont inscrits au programme d'action. Ce cadre corporatif sera vite
dépassé : les 200.000 grévistes se battent pour une revalorisation
de leurs traitements bloqués depuis deux ans à un niveau très bas.
Voici quelques chiffres :
GAIN NET
MENSUEL (1)
A Paris
Facteur
minimum
maximum
22.042
30.262
Agent des lignes
minimum
maximum
24.028
34.347
23.426
41.447
Agent d'exploitation ..
minimum
maximum
Inspecteur-élève
minimum
Inspecteur-adjoint maximum
Ouvrier aux travaux minimum
manuels
maximum
Dans la zona ou l'Indom-
nité de résidenos est
la plus avantageuse
19.209
26.478
21.809
30.238
20.463
36.774
28.651
47.571
16.115
20.463
26.478
39.321
16.700
23.000
32.823
52.993
Contrôleur
minimum
maximum
minimum
maximum
18.782
23.426
30.262
44.206
19.500
26.200
(auxil. de bur.)
Auxiliaire
(1) Y compris l'indemnité de résidence et les retenues de sécurité
sociale.
(1) Le congé annuel est établi sur gept mois pour les postiers.
24
Un mot sur ce qu'on appelle les calendriers des facteurs qui consti-
tuent aux yeux de la population une prime de fin d'année. Disons tout
de suite qu'il y a 35.000 facteurs sur 230.000 postiers et qu'environ
15.000 d'entre eux font des calendriers. Ceux-ci sont en effet réservés
aux facteurs-lettres, emploi obtenu parfois après douze ans de service
de distribution. Le problème est évidemment tout autre, car le facteur
sacrifierait volontiers la tradition et la mendicité pour un salaire
convenable. Ceci justifie l'attachement des postiers au quatrième point
de leur programme : une indemnité d'attente de 7.000 francs. Au
meeting organisé salle Wagram le 6 août ils sont 5.000. Les Fédérations
F.O., C.F.T.C., Autonomes (la C.G.T, n'ayant jamais lancé l'ordre de
grève) en sont les organisateurs. Mais la salle impose la présence de
Frischman à la tribune aux côtés de Mourguès, secrétaire général de
la F.S.-F.O. des P.T.T. complètement désemparé. L'unité est donc en
quelque sorte imposée aux quatre fédérations qui se trouvent à la
tribune. C'est la volonté, en vue de la lutte à venir, de voir se forger
une direction unique, qui anime et ne cessera pas d'animer les 16.000
postiers qui vont se retrouver chaque matin à la Bourse du Travail.
Seul, Portes, secrétaire autonome, exigera la constitution d'un Comi
National Interfédéral de grève du 6 au 11 août. Ce qui fut caracté-
ristique ce fut la mollesse avec laquelle la F.P. acquiesca en faveur
de ce C.N.G. Un Comité régional de coordination se formera donc
mais il n'aura qu'un caractère consultatif. Un modeste point est
marqué car son effet est avant tout d'ordre psychologique ; dans l'état
d'esprit de certains dirigeants syndicaux il est la voie de garage du
Comité national de grève.
Il apparaissait évident aux grévistes, qu'à l'instar de leurs cama-
rades de Bordeaux, il leur fallait constituer un instrument efficace
pour la lutte. Un Comité national de grève majeur et paritaire, menant
le combat sous leur contrôle, et seul négociant en leur nom, telle est
l'exigence qu'ils formulent dès le 6 août. Pendant ce temps les stra-
tèges de F.O., soucieux d'éviter un débordement, préfèrent se dépenser
dans les antichambres ministériels et usent de toutes leurs capacités
de comédiens pour différer leur décision. Elle arrive le 10 août à
11 h. 30 au siège de la Fédération Autonome : « Toutes les délégations
que vous pourrez nous envoyer n'y changeront rien. Nous refusons
définitivement le C.N.G. Nous voulons négocier seuls. Si nous donnons
un ordre de reprise, nous vous en ferons part » (Grimaldi à Portes
par téléphone). Nul doute que les négociations sont déjà engagées ;
Laniel pourra répondre NON aux grévistes le 17, il sait que le bloc
des syndicats se fissure; le temps fera le reste.
Cependant les postiers qui avaient obligé Mourguès à accepter
Frischman à la tribune pouvaient-ils lui imposer le C.N.G. ? Peut-être,
si la F.P. (C.G.T.) avait appuyé la proposition F.N.S.A. au lieu de
déclarer que ce n'était pas là chose urgente, qu'il ne fallait rien
brusquer. Mais elle n'avait aucun intérêt à le faire.
Les premiers jours de grève écoulés, les postiers qui s'étaient
opposés dans un geste de défense aux décrets Laniel, avaient posé
leurs revendications particulières, puis un programme de relèvement
de leurs salaires. Ils se tournèrent vers leurs camarades fonction-
naires et les services publics. Mais alors que l'élargissement de la
grève devenait nécessaire, les fédérations syndicales provoquaient
un éparpillement des luttes sous des prétextes différents mais pour
des motifs au fond identiques, à savoir éviter la généralisation du
mouvement. Dans son Bulletin nº 2, la Fédération Générale des
Syndicats Chrétiens de fonctionnaires écrit entre autres :
14 août le B.F. tout en se félicitant du plein succès de la grève de
« Le
25
48 heures, décide de suspendre le mouvement, comme prévu. Le
B.F. considérait que sous peine de voir le mouvement dégénérer en
épreuve de force contre la démocratie ou en aventure au profit des
ment gêné, « réaffirme sa solidarité avec les postiers en grève depuis
réactionnaires de droite ou de gauche, il était indispensable de
faire le maximum pour éviter les grèves illimitées. »
Le 16 août, le Conseil de la Fédération Générale (C.F.T.C.), nulle-
13 jours. » La position de F.O. est similaire, puisque son souci est
le même : sauver le gouvernement plutôt que d'être débordé par la
« rue », Elle déclenche des grèves de 24 heures et de 48 heures chez
les cheminots, le métro et l'E.D.F. ; « elle fait tout pour isoler les
P.T.T. » dit Frischman. Mais que propose sa fédération C.G.T. pour
élargir et étendre le mouvement ? Dans le même numéro d'août-
septembre de la « Fédération Postale », Frischman nous annonce
qu'elle & rayé le nom de grève générale de son vocabulaire puisque
celle-ci est impossible : « la grève générale est quasi impossible dans
les P.T.T. qui comptent plusieurs dizaines de milliers de bureaux,
services, équipes.... » (!) Il se montre vraiment maladroit en écrivant
plus loin « le mot d'ordre de grève de F.O. est insolite... on est au
mois d'août, la classe ouvrière est en vacances. Enfin le gouverne-
ment a annoncé son intention de condamner Le Léap et Molino ».
La « sagesse » ou la « prudence » de la C.G.T. que d'aucuns mettaient
au compte de son désir de conserver l'unité, s'expliquerait peut-être
ainsi. Cela en tout cas n'apporterait pas de démenti aux bruits cir.
culant sur les tractations entre P.C.F. et gouvernement concernant
la libération de Le Léap. Lorsqu'il est proposé d'envoyer des délé-
gations au Ministère de la Justice pour demander la libération des
cing camarades de l'Interurbain emprisonnés, ou d'organiser des
meetings communs avec les grévistes d'autres corporations, la F.P.
crie à la provocation. Quand on songe que de semblables manifes-
tations se sont déroulées en province spontanément, on peut mesurer
la crainte de la C.G.T. d'être débordée, elle aussi, par la «rue ».
Cette crainte est évidemment dictée par les nécessités tactiques du
P.C.F. : la C.G.T. nous a trop habitués à des mouvements aventuristes
pour qu'on la soupçonne de prudence en août 53.
Ainsi sous une forme plus nuancée, plus habile, la C.G.T., sans
paraître à aucun moment se heurter de front aux grévistes, a pu tout
aussi efficacement saboter le mouvement. En expliquant qu'elle a
laissé faire dans le but de sauvegarder l'unité du mouvement que
le gouvernement aurait alors taxé de « communiste », elle a pu
conserver la confiance des masses. Et elle a pu la conserver d'autant
plus facilement que la trahison de. F.O. et de C.F.T.C. a été écla-
tante, Les 5.000 postiers qui ont écouté chaque matin à la Bourse du
Travail, les discours particulièrement enflammés de Leprix et Gati-
neau (F.O.), de Garnesson (C.F.T.C.) etc. ne peuvent plus leur
reconnaître qu'un incontestable talent de comédiens. C'est vrai-
semblablement aussi l'appréciation des deux fédérations dont les
dirigeants, fuyant les meetings, menaient « l'action continue » dans
les couloirs ministériels pour remporter la « victoire syndicaliste »
que l'on sait. Dans « Recherches » (n° 2), revue C.F.T.C. dirigée
par Bouladoux, on peut lire : « On nous dira enfin que les résultats
obtenus sont minces. Ce n'est pas notre avis. En tout cas à cette
question, c'est aux intéressés de répondre. » Eh bien, il se trouve
que la totalité des postiers conteste cette victoire qui ne leur rap-
porta que des miettes. Dans le programme revendicatif, Leprix (F.O.)
avait l'habitude de distinguer la partie défensive (les décrets) et
la partie offensive (la prime annuelle de 20.000 francs avec un
26
acompte mensuel de 5.000 francs minimum). La virulence avec
laquelle il parlait à la tribune des meetings (en particulier sur le
paiement des jours de grève) augmente le ridicule de la capitu-
lation du 21 août. Néanmoins le 17 août, F.O. et C.F.T.C. signaient
sans sourciller un tract commun disant que le travail ne repren-
drait qu'après satisfaction sur ces points !
En ce qui concerne la partie « défensive », satisfaction est prati-
quement accordée, mais il faut souligner que le gouvernement avait
cédé quant aux décrets le 10 août, c'est-à-dire que la victoire sur
ce point précis, a été enlevée par les postiers unis et non par les
maquignons de F.O. et de C.F.T.C.
Quant à la partie « offensive », le problème du pouvoir d'achat
y est « résolu » par l'attribution d'une indemnité spéciale aux petits
traitements (indices 100 à 160) dégressive de 36.000 à 1.000 francs
par an (pour les zones sans abattement). Pour la prime de fin
d'année, alors que la somme de 20.000 francs avait été votée par
l'Assemblée, le Comité technique des P.T.T., et promise par deux
ministres successifs, les syndicats F.O. et C.F.T.C. lancent l'ordre
de reprise du travail sur la base de 6.000 francs en 1953, 12.000 francs
en 1954 ! Les journées de grève sont retenues : 3 jours en août,
7 en septembre, et 10 en octobre. L'Administration « promet » la
levée des sanctions, mais le 17 septembre décide d'infliger un blâme
aux 35.000 agents qui n'avaient pas répondu aux réquisitions.
L'ordre de reprise était donné le 21 août à 2 heures par F.O.
et la C.F.T.C.; la F.N.S.A. en était informée à 2 h. 45 conime
promis. A la lecture des journaux on s'aperçoit qu'il y a surtout
eu des promesses : « Dans les P.T.T., on ignore toujours quels seront
le montant et les modalités de versement de la prime de produc-
tivité. » « Le ministre des P.T.T. a de nouveau reçu ce matin des
délégations des syndicats de postiers F.O. et C.F.T.C. Aucun accord
n'est encore signé. Les négociations se poursuivent » (« Le Monde »,
23-24 août). De toute façon, pas plus Mouguès, Stoesel, Leprix,
Gatineau, Grimaldi que Durand, Garnesson, Fleury ne viendront
commenter leur victoire devant les 20.000 postiers rassemblés le
21 août à 10 heures à la Bourse du Travail. Mais dans la région
parisienne où personne n'est dupe, le travail ne reprendra pas. Mal
informée, la province ne suivra pas ; la presse, la radio affirment
que les revendications sont satisfaites et que seule la C.G.T. poursuit
la grève. Beaucoup de militants ne veulent pas croire à la trahison.
Le Comité régional parisien se reconstitua avec des minoritaires
F.O. et C.F.T.C. : la minorité chrétienne se déclara représentative de
la C.F.T.C., un conseil fédéral régulier ne s'étant pas réuni pour
autoriser Durand à signer au nom de la C.F.T.C. les accords avec le
gouvernement. Le dimanche 23 août, 650 délégués des comités de
grève parisiens font le point : Paris tient bon mais la plupart des
grands centres de province ont repris le travail (Bordeaux, Lille,
Lyon, Toulouse). Néanmoins le cap du lundi est franchi, on espère
une convocation de l'Assemblée Nationale. Cette illusion une fois
perdue, les responsables du Comité de grève, la F.P. et la F.N.S.A.,
réunies le 25 août à 14 heures, décident la reprise ; celle-ci est
annoncée et diffusée au meeting monstre de 17 heures.
En d'autres circonstances la C.G.T. aurait pu continuer jusqu'au
bout malgré le reflux inévitable de la base. Si cette fois elle a agi
prudemment, c'est à la fois par suite de la nouvelle politique stali-
nienne, et parce qu'elle pouvait déjà largement capitaliser la trahison
ouverte des réformistes et des chrétiens,
27
Pour en terminer avec le comportement des directions syndicales
il faut dire que le comportement de la jeune Fédération Autonome
s'est nettement différencié de celui des centrales bureaucratiques.
Ses syndicats qui s'étaient constitués sur la base du corporatisme
avaient tendance à se situer sur le terrain de l'amicalisme ; mais
déjà, avec le mouvement pour la prime, la F.N.S.A. s'était efforcée
de s'intégrer dans des luttes plus générales. Au cours des grèves
d'août elle a réussi à définir dans l'action une orientation relative-
ment correcte. Elle a dû réagir à l'intérieur de ses rangs contre les
anciennes tendances l'isolement. Complètement transformée, la
F.N.S.A. est sortie considérablement renforcée de l'épreuve des
grandes grèves ; ayant reçu l'apport de jeunes militants elle doit
faire face actuellement à une crise de croissance, son appareil n'étant
plus en rapport avec sa force. D'ailleurs, la F.P.-C.G.T., avec qui
elle pratique seule l'unité d'action, ne s'y est pas trompée. A travers
des attaques personnelles contre Lafièvre, secrétaire du syndicat
autonome des employés, elle se livre à une entreprise de dénigrement
de la F.N.S.A. dans le bulletin cégétiste de Paris-Chèques : « Le
Congrès radical, avec son ministre matraqueur de l'Intérieur, Mar-
tinaud-Déplat, vient de reprendre l'argument pour demander l'uni-
fication syndicale en dehors de toute politique. Sans doute s'agit-il
pour lui de l'unification syndicale au sein de la centrale soi-disant
apolitique, mais qu'en fait il soutient, la Fédération Nationale des
Syndicats Autonomes qui ne cesse de clamer qu'elle ne fait pas de
politique. Il voudrait un seul syndicat, mais policier et entièrement
au service du gouvernement. »
Heureusement, un bilan ne se définit pas seulement par ce qui
a été obtenu mais aussi par les perspectives d'avenir ouvertes vers
de nouvelles luttes. Et là les postiers ont tiré une expérience positive
:
la revalorisation réelle des salaires ne peut être obtenue que par
une grève générale illimitée de la fonction publique, dirigée par un
comité national de grève. La spontanéité du mouvement, un certain
débordement des organisations syndicales, l'attitude de celles-ci face
à la volonté de la base de voir les fédérations prendre la direction
de la grève (ce dernier aspect se retrouve dans la vie des comités de
base durant le mois d'août), ont permis aux postiers d'accéder à un
niveau de conscience plus élevé.
Au centre de tri de Paris P.L.M. (1.400 agents) un comité par
service avait été élu, à raison d'un délégué par 10 agents et sans
tenir compte des appartenances syndicales : on vote pour le meilleur
collègue, celui qui est le plus apte à vous défendre. L'ensemble des
29 comités de service forme le comité de grève du P.L.M. Comme
chacun sait les « meilleurs» sont les cégétistes et parmi eux les com-
munistes. Le comité est donc déséquilibré en faveur de la C.G.T. Les
membres du bureau sont élus sur propositions venant du comité mais
on respecte la parité intersyndicale (2 C.G.T., 2 F.O., 2 F.N.S.A.) ;
on y adjoint plusieurs inorganisés ; les assemblées du personnel ont
lieu matin, midi et soir et sont faites par les responsables syndicaux,
à tour de rôle : les décisions sont prises par le bureau à l'unanimité,
puis ratifiées par le comité. Ses activités ont été nombreuses et
diverses. Il a d'abord assuré la sécurité des cadres requis qui ont
rejoint finalement les grévistes lorsque C.R.S. et chômeurs péné-
trèrent dans les locaux. Il a eu la charge des piquets de grève et de
la caisse de solidarité ; l'organisation de quêtes parmi la population
a rapporté 300.000 francs. Ayant obtenu de prendre en mains l'org&-
nisation et le fonctionnement de la cantine, il a émis des bons
28
de repas gratuits pour certains agents. Une liaison malheureusement
trop faible avec les cheminots de la gare de Lyon a été également
entretenue par lui. Lorsqu'un camion de soldats fera son apparition,
des cigarettes et du vin leur seront distribués spontanément.
Dans l'ensemble, le bureau ne règle que des questions pratiques
sauf après le 21 août où commence la discussion sur la trahison de
la F.O. et de la C.F.T.C. Aucun syndicat n'y détient la majorité à lui
seul, Le jour de la reprise les militants cégétistes suscitent la consti-
tution d'un syndicat unique à la faveur du courant unitaire de la base.
Le processus est simple : assemblée du personnel, laius de circons-
tance, quelques candidatures préalablement choisies sont mises aux
voix. Le moment de surprise passé, le personnel s'aperçoit qu'il a
plébiscité des militants cégétistes ! D'où réticences, opposition deg
autres sections syndicales, autrement dit la division qui renait. Le
bureau et le comité de grève sont transformés en bureau provisoire
de la section syndicale unique. L'Assemblée générale tranche toutes
les questions litigieuses et se trouve seule habilitée à décider de
l'orientation. Un appel classique au contrôle de la base et l'affaire
est dans le sac. « Quelle meilleure garantie de démocratie que celle
de ces élus en contact permanent avec l'ensemble du personnel dont
ils expriment les exigences tout en contrôlant de façon permanente
l'activité de la section syndicale dans son ensemble... ; il semble bien
que toutes les garanties seront apportées aux camarades les plus
soucieux de démocratie » (tract distribué par la C.G.T, à Paris-P.L.M.).
Le syndicat unique du P.L.M. fut sans lendemain.
Une chose reste certaine : les postiers sont rentrés dans leurs
bureaux avec une combativité nullement diminuée, sûrs qu'ils n'ont
pas été battus, mais qu'ils ont été vendus. Une semaine après la
reprise, l'Administration des P.T.T, a' tenté d'aggraver les conditions
de travail des employées de Paris-Chèques ; ces dernières ont répondu
par un débrayage spontané. Au cours de la semaine du 13 au 19
septembre, une partie du personnel a été invitée à signer indivi-
duellement une circulaire qui visait pratiquement à leur retirer le
droit de grève. En même temps un blâme était infligé aux 35.000 cadres
qui n'avaient pas répondu à l'ordre de réquisition. Ces deux mesures
furent rapportées par suite des arrêts de travail à Paris et en
province qui leur avaient immédiatement répondu.
Le 6 octobre, à l'issue d'une journée revendicative pour le rem-
boursement des journées de grève, deux responsables syndicaux furent
menacés de suspension au bureau-gare P.L.M. Une grève locale est
déclenchée et les sanctions levées le lendemain. Le 8, les chargeurs
refusèrent d'accomplir des heures supplémentaires indispensables à
l'acheminement normal du courrier : 50.000 sacs s'amoncellent dans
la cour. Face à cette situation la Direction accorde des compensa-
tions pécuniaires. Mais lorsque les trois responsables syndicaux vont
soumettre ces propositions qui leur semblaient honorables aux
chargeurs, ceux-ci non seulement refusèrent mais protestèrent en
criant même à la trahison !
Une initiative intéressante également, est le regroupement des
militants autour du journal « La Tribune libre des P.T.T. » ; elle
rencontra un écho si favorable dans la corporation que les fédérations
ont dû la reconnaitre officiellement ; en effet une délégation de ce
« Comité de liaison » a été reçue par la F.P.-C.G.T., la C.F.T.C., la
F.N.S.A. Des militants F.O., cégétistes, la majorité des autonomes, la
minorité C.F.T.C. (en réalité majoritaire depuis le Congrès de Lyon,
septembre 1953) participent à la vie de ce bulletin de confrontation.
29
Ainsi, la grève d'août en apportant un riche enseignement à la
classe ouvrière, n'a pas brisé la volonté de lutte des postiers qui ont
soutenu 22 jours de combat et essuyé la trahison des fédérations
F.O., C.F.T.C. Le mécontentement subsiste dans les bureaux, le
désir de remettre ça et plus fort se manifeste. Ce mécontentement
grandit et pourrait s'exprimer par de nouvelles actions au moment
où la fin de l'année pose à nouveau le problème de la prime (1).
Daniel FABER.
LA GREVE DES CHEMINOTS
La journée de protestation organisée par la C.G.T. le 4 août s'était
passée sans incident notable. Quelques courts débrayages et le dépôt
de cahiers de revendications en furent les seules manifestations dans
les chemins de fer. Mais, au soir de cette journée, les postiers de
Bordeaux décideront la grève illimitée et le lendemain, la grève des
P.T.T. s'étendait à tout le territoire. L'atmosphère changea rapide-
ment, et les cheminots qui semblaient le 4 août abattus devant les
menaces du gouvernement commencent à entrevoir la possibilité de
lutter. Le 6 août, la Fédération F.O. des cheminots (ainsi que les
autres fédérations du Cartel F.0. des Services publics) lance un ordre
de grève de 24 heures pour s'opposer aux projets gouvernementaux.
Les Fédérations C.G.T., C.F.T.C., C.G.C. et Cadres Autonomes de
cheminots lancent à leur tour des ordres de grève de 24 heures. Le
7 à 0 heure, la S.N.C.F. est complètement paralysée. Les cheminots
se retrouvent tous ensemble dans la lutte et l'enthousiasme est grand.
Tout semble facile : les postiers sont en grève depuis le 5 sans
défaillance, toutes les fédérations ont accepté la même position de
lutte contre les décrets-lois, la grève s'étend ou menace dans les
autres branches des Services publics. Le mouvement est si bien parti
que les fédérations C.F.T.C., F.O., C.G.C. et Cadres Autonomes qui
n'avaient pas su se concerter pour lancer un mot d'ordre de grève
commun doivent se réunir dans la matinée du 7 pour confirmer que le
travail reprendra à 24 heures. Mais la reprise s'effectue mal ; dans
les gares et les dépôts, les cheminots qui reprennent le travail,
semblent pleins d'arrière-pensées. La grève se poursuit d'ailleurs
dans certains centres : Roanne, Lyon, Saint-Etienne. Le gouvernement
publie le décret relatif à l'âge de la retraite le 9 août, et la grève
s'étend rapidement, soutenue par la présence des dirigeants de la
Fédération C.G.T. dans les centres de province. Les cheminots répètent
complaisamment qu'ils mènent une lutte purement corporative, mais
ils n'y croient pas et reconnaissent volontiers que la grève est apo.
litique seulement dans le sens qu'elle ne peut pas être imnutée au
Parti communiste par les journaux réactionnaires. Des dirigeants
locaux de la C.F.T.C. ou de F.O. (délégués, secrétaires de section,
etc.),
obligés par leurs adhérents de prendre leurs responsabilités, se servent
de cette soi-disant neutralité du mouvement pour excuser leur pré-
sence dans les comités de grève au côté des staliniens. Ceux-ci sont
très prudents, et n'avancent, qu'avec circonspection leurs mots
d'ordre de lutte contre Laniel et de convocation du Parlement. Au
début, les di ants réformistes, mettent un certain temps à com-
(1) Cet article était déjà composé lorsqu'éclata la grève des bureaux-
gares de Paris ; nous en parlerons dans notre prochain numéro.
30
prendre l'ampleur du mouvement engagé. Ils s'empêtrent le 9 et le 10,
dans des discussions et réunions avec leurs « amis politiques » de la
S.F.I.O., ou du M.R.P. et entre eux (F.O., C.F.T.C., Cadres), Pendant
ce temps, la grève s'est étendue dans l'unité et en bousculant parfois
quelques bureaucrates subalternes de F.O. ou de la C.F.T.C. qui hési-
taient à prendre position sans ordre de leur fédération. Le mouve-
ment est tel que la C.G.T. peut lancer le 10, l'ordre fédéral de grève
illimitée des cheminots. Les coups de téléphone se succèdent à F.0. ;
les responsables locaux ne peuvent plus reculer dans leurs services,
ils veulent être couverts par un ordre de grève fédéral. Cet ordre