les employés. Les cadres le respectent comme détenteur d'un
pouvoir de même nature que le leur; les employés ne veulent
pas se mettre mal avec lui parce qu'ils savent « qu'il a le bras
long ». Le Président blague ouvertement en public sur « ce
personnage qu'on paie à ne rien faire », mais en aparté déclare
« il est bien utile ». Ce délégué définit d'ailleurs sa fonction
comme d'essence supérieure : jamais un compte rendu écrit
ou oral au personnel, jamais de réunion du personnel, Aux
réunions avec la Direction où l'on marchande les intérêts du
personnel qui commence à « remuer », il lui est arrivé plu-
sieurs fois de déclarer « tout ce qui se dit ici devra rester
secret » et il pratique d'ailleurs obstinément quant à lui le
secret comme un attribut de sa fonction. Son action, il la
résume dans cette formule : « Nous faisons du social et du
familial ». Sa politique est celle du cas personnel, jamais
celle de l'action collective.
Seule la C.G.T., numériquement plus puissante que la
C.F.T.C. en 1946 dans l'entreprise, aurait pu faire pièce à
cette influence grâce à l'appui que la Direction nouvelle pou-
vait lui apporter dans le cadre de la nationalisation. Mais
les militants les plus marquants se contentèrent d'occuper
les places de cadres qu'on leur offrait, alors que le « délégué »
C.F.T.C. continuait à jouer avec beaucoup d'habileté et
d'expérience son rôle traditionnel, fort d'ailleurs de cette
espèce d'indépendance de façade opposée à la « compromis-
sion » des ex-militants C.G.T. (1)
(1) Il semble d'ailleurs que les syndicats se partagent les entreprises
en zones d'influences (postes aux Conseils d'Administration des
entreprises
nationales, délégués, Conseil National des Assurances, services sociaux
intercompagnies); ils peuvent ainsi se rendre des services en cas de dan-
ger les menaçant tous. Cette attitude n'est d'ailleurs pas exclusive
d'une
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La scission de 1947 devait amener une section F.O.
forte de la quasi-totalité des adhérents de la C.G.T. et de
l'appui de la Direction, tandis que la section C.G.T. se trou-
vait réduite à des effectifs squelettiques (quelques employés
restés par « fidélité » autour des quelques membres du P.C.
de l'entreprise), et ne pouvait plus recueillir qu'une trentaine
de voix aux élections suivantes.
L'évolution déjà décrite des membres de la Direction de
1947 à maintenant, et le rôle dévolu à la section F.O., le
caractère anti-stalinien du nouveau syndicat, faisaient que
rien ne distinguait celui-ci de la C.F.T.C., sauf des ques-
tions de personnes. De fait, les délégués F.O. ex-C.G.T.,
collèrent très étroitement à la C.F.T.C., les réunions de sec-
tion furent souvent communes et les deux permanents se
partagèrent le « travail syndical ».
L'appartenance à l'un ou l'autre de ces deux syndicats
dépend alors de considérations politiques ou religieuses; si
l'on donne son adhésion à tel ou tel c'est parce qu'on espère
être épaulé pour grimper dans la hiérarchie, ou bien béné-
ficier de quelques avantages (logements, prêts, secours) ou