pour substituer à la grève des palabres avec le patronat ou
l'Etat ; il voit les staliniens tantôt interdire rigoureusement les
grèves (comme de 1945 à 1947) et essayer de les réduire même
par la violence (2) ou les faire insidieusement avorter (3) ;
tantôt vouloir imposer à la cravache la grève aux ouvriers qui
n'en veulent pas parce qu'ils la perçoivent comme étrangère à
leurs intérêts (comme en 1951-1952, avec les grèves « anti-amé-
ricaines »). Hors de l'usine, il voit lui aussi les socialistes et
les communistes participer au gouvernement capitaliste, sans
qu'il s'ensuive une modification quelconque dans sa condition :
et il les voit s'associer, aussi bien en 1936 qu'en 1945, lorsque
sa classe veut agir et le régime est aux abois, pour arrêter le
mo!ivement et sauver ce régime, en proclamant qu'il faut
« savoir terminer une grève », qu'il faut « produire d'abord et
revendiquer ensuite ».
Aussi bien le marxiste que l'ouvrier conscient, constatant cette
opposition radicale entre l'attitude des organisations tradition-
nelles et une politique marxiste révolutionnaire exprimant les
intérêts immédiats et historiques du proletariat, pourront alors
penser que ces organisations « se trompent » ou qu'elles « trahis-
sent ». Mais, dans la mesure où ils réfléchissent, où ils appren-
nent, où ils constatent que réformistes et staliniens se comportent
de la même manière jour après jour, qu'ils se sont comportés
ainsi toujours et partout, autrefois, maintenant, ici et ailleurs,
ils voient que parler de « trahison » et d'« erreurs » n'a pas
de sens. Il ne pourrait s'agir d'« erreurs » que si ces partis
poursuivaient les buts de la révolution prolétarienne avec des
moyens inadéquats ; mais ces moyens, 'appliqués d'une façon
cohérente et systématique depuis plusieurs dizaines d'années,
montrent simplement que les buts de ces organisations ne sont
(2) La grève d'avril 1947 chez Renault, la première grande explo
sion ouvrière d'après-guerre en France, n'a pu avoir lieu qu'après une
lutte physique des ouvriers avec les responsables staliniens.
(3) Voir dans le n° 13 de Socialisme ou Barbarie (pp. 34 à 46), la
description détaillée de la manière dont les staliniens, en août 1953,
chez Renault, ont pu « couler » la grève, sans s'y opposer ouver-
tement.
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pas les nôtres, qu'elles expriment des intérêts autres que ceux
du proletariat. Dire, du moment où l'on a compris cela, qu'elles
« trahissent » n'a pas de sens. Si un commerçant, pour me vendre
sa camelote, me raconte des histoires et essaie de me persuader
que mon intérêt est de l'acheter, je peux dire qu'il me trompe,
non pas qu'il me trahit. De même, le parti socialiste ou stalinien,
en essayant de persuader le proletariat qu'ils représentent ses
intérêts, le trompent, mais ne le trahissent pas : ils l'ont trahi
une fois pour toutes, il y a longtemps, et depuis, ce ne sont
pas des traîtres à la classe ouvrière, mais des serviteurs consé-
quents et fidèles d'autres intérêts, qu'il s'agit de déterminer.
D'ailleurs, cette politique n'apparaît pas simplement cons-
tante dans ses moyens et dans ses résultats. Elle est incarnée
dans la couche dirigeante de ces organisations ou syndicats ; le
militant s'aperçoit rapidement et à ses dépens que cette couche
est inamovible, qu'elle survit à tous les échecs et qu'elle se per-