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SOCIALISME OU BARBARIE
Paraît tous les trois mois
42, rue René-Boulanger, Paris-X
C. C. P.: Paris 11987-19
Comité de Rédaction :
P. CHAULIEU
R. MAILLE
CI. MONTAL
D. MOTHE
Gérant : J. GAUTRAT
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464 pages; III, Nºs 13-18, 472 pages); 500 fr. le vol.
L'insurrection hongroise (déc. 56), brochure .. 100 frs
Comment lutter? (déc. 57), brochure ...
50 frs
Etant donné l'augmentation du coût de fabrication ei
le nombre élevé de pages, ce numéro 23 est vendu excep-
tionnellement 300 francs.
SOCIALISME
OU BARBARIE
Comment lutter ?
TROIS MOIS D'ÉCHECS.
Depuis la rentrée, de nombreux mouvements de grève
se sont succédés. Les travailleurs étaient revenus de vacances
préparés à lutter contre la baisse de leur pouvoir d'achat,
qui s'accompagne d'une augmentation du rendement, des
cadences et de la fatigue. A plusieurs reprises, tantôt sponta-
nément, tantôt sur ordre des syndicats, ouvriers, employés et
fonctionnaires ont cessé le travail. Dans certains secteurs, ils
ont manifesté une combativité extraordinaire: A Nantes, les
grèves tournantes ont duré plusieurs semaines. A Saint-Na-
zaire, de violentes bagarres avec les C.R.S. ont eu lieu. Les
grèves de 24 heures de l’Electricité et du Gaz le 16 octobre,
de la S.N.C.F. le 25 octobre, de la fonction publique le 17
novembre ont été suivies avec une unanimité rarement atteinte
dans le passé.
Cependant, il faut bien constater que tous ces mouve-
ments n'ont abouti à rien ou presque. Au contraire, la situa-
tion ne fait qu'empirer. Non seulement les quelques aug-
mentations obtenues çà et là sont restées largement inférieu-
res à ia hausse des prix survenue jusqu'alors, mais cette
hausse a continué et, début décembre, le gouvernement Gail-
lord se permettait de décréter des augmentations importantes
des prix frappant une série d'articles essentiels.
Quelles sont les raisons de cet échec?
Les mouvements de grève de ces trois derniers mois,
sporadiques, limités, non coordonnés, n'ont pas été de véri-
tables luttes. Les travailleurs ne se sont pas mis en grève
jusqu'à satisfaction complète des revendications, en mettant
cuvre tous les moyens nécessaires pour faire aboutir
l'action. Limitées dans la plupart des cas à quelques heures
ou à un jour, les grèves sont restées de simples manifestations
de mécontentement ou tout au plus des « moyens de pres-
sion ». Les directions syndicales, qui en ont gardé presque
toujours le contrôle, ne sont, de toute évidence, disposées
en
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ni à les mener sérieusement comme de véritables luttes, ni
à les étendre, à les coordonner et à les généraliser. Un jour,
débrayage de la métallurgie et du bâtiment, un autre jour,
débrayage de l’Electricité et du Gaz, puis de la S.N.C.F.,
puis à nouveau de la métallurgie, puis de la fonction publi-
que. Chaque fois tout reste à recommencer. Seul résultat tan-
gible: l'irritation et le découragement des travailleurs.
DANS LA SITUATION ACTUELLE, DES « MANIFESTATIONS » ET DES
( PRESSIONS » NE MÈNENT A RIEN.
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Est-ce que les Confédérations syndicales pensent que les
simples « pressions » peuvent aboutir à la satisfaction des
revendications des travailleurs? Est-ce que le patronat et
son Gouvernement pourraient céder à des simples manifes-
tati ms de mécontentement?
Personne ne peut le croire, car personne n'ignore la cause
de l'attaque actuelle contre le niveau de vie des travailleurs.
La bourgeoisie française ne peut mener la guerre d'Algérie
qu'en réduisant le pouvoir d'achat des salariés. Rien que
les dépenses occasionnées directement par cette guerre
et qui sont loin d'en représenter le coût total se chif-
fraient, vers le milieu de 1957, à 700-800 milliards par un,
et elles vont en augmentant. Début octobre, en pleine crise
ministérielle, la Défense nationale demandait encore une cen-
taine de milliards de crédits supplémentaires. Ces sommes
représentent environ 15 % de la masse des salaires en
France 15 % que le patronat veut prélever sur les salai-
res, par l'augmentation des prix sans contrepartie. Car il
n'est pas question, bien entendu, de réduire les profits, qui
augmentent de plusieurs centaines de milliards par an. Et
chaque semaine qui passe la situation s'aggrave. D'un côté,
les dépenses de la guerre augmentent. D'un autre côté, le
palliatif provisoir utilisé par le Gouvernement depuis 1956,
et consistant à manger les réserves d'or et de dollars de
la Banque de France, ne peut plus marcher. Ces réserves
sont maintenant presque à sec et le Gouvernement a été
obligé de contingenter les importations et de dévaluer le
franc. Moins de marchandises venant de l'étranger, achetées
à un taux de change plus élevé, autre cause de hausse des
prix qui se fait déjà sentir.
Les travailleurs doivent-ils subir passivement cette spo-
liation en attendant que la bourgeoisie termine sa guerre
d'Algérie? Mais quand cette guerre sera-t-elle terminée? Et
comment?
La guerre d'Algérie n'a pas d'issue militaire. Elle dure
depuis trois ans, mais la « pacification » que Lacoste pro-
mettait pour le prochain quart d'heure se fait toujours at-
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2
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tendre. S'il paraît impossible que les nationalistes algériens
l'emportent militairement, il est tout autant hors de question
qu'o.l parvienne à mater la révolte d'un peuple de dix mil.
lions, à moins de l'exterminer.
La bourgeoisie française est tout aussi incapable de trou-
ver une solution pacifique au conflit. Si elle abandonne l’AL.
gérie, elle craint de perdre toute l'Afrique. Réaliser un com-
promis? Elle a fait disparaître elle-même tous les Algériens
partisans d'un compromis. Elle craint qu'il ouvrirait la voie
à l'indépendance totale de l’Algérie. Enfin et surtout, les
capitalistes et les colons d'Alger, étroitement liés au capital
métropolitain, appuyés par de larges fractions de la popula-
tion européenne de là-bas, refusent absolument toute conces.
sion. Disposant de fortunes énormes, ils achètent autant qu'il
est nécessaire des députés et imposent leur politique à l'en.
semble de la bourgeoisie française.
Celle-ci est d'ailleurs devenue absolument incapable de
gérer ses propres affaires. Son Parlement, depuis longtemps
enfoncé dans l'irresponsabilité totale, a achevé depuis six
mois de se ridiculiser aux yeux du monde entier. Qu'est-ce
que ces partis qui mettent leur programme dans leur poche
dès qu'ils sont au pouvoir, qui passent tout leur temps dans
les maneuvres et les combines, qui sont entièrement inca.
pables de dire au pays quoi que ce soit sur la manière de
sortir de la crise actuelle? Qu'est-ce que ces gouvernements
dont on ne sait plus le nombre, qui n'ont jamais de majo-
rité dans le Parlement, encore moins dans le pays, qui sont
prêts à tout pour gagner dix voix par-ci, quinze voix par-là?
Ce régime est pourri jusqu'à l'os, il ne continue sa course
que par la force d'inertie.
Depuis trois ans que dure cette guerre, les travailleurs
n'ont guère entravé la politique des gouvernements. La bour-
geoisie a eu les moins libres. Qu'a-t-elle fait pour résoudre
ses problèmes? Rien. Elle n'a fait que les aggraver, plon-
geant l'ensemble du pays dans une situation chaque jour plus
intolérable.
LES DIRECTIONS SYNDICALES REFUSENT UNE LUTTE COORDONNÉE
ET SÉRIEUSE.
Que font les directions syndicales face à cette situation?
En réalité, elles essayent de ne rien faire du tout.
Les problèmes pourtant sont clairs. Le pouvoir d'achat
des travailleurs baisse de mois en mois. Il faut exiger et
obtenir sa revalorisation intégrale. La hausse des prix est
la même pour tout le monde. Il faut donc demander une
augmentation uniforme pour tous. La revalorisation qu'il faut
obtenir est importante. Donc on ne voit pas comment une
seule entreprise ou une seule corporation pourraient l'accor.
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der, si les autres la refusent. C'est l'ensemble du patronat et
le Gouvernement qu'il s'agit de faire céder. Ceux-ci s'y oppo.
seront avec acharnement, car pour eux la question est vitale.
Ce n'est donc qu'une lutte générale et sérieuse, entraînant le
plus grand nombre d'entreprises et de secteurs, et poursuivie
jusqu'au bout avec obstination qui seule pourra faire reculer
le patronat.
Au lieu de cela, que demandent les directions syndi-
cales?
Elles demandent des augmentations, mais elles deman-
dent un chiffre à Nantes, un autre à Paris, un chiffre pour
le bâtiment, un autre pour la métallurgie et ainsi le
suite. Elles donnent l'ordre de grève chez Renault le 27 sep-
tembre, mais pas dans les autres usines automobiles; à lu
métallurgie et au bâtiment, pour le 3 octobre, mais non pas
aux autres secteurs. Elles font faire la grève de l'électricité et
du gaz le 16 octobre, sans se soucier de ce qui se passe, ail-
leurs et pour des revendications qui laissent de côté le pro-
llème de la revalorisation des salaires face à la hausse des
prix. Elles font de même pour la S.N.C.F. et la métallurgie
le 25 octobre, pour la fonction publique le 17 novembre.
Pourtant, s'il y a des Confédérations syndicales et non
seulement des syndicats par profession, c'est parce que les
travailleurs ont des intérêts communs, indépendants de leur
appartenance à telle ou telle corporation. En quelle autre
circonstance mieux qu'aujourd'hui pourrait-on dégager ces
intérêts communs, et la revendication commune qui en ré-
sulte? En quelle autre circonstances pourrait-on discerner plus
clairement la nécessité d'une lutte généralisée et coordonnée
contre une attaque que toutes les catégories de travailleurs
subissent au même degré?
L'attitude des directions syndicales chez Renault est
absolument caractéristique.
Devant l'effervescence grandissante des ouvriers, F.0. a
lancé pour le vendredi 27 septembre un ordre de grève Je
5 heures à des heures différentes pour les différentes équi-
pes: C.G.T. et C.F.T.C. de peur de se laisser distancer,
publient alors un tract critiquant la consigne de F.O., entre
autres parce qu'elle faisait faire la grève séparément aux
différentes équipes, et donnent, quant à elles, pour ce même
vendredi 27 septembre, un ordre de grève de 2 heures... par
équipes.
Un peu partout dans l'usine, les ouvriers critiquaient en
colère ces consignes, en disant qu'il était exclu d'obtenir quoi
que ce soit par des « démonstrations » de ce type. En effet,
tout ce qu'on a obtenu a été une lettre insolente du Prési-
dent-Directeur Général de la Régie, Dreyfus, dans laquelle
il affirmait ne pas pouvoir donner un sou de plus et rappelait
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aux syndicats qu'ils s'étaient engagés, en vignant le fameux
a contrat Renault », à ne pas troubler la production.
La semaine suivante, les discussions allaient bon train
dans les ateliers. Tous étaient profondément irrités de l'atti-
tude des directions syndicales. La plupart exprimaient leur
conviction que sans une bagarre sérieuse on n'obtiendrait
rien. Dans un atelier, les ouvriers réunis pendant le débrayage
avaient voté une résolution affirmant que c'était la dernière
fois qu'ils participaient à des mouvements limités et ineffi-
caces de ce genre et qu'ils étaient prêts à s'engager à fond
dans la seule lutte efficace : grève illimitée avec occupation
des locaux. Mais les syndicats lancent à nouveau pour le
jeudi 3 octobre un mot d'ordre de grève... de 4 heures
cette fois pour toute la métallurgie. Puis rien. Puis à nouveau
pour le 25 octobre, une grève de 24 heures cette fois-ci.
Comme il fallait s'y attendre, cette grève n'a été que
très partiellement suivie. D'un côté, les ouvriers sentaient que
ce n'était là qu'une manifestation de mécontentement de plus,
qui ne gênait pas sérieusement la Direction et ne la ferait
certainement pas céder. D'un autre côté, aucune préparation
sérieuse de la grève n'avait été faite, aucune discussion dans
les ateliers ne l'avait précédée, ni sur les objectifs, ni sur
les moyens d'action. On avait simplement donné un ordre
bureaucratique aux ouvriers : débrayez 24 heures. Rien d'éton-
nant si les ouvriers n'ont pas suivi.
Encore plus caractéristique est l'expérience faite cet au-
tomne par les ouvriers de Nantes et de Saint-Nazaire.
A la rentrée des vacances, les ouvriers des chantiers na-
vals et des usines métallurgiques de la Loire-Atlantique,
étaient prêts à entrer en lutte. Ils y étaient autant décidés
que lors de leur magnifique mouvement de l'été 1955. Plu-
sieurs n'étaient presque pas partis en vacances, pour pouvoir
tenir financièrement lors des luttes qu'ils prévoyaient pour
la rentrée. Mais les directions syndicales, en parfaite unité
entre elles, recommandaient le calme et l'attente. Finale-
ment, pour faire patienter les ouvriers, elles ont lancé l'ordre
de « grèves tournantes » par ateliers. Pendant plus d'un mois,
cette consigne a été appliquée. Elle n'a en général pas gêné
les entreprises : la Direction et la maîtrise, sachant le moment
et l'endroit où allait avoir lieu l'arrêt de travail, arrangeaient
la production de telle façon que les pertes étaient minimes.
Les seuls cas où ces arrêts de travail ont pu avoir une effi.
cacité, ont été les cas où les ouvriers les ont déclenchés eux-
mêmes, en extorquant au syndicat un ordre de grève en blanc,
et en choisissant eux-mêmes le moment et l'endroit. Mais ces
cas restaient forcément limités et en tout cas, finalement,
ce sont les patrons qui ont commencé à lock-outer les ou-
vriers. Ainsi les syndicats, qui interdisaient la véritable grève
et préconisaient les grèves tournantes sous prétexte que
celles-ci sont « plus économiques », ont placé les ouvriers
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devant le lock-out patronal et les ont finalement obligés à
reprendre purement ei simplement le travail. Pendant ce
temps-là, les directions syndicales à Paris bavardaient sur
la magnifique unité réalisée à Nantes et sur l'efficacité des
grèves tournantes qui permettaient aux ouvriers de faire
l'économie d'une vraie grève!
Les ouvriers de Nantes étaient pourtant dès le départ
convaincus de l'inefficacité des grèves tournantes; mais que
pouvaient-ils faire? Ils comprenaient que se lancer dans une
grève de la métallurgie limitée à Nantes et à Saint-Nazaire
n'aboutirait à rien; cette grève ne pourrait pas vaincre si
elle restait isolée, et le gouvernement avait amassé des mil-
liers de C.R.S. dans les deux villes. La seule issue était la
généralisation du mouvement dans toute la métallurgie du
pays. A plusieurs reprises, des ouvriers, des minoritaires
syndicaux, se sont exprimés publiquement lors des meetings
pour la généralisation; même des responsables syndicaux lo-
caux ont lancé au cours de ces meetings des appels à tous les
métallos de France et en particulier aux métallos parisiens.
Mais, les organisations syndicales n'ont jamais diffusé ces
appels désespérés.
!
Quel est le résultat de ces mouvements? Font-ils céder
le patronat? Les faits répondent eux-mêmes. Mais ce qu'ils
peuvent amener, c'est la lassitude et l'usure des travailleurs.
En fait, c'est ce que cherchent les directions syndicales. Pen-
dant quelque temps, la base ne les importunera plus, en
demandant que l'on agisse. Et en effet, depuis la fin des grè-
ves tournantes, le dégoût s'est emparé des métallos nantais.
comme, depuis le 25 octobre, des ouvriers de chez Renault.
On constate un phénomène analogue dans la plupart des
autres corporations. Les directions syndicales peuvent ainsi
dire maintenant : que voulez-vous qu'on fasse, les ouvriers
sont apathiques. Elles se trompent pourtant. Pendant que les
ouvriers paraissent apathiques, ils ne font que tirer silen-
cieusement des conclusions sur la politique des directions syn-
dicales et réfléchir sur les moyens d'action efficaces.
-
QUE SIGNIFIE L’ATTITUDE DES DIRECTIONS SYNDICALES ?
L'expérience des trois derniers mois, comme celle des
années précédentes, montre que les directions syndicales me-
Rent les travailleurs en bateau, qu'elles essayent par tous les
moyens de canaliser le mécontentement dans des escarmouches
sons importance. Cela ne veut pas dire qu'elles s'opposent
Aécessairement et toujours à l'action: elles sont même capa-
bles parfois de prendre les devants, et de lancer une grève,
si elles sentent que la pression est trop forte et qu'il risque
d'y avoir une explosion; dans ces cas-là, et c'est ce qui s'est
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passé avec l’Electricité et le Gaz le 16 octobre, elles pren-
dront la tête du mouvement, pour mieux le contrôler et le
limiter. Mais leur ligne générale est claire: créer l'impres-
sion qu'elles « essayent de faire quelque chose » et en
même temps user les travailleurs par la lassitude et le dé-
couragement "résultant de ces formes d'action absolument
inefficaces. En un mot, elles veulent éviter à tout prix que
des luttes importantes aient lieu.
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Il y a plusieurs raisons à cette attitude des directions
syndicales.
D::s raisons politiques d'abord: F.O. et C.F.T.C. ont
partie liée avec des partis qui sont au gouvernement ou le
soutiennent depuis des années. Ils cherchent à leur rendre
la tâche plus facile, en évitant et en limitant les « troubles
sociaux ». La C.G.T. de son côté, subordonnée au Parti com-
muniste, lui sert d'instrument pour réaliser « l'unité d'ac-
tion » avec les socialistes, prélude à un Front populaire qui
piermettrait au P.C. de rentrer dans le Gouvernement, et
pour lequel il est prêt à toutes les infâmies - comme voter
les pouvoirs spéciaux à Mollet en 1956, permettant à Lacoste
et aux paras de massacrer à leur guise les Algériens.
Mais il y a surtout la liaison de plus en plus profonde
qui existe entre les syndicats d'un côté, l'Etat et les entre.
prises de l'autre. Les syndicats siègent avec les représen.
tants du patronat et du gouvernement au Conseil Economi-
que, dont la fonction est de conseiller le gouvernement sur les
meilleurs moyens de gérer l'économie française c'est-à-
dire les intérêts dra capital. Ils participent à « l'effort
pour le développement de la productivité » c'est-à-dire
de l'augmentation du rendement et de l'exploitation des tra-
vailleurs. Ils jouent un rôle de plus en plus important dans
toutes les questions concernant le sort du personnel et en
particulier la promotion. Dans plusieurs usines, la possibilité
de promotion dépend du, « piston » ou de l'appui syndical :
pour s'attacher des fidèles parmi les travailleurs, le syndicat
dispose des faveurs de la direction, qu'il n'obtient pas gra-
tuitement. La C.G.T. semble en général tremper moins dans
la collaboration avec les patrons, mais c'est parce que le P.C.
est dans l'opposition; entre 1945 et 1947 elle n'a pas agi
autrement que ne le font F.0. et C.F.T.C. aujourd'hui, elle
n'agirait pas différemment demain. Chez Renault, tous les
syndicats la C.G.T. y compris ont signé l'accord avec
la direction s'engageant à faire tous leurs efforts pour déve-
lopper la production, et reconnaissant que toute grève était
illégale si elle n'était pas annoncée à la direction huit jours
à l'avance.
Les syndicats ne sont plus que des « intermédiaires >>
entre les travailleurs et le patronat, dont le rôle est de calmer
les travailleurs, de les maintenir attachés à la production,
1
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dl'éviter qu'il y ait des luttes en obtenant de temps en
temps et lorsque cela ne gêne pas trop le patronat, quelques
concessions. Cela ne les empêche pas, bien entendu, de
livrer entre eux au jeu habituel de la concurrence et de la
dénonciation réciproque.
se
UNITÉ DES SYNDICATS OU UNITÉ DES TRAVAILLEURS.
Certains travailleurs pensent encore que la racine du
mal, c'est la division syndicale. Si les syndicats agissaient
ensemble ou s'unifiaient, disent-ils, la situation serait diffé-
rente. L'expérience prouve qu'il n'en est rien. En Angleterre,
en Allemagne, aux Etats-Unis il n'y a pas de division syn-
dicale. L'attitude des syndicats dans ces pays est cependant
lo même qu'en France: par le moyen de concessions mineu-
res négociées avec le patronat, calmer les travailleurs et éviter
que des luttes importantes n'aient lieu. En Russie et dans
les « Démocraties Populaires », il n'y a qu'un seul syndicat ;
sa fonction essentielle, c'est de pousser au rendement, et
nullement de défendre les travailleurs.
Mais parlons de l'unité syndicale en France. Le lende-
main de la guerre, la C.G.T. était unifiée. Cela ne l'a pas
empêchée de s'opposer violemment, jusqu'à l'été 1947, à
toute lutte des travailleurs. Son mot d'ordre, c'était « pro-
duire d'abord », pendant que l'inflation réduisait jour après
jour le pouvoir d'achat des salariés.
L’unité d'action entre les divers syndicats s'est réalisée
à plusieurs reprises récemment dans divers secteurs. Qu'est-
ce qu'elle a apporté?
En juillet dernier a eu lieu la grève des Banquez.
Magnifique mouvement, déclenché spontanément par les tra-
vailleurs d'une corporation considérée jusqu'alors comme
<< retardataire » et « peu combative ». L'énorme majorité
des employés de banque -- à l'exception des cadres ont
participé avec enthousiasme à la grève et l'ont appuyée par
de vigoureuses manifestations dans la rue. La généralisation
rapide du mouvement, la combativité des grévistes auraient
sans doute permis d'obtenir une victoire totale. Si la grève
s'était prolongée jusqu'au 31 juillet, jour de l'échéance de
fin de mois, c'était la paralysie complète de l'économie. Le
patronat allait être obligé de céder sur toute la ligne.
Les directions syndicales n'avaient pris aucune part au.
déclenchement de la grève. Elles ont réalisé en hâte leur
« unité d'action » une fois la grève commencée. Pour quoi
faire? Pour imposer arbitrairement des comités de grève,
composés de leurs propres représentants, et non de délégués
élus par les grévistes. Pour retarder systématiquement l'en-
trée en grève de la Banque de France - qui aurait permis à
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8
tous les grévistes d'obtenir satisfaction au bout de quelques
jours. Et finalement, pour donner l'ordre de reprise quatre
jours avant l'échéance décisive du 31 juillet, en négociant
avec le patronat un accord qui abandonnait l'essentiel des
revendications des grévistes et dont profitaient surtout les
cadres (qui, répétons-le, n'avaient pas fait grève) et guère
la masse des employés qui avaient lutté pendant 15 jours.
Ceux qui pensent encore que l'unité des syndicats peut
apporter quelque chose aux travailleurs, n'ont qu'à inter-
ruger les employés de banque sur leur grève de juillet
dernier.
Plus récemment, à la S.N.C.F., au Gaz et à l'Electricité,
à la Fonction publique, les grandes centrales ont réalisé leur
« unité d'action ». Dans tous ces cas, cette unité a servi
uniquement à mieux contrôler le mouvement, et à le limiter.
Toutes ces grèves n'ont rien apporté aux travailleurs de ces
Secteurs.
Il ne faut pas confondre l'unité des travailleurs avec
l'unité des appareils syndicaux. L'unité des travailleurs est
la condition indispensable de toute lutte sérieuse. Elle se
réalise d'elle-même dès que les travailleurs décident d'agir
pour leurs intérêts véritables car ces intérêts sont fondamen-
talement les mêmes. A cette unité véritable, ce sont préci-
sément les appareils syndicaux qui s'opposent. Ils s'opposent
d'abord, en introduisant chacun des mots d'ordre différents.
Ils s'opposent ensuite, en soutenant les catégories les plus
favorisées et la hiérarchie en général, que le patronat entre.
tient systématiquement afin de diviser les salariés. L'unité
des appareils syndicaux, lorsqu'elle se réalise, n'a qu'une
fonction: mieux encadrer un mouvement afin de contrôler
plus efficacement les travailleurs et les ramener plus faci-
lement au bercail.
LA DIRECTION SYNDICALE ET LA BASE.
Si les syndicats peuvent agir ainsi, c'est que depuis long-
temps ils ne sont plus dirigés par la masse de leurs adhé.
rents. La bureaucratie qui les dirige, formée de permanents
privilégiés, échappe entièrement au contrôle de la base. IL
y a certainement beaucoup de professions, de localités ou
d'entreprises où les sections syndicales ou bien les syndicats
locaux restent liés à leurs adhérents et essaient d'exprimer
leurs aspirations. Et certainement la grande majorité des
militants syndicaux de base sont des militants ouvriers sin-
cères et honnêtes. Mais ni ces militants, ni les sections qu'ils
animent ne peuvent influer sur l'attitude des Fédérations ou
des Confédérations. Plus on s'approche des sommets de l'or-
ganisation syndicale, plus on constate que celle-ci mène sa
propre vie, suit sa propre politique, indépendamment de sa
base. Les directions syndicales sont en fait inamovibles et
incontrôlables. Malgré les comédies des « cahiers de reven-
dications » et des « referendums >> organisés de temps en
temps pour donner une apparence démocratique aux actions
du syndicat, sa ligne ne tient guère compte finalement des
volontés de ses membres. Guère plus, en tout cas, qu'il n'est
strictement indispensable pour ne pas perdre complètement
son influence. Quel est le contrôle effectif que les travailleurs
d'une entreprise ont sur la désignation des délégués du per-
sonnel? Le syndicat nomme les candidats, et le personnel
n'a qu'a les plébisciter, ou à s'abstenir. Quel est le travail-
leur ayant le sentiment
que
lui et ses camarades peuvent
vraiment influer sur la ligne du syndicat?
C'est cette situation qui explique l'énorme mouvement
de désaffection vis-à-vis des syndicats qui se poursuit depuis
dix ans en France et qui se traduit par une baisse considérable
des effectifs syndicaux; les travailleurs qui y restent coti.
sent, mais n'apparaissent jamais aux réunions syndicales,
tout simplement parce qu'ils ont constaté que ce qu'on pou-
vait y dire ou même décider n'avait guère d'influence sur
la politique réelle de l'organisation. Mais même là où les
sections syndicales restent vivantes, elles ne peuvent rien
faire dès que des problèmes tant soit peu généraux se trou-
vent posés. Elles sont bien obligées la plupart du temps de
se soumettre à la ligne de la direction syndicale mais
elles ne peuvent jamais influer sur celle-ci. Si les militants
de ces sections mettent en question les consignes du syndi-
cat, ils risquent l'exclusion. Ils sont en fait privés de moyens
d'expression : dans la presse syndicale, seule est exprimée la
ligne officielle de la direction. Ces camarades se trouvent
finalement dans une situation paradoxale: ils sont dans le
syndicat parce que celui-ci devait, en théorie, leur permettre
et leur faciliter les contacts avec l'ensemble des travailleurs
de leur entreprise, de leur corporation, de leur localité. Mais
en fait ils sont tout autant isolés que n'importe quel inorga-
nisé. Ils ne peuvent entrer en contact avec le reste de leur
classe que par l'intermédiaire et sous le contrôle de la bureau.
cratie syndicale. Ils sont reliés à leur section d'entreprise,
mais dès qu'ils veulent aller plus loin ils rencontrent un
barrage infranchissable. Le premier souci de la direction syn-
dicale est d'ailleurs de cloisonner et d'isoler les unes des
autres ces sections de base, d'empêcher que les idées, les
initiatives, les expériences qui s'y font jour ne soient diffu-
sées à travers toute l'organisation. En voici un exemple, entre
mille:
Dans le Département 1l de Renault, vers le milieu de
septembre, les ouvriers de la section syndicale C.G.T. se
sont réunis et ont discuté des revendications pour lesquelles
ils voulaient lutter. Ils ont finalement abouti, presque à l'una-
nimité, à la résolution que voici :
- 10 -
« 1° pour tous, une augmentation horaire de 40 francs,
repoussant une augmentation au pourcentage,
« 2° la semaine de 45 heures, premier palier vers le
retour aux 40 heures, sans diminution de salaire ni augmen-
tation des cadences,
« 3º incorporation de toutes les primes dans le salaire
horaire, considérant que ces primes sont un salaire qui ne
doit plus être soumis à toutes sortes de restrictions,
Les travailleurs syndiqués du Département ll man-
datent leur syndicat pour examiner dans la branche automo-
bile un nouveau coefficient des O.S. se rapprochant plus près
des professionnels, tenant compte que l'O.S. travaille sur des
machines-outils perfectionnées demandant beaucoup de pré-
cision et toujours plus de pièces. Ils proposent le coeffi-
cient 3.40. »
Enfin la résolution demande la suppression de la caté-
gorie Manoeuvre gros travaux et son incorporation aux 0.S.
Est-ce que la C.G.T. a repris ces revendications? Non.
A-t-elle essayé d'amener les ouvriers des autres départements
à s'exprimer là-dessus, à les accepter, les rejeter, en formuler
d'autres? Non. A-t-elle essayé de les diffuser dans l'usine?
Non. Ce n'est que la section syndicale de ce Département 11
qui a publié la résolution dans son propre Bulletin, destiné
en principe aux ouvriers mêmes du Département, qui, bien
entendu, connaissaient la résolution, puisqu'ils l'avaient
préparée. La C.G.T. continue simplement à mettre en avant
les revendications définies par ses bureaux.
On a critiqué plus haut le fait que les syndicats mettent
en avant actuellement des revendications différentes suivant
les endroits et les professions, face à une baisse du pouvoir
d'achat qui est la même pour tout le monde. A cela, les
syndicats répondent parfois : c'est que les travailleurs met-
tent en avant les revendications différentes. Mais, lorsqu'on
leur reproche de ne pas tenir compte de l'avis des travail.
leurs quant aux revendications, ils répondent: on ne peut
tenir compte de ces avis car ils diffèrent les uns des autres,
le syndicat doit avoir une ligne cohérente et unifiée. En fait,
les deilx arguments se détruisent l'un l'autre. Il se peut effec-
tivement que les travailleurs mettent en avant, au départ,
des demandes différentes d'un endroit à l'autre, mais cette
diversité ne peut être dépassée que par une véritable dis-
cussion collective, où les différentes positions se font connai-
tre et où une opinion éclairée se forme. Au lieu de cela,
les syndicats empêchent précisément toute confrontation et
imposent leur propre ligne, qui n'est la ligne de personne.
Cette unification arbitraire et dictatoriale est évidemment
absolument incapable de créer une véritable unanimité des
travailleurs et donc aussi leur solidarité et leur cohésion
dans le combat.
-
11
.
ia C.G.T. n'aurait-elle peut-être pas le temps ou les
moyens pour remplir ce qui devrait être sa fonction princi-
pale, c'est-à-dire informer les habitants de cette ville qu'est
l'usine Renault de ce que pensent leurs camarades? Mais au
lieu d'organiser des meetings comme ceux du 27 septembre
ou, du 3 octobre où Linet, dirigeant cégétiste de Renault, est
venu apprendre aux ouvriers que leur situation est difficile
ils avaient besoin de Linet pour le savoir elle aurait
parfaitement pu utiliser l'arrêt de travail pour inviter les
ouvriers à discuter et à décider démocratiquement de leurs
revendications et de leur action. Linet n'a rien appris aux
ouvriers mais il aurait pu beaucoup apprendre d'eux. Mais
si les syndicats acceptaient de soumettre leurs consignes à
la discussion des travailleurs, où irait-on? Si par extraordi-
naire il s'avérait que les travailleurs savent ce qu'il leur faut
et comment l'obtenir à quoi serviraient désormais leurs
chefs géniaux?
LES TRAVAILLEURS PEUVENT
SE
PASSER
DES
BUREAUCRATES
SYNDICAUX.
Devant cette situation et cette attitude des syndicats,
que peuvent faire les travailleurs?
D'abord comprendre qu'ils n'ont rien à attendre de per-
sonne d'autre qu'eux-mêmes. Le patronat et son Gouverne-
ment ne sont pas disposés à lâcher et ne lâcheront que
forcés par l'action des travailleurs. Les syndicats passeront le
temps à des démonstrations, des pétitions, des palabres et
seront prêts à signer des compromis pourris chaque fois qu'ils
en auront l'occasion.
Il est complètement faux de croire que les travailleurs
ne peuvent pas agir en dehors des organisations syndicales.
Au contraire. Toute l'histoire des luttes ouvrières montre
que les actions les plus importantes et les plus efficaces ont
été menées en dehors des organisations existantes. Ce ne sont
pas les syndicats qui ont fait juin 36; ce sont les travailleurs
qui ont eux-mêmes organisé leur grève et occupé les entre-
prises. Plus près de nous, en 1955, à Nantes, ce n'est pas
des syndicats, mais des ouvriers qu'est venue aussi bien l'ini.
tiative de la grève que la revendication essentielle : 40 francs
de l'heure pour tous, qui a galvanisé et unifié le mouvement;
ce ne sont pas les syndicats, mais les ouvriers qui ont imposé
aux patrons la capitulation; ce sont encore les ouvriers qui
se sont organisés eux-mêmes pour lutter contre les C.R.S.
Les militants syndicaux qui ont participé à ce
ment ont pu agir efficacement dans la mesure où ils se sont
placés du côté des ouvriers, où ils ont essayé de servir le
mouvement autonome des travailleurs et non de lui imposer
les consignes des syndicats avec lesquels ils se sont préci-
mouve-
12
sément trouvés en opposition. Lors de la grève des Banques,
en juillet 1957, ce sont les employés qui ont déclenché la
grève et se sont battus, et les syndicats qui l'ont sabordée.
Dès que la situation et leur expérience les conduisent à
des conclusions unanimes sur les questions essentielles, les
travailleurs agissant collectivement se révèlent la plus grande
force d'organisation existant sur terre. Or, il est facile de
constater qu'un nombre chaque jour croissant de travailleurs
tirent des conclusions essentiellement identiques de l'expé-
rience de ces derniers mois. Ces conclusions peuvent se ré-
sumer ainsi:
Revendications non hiérarchisées,
Election démocratique de Comités de grève,
Généralisation des luttes.
LES REVENDICATIONS.
Les objectifs revendicatifs pouvant réaliser l'unanimité
des travailleurs sont actuellement évidents. Le problème qui
se pose est le même pour toutes les entreprises, toutes les
corporations, toutes les localités : la détérioration rapide du
pouvoir d'achat. Face à cette détérioration, les revendications
spécifiques de tel ou tel secteur, sans disparaître, ne peuvent
que prendre une place secondaire. Quant aux revendications
séparées par catégories, et spécialement aux revendications
qui favorisent l'élargissement ou même le simple maintien
de la hiérarchie des salaires existants, les travailleurs doivent
cbsolument les condamner. Cette hiérarchie systématique-
ment entretenue et élargie par le patronat et l'Etat, avec
l'aide des syndicats, afin de diviser les travailleurs et les
dresser les uns contre les autres, ne correspond plus du
tout au travail effectué dans les entreprises contemporaines,
qui devient de plus en plus semblable pour toutes les caté-
gories.
Des revendications comme celles du Département 11 de
Renault citées plus haut :
Augmentation uniforme de 40 francs de l'heure pour
tous, et incorporation de toutes les primes au salaire,
Retour aux 45 heures,
Rétrécissement de la hiérarchie,
correspondent sans doute à la situation actuelle et probable.
ment aux aspirations de tous les secteurs. Mais les meilleures
revendications du monde ne valent rien si elles n'expriment
pas l'opinion librement formée de ceux qui doivent les dé-
fendre. C'est aux travailleurs eux-mêmes, dans les ateliers,
les bureaux, les entreprises, de définir leurs revendications
et de les porter à la connaissance de leurs camarades.
13
-
Les MOYENS ET L'ORGANISATION DE LA LUTTE.
.
Y a-t-il des moyens efficaces de lutte?
Oui, il y en a incontestablement, et un seul : la grève
illimitée jusqu'à satisfaction complète des revendications.
Depuis des années, les syndicats se sont surpassés en
ingéniosité pour inventer des manières totalement inefficaces
de faire la grève. Arrêts du travail d'un quart d'heure ou
d'une heure, ou de deux heures; grèves à des heures diffé-
rentes pour les différentes équipes; grèves où l'on laisse un
atelier ou une usine se battre tout seuls et rentrer épuisés,
pour lancer le lendemain la grève dans un autre atelier ou
une autre usine. Ces parodies de lutte ne gênent nullement
le patronat. Elles ne font qu’user les travailleurs, qui n'y ga-
gnent rien et y perdent des salaires.
Les syndicats s'y sont si bien pris que les travailleurs
ont pour ainsi dire presque oublié ce que signifie une vraie
grève. Faire la grève, ne signifie pas rentrer chez soi,
ni jouer à la belote ou organiser des crochets radiopho-
niques. Les conditions pour qu'une grève soit efficace sont :
D'abord, la direction de la grève par les grévistes
eux-mêmes. Ce sont les revendications des grévistes qui sont
en jeu, non pas celles des syndicats. Ce seraient les grévistes
qui paieraient si la grève échouait, non pas les permanents
syndicaux. Ce sont donc les grévistes qui doivent diriger leur
grève. Pour cela, un Comité de grève est certainement indis-
pensable. Mais sous aucun prétexte ce Comité ne doit être
arbitrairement nommé par les syndicats. Sans exclusive con-
tre personne, le Comité de grève doit être élu par les gré-
vistes. Ses membres doivent être révocables à tout instant,
c'est-à-dire que les travailleurs doivent pouvoir remplacer
sur-le-champ tout délégué qui n'a plus leur confiance. Le
Comité de grève doit rendre compte régulièrement de son
activité devant l'Assemblée générale des grévistes. Il ne doit
en aucun cas pouvoir conclure des accords avec le patron,
mais toujours soumettre toute proposition à l'Assemblée géné-
rale des grévistes, qui en discutera et votera. Il faut en finir
avec les accords négociés dans le secret par les syndicats et
imposés ensuite aux grévistes. Il faut en finir également avec
la comédie des « referendums », qui placent en réalité les
grévistes devant un fait accompli, sans qu'ils aient la possi-
bilité d'en discuter, devant un accord qui est à prendre ou à
laisser.
L'occupation des locaux par les grévistes. Seule
cette occupation permet aux grévistes de rester unis, de
garder leur action sous leur contrôle, de déjouer les mo-
noeuvres du patronat, d'empêcher l'effritement graduel et la
démoralisation.
-
14
-
L'extension de la grève aux autres entreprises.
Le patronat peut résister d'autant mieux à l'action des tra-
railleurs que celle-ci est fragmentée. L'extension de la lutte
est surtout indispensable dans les circonstances présentes,
où aucun patron ne peut céder séparément sans se créer des
difficultés énormes. Les entreprises isolément ne concéde-
ront que des miettes, seule une lutte généralisée peut obliger
le patronat à accepter les revendications importantes. Cette
généralisation de la lutte ne se fera pas toute seule; encore
moins peut-on s'attendre que les syndicats l'ordonnent. Les
syndicats n'informent même pas les travailleurs d'une entre
prise sur ce qui se
autre entreprise.
Chez Renault, en 1956, les travailleurs d'un atelier ont
fait grève pendant une semaine et le reste de l'usine l'a
appris lorsque la grève était terminée. Il n'y aura d'extension
du mouvement que si les travailleurs en font leur affaire
- en envoyant, par exemple, des délégations massives chez
les autres entreprises de la profession ou de la localité pour
expliquer à leurs camarades leur action et leurs objectifs.
passe dans
une
LA PRÉPARATION DE LA GRÈVE.
Mais comment cette grève peut-elle être organisée?
Comment, dans les grandes entreprises occupant des milliers
de personnes, dans les localités où les entreprises sont dis-
jersées, dépasser le cloisonnement qui sépare chaque atelier,
chaque bureau, chaque entreprise des autres? Comment se
mettre đaccord sur une action, sur ses objectifs et ses
moyens?
Ce sont là les questions qui arrêtent actuellement les
travailleurs. La majorité voit les revendications qui s'im-
posent, que seule une lutte sérieuse pourrait les satisfaire;
et même, la plupart du temps, qu'il n'y a pas grand chose
à attendre des syndicats. Mais elle ne voit pas comment
cette lutte pourrait être préparée, organisée et dirigée en de-
hors des syndicats.
Il n'y a qu'une seule réponse au problème de la direc-
tion de la grève : c'est la direction par ceux qui la font.
L'Assemblée générale des grévistes, les Comités de grève par
atelier ou par bureau et pour l'ensemble de l'entreprise, la
reunion de représentants de ces Comités formant Comité de
grève pour la profession ou pour la localité, ce sont là les
formes d'organisation, et les seules, parfaitement adaptées
aux besoins de la lutte à mener. Elles sont nécessaires, et elles
sont suffisantes. Ce sont les seules formes d'organisation effi-
caces, pouvant mener la lutte à la victoire.
Il est vrai que ces formes ne peuvent exister qu'une fois
que l'action est en cours. Et c'est précisément le déclenche-
ment de l'action qui est freiné par les syndicats. Et c'est
15
4.v.
devant cet obstacle que les travailleurs hésitent. Il y a un
problème de préparation de la grève, qui paraît à beau-
coup insoluble.
Ici aussi la réponse est au fond la même : la manière
la plus efficace de préparer l'action, c'est d'associer à cette
préparation le plus grand nombre possible de travailleurs.
Dans beaucoup d'endroits, d'ailleurs, cette préparation collec-
tive se fait dès maintenant spontanément et de façon non
officielle. Dans les ateliers, dans les bureaux, syndiqués et
non syndiqués discutent sur la situation, les revendications,
l'action possible. Ces discussions, qui se révèlent toujours
extrêmement fécondes, peuvent facilement être généralisées,
prendre une forme organisée, et aboutir à des conclusions
précises qu'on peut coucher sur le papier. C'est de ces dis-
cussions dans les lieux de travail que se dégageront les idées
qui guideront l'action. Ces idées une fois formulées claire-
nient et précisément, peuvent être communiquées aux autres
ateliers, bureaux ou entreprises.
Si par exemple une résolution comme celle du Dépar-
tement 11 de Renault, citée plus haut est votée, les travail-
leurs qui en ont pris l'initiative se doivent de la porter à la
connaissance de leurs camarades. Ils peuvent en diffuser le
texte, et envoyer des délégués prendre contact avec les autres
secteurs de l'entreprise et établir avec eux une communica-
tion permanente. Si la majorité des ateliers ou des bureaux
désignent de tels délégués, si ces délégués se réunissent pour
déblayer le terrain, si ensuite une Assemblée générale du
personnel a lieu qui discute et décide du programme des
revendications et des modalités d'action la grève aura
été préparée infiniment mieux qu'aucun syndicat n'aurait
jamais pu le faire. Car elle aura été préparée par ceux-
mêmes qui auront à la mener, qui sauront pourquoi ils se
battent parce qu'ils en auront décidé eux-mêmes, et pour qui
cette lutte ne sera que le moyen librement choisi pour im-
poser leurs besoins et leurs idées.
Ainsi des camarades dans un atelier de Renault ont
proposé à l'atelier l'appel ci-dessous aux autres ouvriers de
l'usine, qui a été adopté au cours d'une discussion engagée
lors d'un débrayage décidé à cet effet :
- 1° Nous demandons que tous les ouvriers de tous les
ateliers décident ensemble sans discrimination politique ou
syndicale, des revendications et des possibilités d'action.
- 2° Que les ouvriers envoient de larges délégations
afin de réunir une Assemblée générale. de tous les ateliers
ar. Comité d'entreprise pour coordonner et appliquer les
décisions prises dans les ateliers. Nous demandons au plus
grand nombre possible d'ouvriers de venir à cette assemblée
pour s'exprimer. »
16 -
Après avoir repris à leur compte les revendications
du Département 11 de l'usine mentionnées plus haut, les
auteurs de l'appel continuent :
« Pour obtenir ces revendications nous proposons :
1° Que cette Assemblée générale décide de lancer
l'ordre de grève générale dans l'usine et simultanément ap-
pelle par tracts et par l'intermédiaire de la presse toutes
les usines à débrayer en même temps que Renault.
2° Que lors de la grève, chaque atelier qui ne l'aurait
pas encore fait, désigne un comité de grève élu et responsa-
ble devant tous afin de réaliser la grève avec occupation de
l'usine. Chaque atelier devrait fournir un roulement de pi-
quets de grève proportionnels à l'effectif de l'atelier.
3° Organiser les prises de contact avec les autres
usines :
- par l'envoi de larges délégations qui iront en masse
demander aux ouvriers des autres usines de suivre le mou-
vement;
par des réunions communes avec les comités de grève
des autres usines;
par la constitution d'un comité de grève régional et
d'un comité de grève national.
Nous proposons également d'inclure dans les revendica-
tions le paiement des jours de grève.
Les signataires s'engagent à diffuser le plus largement
possible ces propositions et à contribuer au paiement des
frais d'impression. >>
Il ne faut pas se faire d'illusions sur l'attitude qu'adop-
teront les directions syndicales face à toute tentative des
travailleurs de préparer et de diriger eux-mêmes leur action.
Elles s'y opposeront par tous les moyens; la violence et la
ruse, la douceur et la calomnie, le refus brutal et les ma-
noeuvres dilatoires. Souvent les travailleurs voulant agir d'une
façon autonome se heurteront en premier lieu à la dictature
des syndicats. Dans cette lutte, les camarades qui sont le plus
décidés, qui voient le plus clairement les problèmes peuvent
jouer un rôle décisif, en déjouant les manquvres des syndi.
cats, en répondant systématiquement à leurs arguments, en
se faisant le canal des informations sur ce qui se passe ail-
leurs, informations que les syndicats ne visent qu'à bloquer,
en organisant des discussions collectives et en insistant pour
que tout le monde s'y exprime. Si de petits groupes de cama-
rades se constituent sur cette base dans les ateliers et les
bureaux, avec l'unique préoccupation de briser le monopole
qu'exercent actuellement les syndicats sur l'information et
la communication entre les travailleurs, et de permettre aux
travailleurs d'exprimer librement leurs besoins, leur pensée
et leur volonté, ils auront rapidement le soutien de la grande
majorité des travailleurs dans leur effort. Autant les travail-
leurs se méfient désormais des agitateurs professionnels
.
17
important des mots d'ordre fabriqués ailleurs, autant ils se-
ront ouverts à quelques-uns des leurs qui n'agissent que pour
leur permettre de dégager la volonté commune.
De tels regroupements minoritaires, réunissant des cama-
rades conscients de la nécessité que les travailleurs prennent
entre leurs propres mains la direction de leurs luttes, existent
dès maintenant dans plusieurs entreprises. Parfois formés
par des camarades qui ont quitté les syndicats, parfois réu-
nissant syndiqués et non syndiqués, ils visent tous essentiel-
lement le même but : informer les travailleurs sur la situa-
tion dans leur entreprise et les luttes des autres entreprises,
promouvoir une large discussion démocratique sur les objec-
tifs et les moyens des luttes. L'action de ces regroupements
a toujours rencontré un écho favorable auprès des travail.
leurs. Il y ainsi, aux usines Renault, un groupe de camarades
qui publient depuis quatre ans « Tribune ouvrière »; aux
Assurances Générales Vie de Paris, des camarades groupés
autour d'un « Bulletin employé »; aux usines Breguet de
Paris, un groupe d'ouvriers syndiqués et non syndiqués pu-
blient en commun depuis le printemps dernier une « Tribune
libre »); tout récemment, des camarades instituteurs ont com-
mencé la publication d'une « Tribune des Enseignants ».
La multiplication de telles manifestations dans la période
cente montre qu'un nombre croissant de travailleurs pren-
nent conscience de ce qu'une préparation démocratique de
toute lutte est la première condition de son efficacité.
PEU'I-ON ABOUTIR A UNE VICTOIRE DURABLE ?
Ainsi préparée, organisée, dirigée par les participants,
la lutte peut être victorieuse. Mais une autre question se
pose dans l'esprit de beaucoup:
A supposer qu'on impose nos revendications, qu'on arra-
che une augmentation substantielle, que se passera-t-il après?
La bourgeoisie n'essaiera-t-elle pas de reprendre ce qu'elle
aura donné par des nouvelles hausses de prix? Qu'est-ce qu'on
aura gagné finalement dans l'affaire, si l'on obtient 40 francs
d'augmentation et qu'ensuite les prix montent à nouveau de
10 ou 15 %?
Cette question est absolument justifiée, la bourgeoisie
peut réagir à une hausse des salaires par une nouvelle hausse
comme elle l'a fait entre 1945 et 1949. Cela n'est
pas fatal, mais c'est quand même probable. A l'opposé de
la période 1952-1955, la bourgeoisie a actuellement peu
de marge. Elle ne peut pas maintenir ses profits, équilibrer
ses comptes avec l'étranger et continuer la guerre d'Algérie
sans s'attaquer au niveau de vie des ouvriers. Si elle est battue
sur les salaires, elle attaquera de nouveau sur les prix.
des prix
-
18
-
Les ouvriers peuvent-ils se défendre contre cela en exi-
geant et en imposant une échelle mobile des salaires basée
sur les prix? Cette « échelle mobile » existe depuis 1952;
a-t-elle fonctionné lorsque les hausses de prix sont venues en
1956? Non, on s'est borné à manipuler et à falsifier les indi-
ces de prix. Il y a une échelle mobile dans le contrat Re.
nault. Elle n'a jamais fonctionné.
Qu'on ne dise pas qu'il s'agirait d'obtenir une « meil-
leure » échelle mobile. Toute échelle mobile doit être basée
sur un indice des prix et cet indice est entre les mains
des patrons, du gouvernement et des bureaucraties syndicales.
Les travailleurs n'ont là-dessus aucun contrôle, et ne peu.
vent pas se transformer en statisticiens. Lorsque le problème
des salaires et des prix devient vital, l'échelle mobile ne
fonctionne plus que si l'on se bat pour la faire fonctionner,
Car si le pouvoir d'achat des salariés devait être maintenu
par le fonctionnement de l'échelle mobile, d'autres postes des
dépenses nationales devraient être réduits. Il faudrait que
la bourgeoisie accepte d'arrêter la guerre d'Algérie, ou de
diminuer ses profits, ou les deux à la fois. Et cela ne dépend
pas d'une loi sur l'échelle mobile, mais de la capacité des
travailleurs d'imposer de tels changements par la lutte
car à ces changements, la bourgeoisie et son gouvernement
résisteront de toutes leurs forces.
Que faire donc? Il n'est pas bien entendu question que
les travailleurs subissent passivement la surexploitation que
veut leur imposer le patronat pour faire sa guerre. Mais il
n'y a pas de solution magique. L'issue de la crise actuelle
sera déterminée par le degré de' force, de conscience, de cohé.
sion que montreront les travailleurs.
Si les travailleurs s'organisent dans les entreprises au-
tour de Comités démocratiquement élus qui expriment leurs
aspirations et restent sous leur contrôle; s'ils luttent à une
échelle générale, utilisant tous les moyens capables de faire
aboutir leurs revendications; si, au cours de cette lutte, ils
obligent le patronat et son gouvernement à reculer, le pro-
blème des prix et des salaires pourrait bien se trouver dé-
passé. Les conséquences d'une telle lutte pourraient être d'une
portée extraordinaire. Un tel mouvement, analogue par l'am-
pleur à celui de juin 1936, serait capable d'aller beaucoup
plus loin que celui-ci, parce qu'il ne pourrait avoir lieu qu'en
créant au fur et à mesure des formes d'organisation groupant
la masse des travailleurs et exprimant leur volonté, sur les.
quelles les manæuvres de la bureaucratie auraient infiniment
moins d'emprise que celles de Blum et de Thorez qui ont fina.
lement conduit dans des voies de garage le mouvement de
1936. Dans de telles conditions, une grève générale coordon-
née par des Comités d'usine et se développant jusqu'à son
terme, poserait la question de la gestion de la production et
du pays par les travailleurs.
19
n
Mais, il serait faux de penser qu'à défaut d'un tel bou.
leversement les travailleurs se trouveraient à nouveau à la
merci de la politique du patronat et du gouvernement. Si les
travailleurs, après avoir imposé la revalorisation intégrale
de leur pouvoir d'achat, manifestent leur détermination de
riposter immédiatement à toute tentative de la bourgeoisie
de reprendre de la main gauche ce qu'elle aura donné de la
main droite, ils peuvent faire reculer la bourgeoisie. Mais
pour cela, il faut que cette détermination se matérialise con-
crètement, il faut que la force et la cohésion des travailleurs
se manifestent de façon visible et permanente. Pour cela,
il n'y a qu'un seul moyen :
Il faut que les organes de lutte créées par les travail-
leurs, et en particulier les Comités de grève démocratique-
ment élus, ne se dissolvent pas une fois les revendications
satisfaites. Il faut que ces organes se maintiennent, qu'ils
organisent leurs contacts permanents d'entreprise à entre-
prise et de localité à localité, qu'ils proclament publique-
ment leur intention de contrôler l'évolution de la situation
en général et du pouvoir d'achat en particulier, et d'appeler
à nouveau les travailleurs à la lutte à la moindre tentative,
d'où qu'elle vienne, d'attenter à leur niveau de vie.
Les syndicats diront que de tels organes permanents
existent déjà, et que ce sont eux. Les travailleurs ont une
expérience de plusieurs années pour leur répondre.
Si nous attendons un résultat des négociations syndicales;
si nous nous limitons à suivre des consignes de 2 heures de
grève sans lendemain; si nous laissons les syndicats diriger
lu grève et nous rentrons chez nous; si, après nous être battus,
nous laissons le sort final de la lutte entre les mains des
syndicats qui négocieront un compromis pourri avec le pa-
tronat notre situation empirera et nous en serons les
seuls responsables. Dans cette comédie chacun, le patronat,
le Gouvernement, les partis, les syndicats, joue son propre
jeu et poursuit ses propres intérêts. Personne ne se soucie des
nôtres et nous n'avons rien à attendre de personne. Nous
ne pouvons être sauvés que par nous-mêmes.
Le groupe Socialisme ou Barbarie, qui a pris l'initiative de la
publication de ce texte, en a communiqué fin octobre un premier
projet à une centaine de camarades de la Région Parisienne,
convoqués en même temps à une réunion afin d'en discuter. A
la suite de cette réunion, le projet a été remanié pour tenir
compte des points de vue qui y ont été exprimés.
20
-
Juillet 1957 - Grève des Banques
Une lutte importante des employés
un
connue
De toutes les luttes de cette année, la grève des banques
est peut-être la plus significative; on pourrait presque dire
qu'elle continue une nouvelle tradition des grandes luttes des
été 53 (postiers et cheminots) et 55 (St-Nazaire et Nantes).
Par ses dimensions (grève générale de 80.000 salariés de
toute une profession à l'échelon national), par certains
aspects de lutte autonome (période du 28 juin au 9 juillet),
par la combativité (manifestations de rue), par sa durée (plus
d'un mois), cette grève marque effectivement parmi toutes
les luttes de l'année.
Mais c'est peut-être plus parce qu'elle concerne
secteur « employé » qu'elle apparaît d'autant plus signifi.
cative. Elle confirme l'évolution des milieux « employés »,
conséquence d'une évolution - autant profonde que mé-
des conditions de travail de ceux qui ne sont
plus depuis des années les « prolétaires en faux cols » que
l'on se plaît à voir encore en eux.
Il est trop facile, comme le font les syndicats et les
« ausculteurs de la classe ouvrière », d'expliquer uniquement
un tel mouvement par des problèmes de salaires, par la baisse
du pouvoir d'achat; sans doute, des demandes d'augmen-
tation existaient, mais sous des formulations différentes au
départ de celles des syndicats et liées à un ensemble d'autres
revendications concernant les conditions générales de travail.
Une étude complète sur la grève des banques demande-
rait en réalité un approfondissement des transformations de
structure et des progrès de la mécanisation dans les banques
au cours des dix dernières années, des transformations corré-
latives des tâches et des rythmes de travail, de l'évolution
conséquente des salariés, de leurs « revendications » (les
leurs propres, pas celles des syndicats), de leur combativité
depuis la résistance quotidienne à l'exploitation à l'échelon
individuel ou d'un groupe jusqu'aux manifestations de masse.
Une telle étude permettrait également d'expliquer les
ambiguités qu'a pu révéler cette grève, les limites de l'action
autonome des employés, de préciser l'influence réelle des
- 21
syndicats et la nature exacte de cette influence. D'autre part,
la compréhension des manceuvres des syndicats, des ban-
quiers et du gouvernement au cours de cette grève, nécessi.
terait un exposé assez minutieux des rouages du système
bancaire et des incidences d'une grève sur le fonctionnement
de ce système. Une telle description se relierait à la fois à
l'étude de la structure des entreprises et à un exposé d'une
<< désorganisation totale » du circuit monétaire par un blo-
cage du mécanisme bancaire.
Il se trouve en effet que les employés de banque dispo-
sent dans la grève d'une arme d'importance semblable à celle
d'une grève des cheminots ou de l'Electricité de France, mais
à effet non immédiat, à effet cumulatif retardé pourrait-on
dire. Quand on voit le déroulement de la grève avec le
recul du temps on reste persuadé que toute l'action concertée
des syndicats, du gouvernement et des banquiers a consisté
au cours de cette lutte à éviter que cette arme ne prenne
son efficacité: la grève fut brisée au moment où elle deve-
nait dangereuse, tant par ses conséquences propres que par
l'effet de ces conséquences sur l'entrée en lutte d'autres
catégories de salariés.
Les textes qui suivent n'ont pas la prétention d'être cette
« étude complète » mais des documents pour l'étude de la
grève des banques; les employés de banque qui les ont écrits
y ont décrit ce qu'ils ont vécu de la grève; ces récits consti-
tuent ainsi une série de témoignages dont chacun pourra
tirer des enseignements sur les luttes ouvrières actuelles.
La grève
au Comptoir National d'Escompte de Paris
(C.N.E.P.)
La lecture des pages qui suivent fera peut être penser
que la grève des banques, c'est avant tout la grève au C.N.E.P.
Il ne s'agit pourtant pas d'une déformation d'esprit de l'em-
ployé qui les a écrites. Car cela correspond bien à la réalité :
la description de la grève au C.N.E.P. contient la description
de la grève des banques dans sa totalité; entrés les premiers
dans la lutte, y ayant joué un rôle moteur important, les
employés de cette importante banque de dépôt sont les
derniers à avoir repris le travail (1). Ces pages ont été
extraites d'une brochure d'un employé du C.N.E.P., publiée
par l'Unité syndicale (2). Au moment de la grève, cet em.
ployé était délégué C.G.T. au Siège social de cette banque;
(1) Les sièges sociaux ou Agences Centrales des banques de dépôt
les plus importantes sont de grosses entreprises groupant souvent plus
de 5.000 salariés.
(2) Il est possible de se procurer cette brochure à l'adresse sui.
vante: Tribune libre des employés · L. Eemans, 110, rue Boris-Wilde,
Fontenay-aux-Roses (Seine).
22
sa position dans le syndicat était celle d'un « minoritaire ».
Exclu « administrativement » de la C.G.T. en août, à la
suite de la grève, pour « travail fractionnel », il définit lui-
riême son action dans le syndicat dans une lettre ouverte de
protestation adressée à P. Lebrun (1):
« Je pense que le combat doit être mené pour réformer
« la C.G.T. dans un sens plus démocratique. Le droit de
« tendance à l'intérieur du syndicat sera l'un des facteurs
« déterminants pour arriver à la réunification syndicale...
« Pendant la grève des banques, ma position a été de défen-
« dre constamment une AUGMENTATION EGALE POUR
« TOUS et l'élargissement du mouvement, qui est parti du
« C.N.E.P., par les manifestations et le CONTROLE
par
la
« base... Le Comité de lutte qui s'est formé n'est en aucune
« façon dirigé contre les organisations syndicales. Bien au
« contraire, il demande aux employés de rester organisés
« syndicalement et le Comité dans son premier tract préci-
« sait : « NOUS VOULONS UN SEUL SYNDICAT CONTRO.
« LE PAR LA BASE. » (2)
Ces positions donnent évidemment une certaine optique
dans l'interprétation des luttes, optique avec laquelle on
peut être d'accord ou pas d'accord. Compte tenu de cette
réserve, les pages qui suivent contiennent une excellente
description de ce que fut la grève des banques. Nous avons
délaissé les parties qui contenaient des discussions sur le
caractère des luttes et l'intervention de « militants » dans
ses luttes; nous pensons les reprendre dans un article ulte-
rieur et confronter les positions qu'elles expriment avec celles
qui peuvent se dégager d'autres expériences (3).
LE DEROULEMENT DE LA GREVE (4)
Dans les premiers jours de juin, huit mécanographes du
Comptoir National d'Escompte de Paris se réunissent dans
un café et décident, sans s'occuper des organisations syndi-
cales, de déposer leurs revendications particulières et de
passer à l'action s'ils n'ont pas satisfaction.
L'inaction des syndicats après la grève du 5 juin les
pousse rapidement à mettre en pratique ces décisions. Une
pétition, sans en-tête syndicale, demandant :
10 points d'augmentation pour tous les mécanographes
du Portefeuille (grosses machines);
(1) Lettre reproduite in extenso dans la brochure p. 22.
(2) Les phrases en capitales sont en capitales dans la brochure.
(3) Notamment celles du Conseil du Personnel des Assurances Gé-
nérales Vie (Socialisme ou Barbarie, n° 20, p. 1 à 64).
(4) Les titres sont ceux de la brochure; les passages en caractères.
droits le sont en caractères gras dans le texte.
23
.
200 francs supplémentaires par jour de la prime mécano
graphique;
est signée par les vingt mécanographes du service qui dési-
gnent eux-mêmes leurs délégués pour la porter au chef du
personnel. Cette délégation ira présenter et défendre le cahier
de revendications.
Ensuite, les sections syndicales C.G.T. et C.F.T.C. ne
voulant pas rester en dehors de cette action, se retournent
vers les mécanographes des grosses machines du service Etu-
des et Organisations Mécanographiques et leur demandent de
déposer aussi leurs revendications mais sous l'égide des syn-
dicats. Un cahier est alors dressé et porté au service du per-
sonnel. A remarquer que les revendications énumérées par
ce cahier sont des revendications typiquement mécanographes
et ne présentent pas le caractère uniforme des revendications
déposées par les mécanographes du Portefeuille (c'est-à-dire
qu'elles n'étaient pas susceptibles de s'étendre aux autres
employés).
Le chef du personnel promet d'examiner rapidement tou-
tes les revendications des grosses machines et de donner une
reponse. Mais une réponse favorable se faisant attendre, le
20 juin, les mécanographes du Portefeuille, suivis par ceux
des E.O.M., débrayent une heure. Une soixantaine de méca-
nographes des grosses machines sont donc en grève et se ras-
semblent à la permanence syndicale C.G.T.
La direction accorde 10 % d'augmentation de la prime
mécanographique. Cette véritable aumône en moyenne
500 à 600 francs d'augmentation par mois est repoussée
par les mécanographes, qui débrayent le lendemain pendant
deux heures. Les perforatrices expriment à leurs délégués
leur volonté de se joindre à la prochaine action des grosses
machines.
.. Le lundi 24 JUIN, tous les employés des services méca-
nographiques du C.N.E.P. (environ 200) débrayent pendant
deux heures, et se réunissent en Assemblée générale. Un
Comité de grève très large, comprenant des syndiqués de
toutes tendances et des inorganisés, est élu. Les sections syn-
dicales C.G.T. et C.F.T.C. donnent leur appui à la lutte des
mécanographes. Ces derniers refusent de lancer un appel
aux employés pour leur demander de se joindre à leur lutte.
Pourquoi? Parce qu'ils pensent que leur mouvement, en s'élar-
gissant aux employés, risque d'être dirigé entièrement par
les syndicats et d'échapper à leur contrôle : ils ne veulent
pas être maneuvrés.
Le 25 JUIN, 200 mécanographes manifestent dans la
rue autour du C.N.E.P. en criant : « Nos salaires! Nos 40
heures ! Les banquiers peuvent payer! ». Ils défilent silen-
cieusement dans le hall et devant le bureau du chef du
personnel. Les garçons de bureau du service E.O.M. dé-
brayent également pendant une heure.
-
1
24
MERCREDI 26 JUIN, tous les mécanographes et les
garçons des E.O.M., sur proposition d'un de leurs délégués,
manifestent cette fois avec des pancartes dans la rue et le
hall de la banque. Ce jour-là, ils ne sont plus silencieux, et
les employés du C.N.E.P. entendent les clameurs des mani-
festants : la température dans l'entreprise monte.
JEUDI 27 JUIN, les employés, devant les menaces de
sanctions de la Direction, passent à l'action.
Ce sont, tout d'abord, les employés du Portefeuille qui
démarrent, entraînant tous les employés des autres services.
Par centaines, ils descendent tour à tour dans le hall.
L’ESCALIER D'HONNEUR ET LE « VASE DE SOISSONS »
Spontanément, plus de mille employés se regroupent en
scandant leurs mots d'ordres : « Nos 5.000 francs! Nos
40 heures ! », et montent l'escalier d'honneur menant à la
Direction. L'escalier, dont les marches sont recouvertes l'un
tapis de velours rouge, a été longtemps réservé au directeur
général. Les grévistes, en le foulant aux pieds, ont pris
conscience de leur force. C'en est fini du prestige du direc-
teur. Ses pieds ne sont pas d'une autre essence que ceux des
grévistes. Là où il prétendait être seul à les poser, les gré-
vistes peuvent, eux aussi, poser les leurs : il suffit qu'ils le
veuillent. Ils savent maintenant comment faire entendre
leurs revendications au patron. Après la manifestation, des
pancartes resteront plantées partout, notamment sur un grand
vase « décoratif » généralement connu sous le nom de « vase
de Soissons ».
Dans les couloirs de la direction, les employés mani-
festent et déposent leurs pancartes dans les bureaux vides des
directeurs et sous-directeurs. Le cortège se disloque ensuite,
et des groupes se répandent dans tout l'établissement. Les
organisations syndicales sont débordées. Les délégués se ras-
semblent avec quelques grévistes dans une salle de la cantine,
où Force Ouvrière qui, jusqu'ici ne participait pas aux mou-
vements, s'y rallie en fin de journée devant leur ampleur.
LES LEÇONS DU DEMARRAGE DU MOUVEMENT
Bien des mouvements partiels ou catégoriels ont eu lieu
dans d'autres banques auparavant, mais aucun n'a eu un ca-
ractère aussi profond et aussi spontané. L'explication en est
simple: jusqu'à ce jour, ce sont les syndicats qui ont eu le
contrôle total des actions et les ont orientées. La C.G.T.
notamment, qui préconise, depuis des années, des actions par
tielles, ne cherche jamais à les étendre. Le meilleur exemple
25
en est la grève d'octobre 1954 des mécanographes du Crédit
du Nord et du C.N.E.P. isolés, ils n'ont pu obtenir satisfac-
tion.
Au C.N.E.P., dès le début de la présente grève, l'élection
d'un Comité de grève large et démocratique, comprenant des
syndiqués de toutes tendances et des inorganisés, assure aux
mécanographes le contrôle de leur lutte. La démocratie per-
met à l'initiative des employés de se déployer et de mettre
en pratique des formes de lutte nouvelles. Les organisations
syndicales sont à la remorque du mouvement: Force Ou-
vrière, parce qu'elle se déclare contre les mouvements par.
tiels, la C.F.T.C., parce qu'elle a peur des mouvements « in-
contrôlés ». Quant à la C.G.T., pour des raisons que nous
expliquerons plus loin, elle s'adapte au mouvement.
Voulant contrôler leur mouvement, les mécanographes
avaient rejeté la proposition d'adresser un appel aux em-
ployés sur des revendications générales. Confusément, ils
sentaient que tout élargissement de l'action aux employés
rendrait plus facile aux appareils syndicaux le contrôle de
la lutte. Ils se méfiaient, et la reprise du travail, le 27 juil.
let, montrera qu'ils n'avaient pas tort. Mais le refus patronal
de satisfaire leurs revendications leur a fait comprendre rapi.
dement qu'ils doivent étendre leur lutte aux employés.
En montant manifester à la Direction, les employés de
banque ont ouvert une brèche dans le mur de la puissance
patronale. Dans la conscience du « prolétaire en faux-col »,
un pas important vient d'être fait : les notions de discipline
et d'obéissance aveugle sont transformées, plus rien n'est
sacré. Demain, pour défendre leurs salaires, les employés
sauront manifester, se faire entendre du patron et, s'il le faut,
discuter directement avec lui.
L'habitude de se rassembler dans le hall donne au mou-
i ement sa cohésion, les grévistes prennent conscience de leur
force lorsqu'ils . occupent le hall. L'expression « descendre
dans le hall » est d'ailleurs restée proverbiale, lorsque les
employés discutent entre eux, elle revient souvent dans leur
bouche.
LE MOUVEMENT S'ETEND
12
VENDREDI 28 JUIN, les délégués des trois syndicats
du C.N.E.P. se réunissent. Dès le début de la réunion, les
représentants de la C.F.T.C., affolés, demandent l'arrêt des
manifestations et des actions « incontrôlées ». Les délégués
de la C.G.T. (1) demandent la convocation immédiate d'une
Assemblée générale dans le hall de tous les employés.
(1) Au départ, les dirigeants de la C.G.T. du C.N.E.P., livrés à eux-
mêmes, subissant la pression de la base, réagissent avec leur tempéra-
ment ouvrier. Ils appliquent une orientation qui rompt avec celle des
appareils syndicaux: l'élargissement du mouvement par les manifestations.
On verra plus loin comment l'appareil de la C.G.T. les reprendra
26
word
- Kuvat
Après une vive discussion, la proposition est finalement
adoptée. A 10 heures, plus de 3.000 employés sont rassem-
blés dans le grand hall. Les syndicats ne s'étant pas mis d'ac-
cord sur les interventions, un militant de la C.G.T. fait une
proposition: « Tout le monde ce soir à .17 heures dans le
hall, d'où l'on se rendra à l’A.P.B. (2) pour manifester pen-
dant la réunion de la Commission Paritaire ! » Richel, secré-
taire du syndicat parisien de la banque C.G.T., annonce que
la C.G.T. ne signera aucun accord avec les banquiers sans
avoir consulté le personnel. Il ne tiendra pas le même langage
le 27 juillet, après la Commission Nationale de Conciliation,
puisqu'elle signera sans le consulter.
La proposition de manifestation devant l’A.P.B. est ac-
ceptée avec enthousiasme par l'Assemblée générale, et impo-
sée à F.O. et à la C.F.T.C., dont les représentants dans le
hall ne soufflent mot. Un tract est immédiatement tiré.
Le soir, plus de 3.000 manifestants se rendent en cortège
au siège de l’A.P.B. où, pendant près d'une heure, ils cla-
ment leurs revendications. Effrayés, les banquiers accordent
une prime unique de 30 % du salaire mensuel. Spontané.
ment, un groupe de jeunes se met à crier: « Ça ne marche
pas! », « Nos 5.000 francs ! », et traverse la rue pour mon-
ter l'escalier de l'A.P.B. Mais un barrage imposant de flics
devant l'entrée les repousse brutalement. Sentant alors que
le rapport des forces n'est pas en leur faveur, ils crient :
« On reviendra! » Ils savent maintenant que c'est avec toutes
les banques qu'il faudra manifester.
Fait significatif, bien que tous les responsables syndi-
dicaux des autres banques aient été contactés téléphonique.
ment par le C.N.E.P. pour envoyer des délégations devant
l’A.P.B., les employés du C.N.E.P. se retrouvent seuls. Non
parce que les employés des autres banques ne seraient pas
venus, mais parce que les appareils syndicaux, en l'occurrence
celui de la C.G.T., ont fait barrage pour empêcher la jonc-
tion des autres établissements avec le C.N.E.P.
LUNDI 1er JUILLET, les 30 % n'ont pas calmé le
mécontentement des employés du C.N.E.P. qui veulent con-
tinuer l'action. Mais leur combativité, conséquence du con-
trôle du mouvement par la base, est à ce moment à un niveau
sans
en mains. Les mêmes militants qui marchaient la main dans la main,
aucune divergence, parfaitement unis dans les premiers jours du
déroulement de la grève se diviseront dès que les appareils syndicaux
interviendront dans la lutte pour imposer leur orientation. La plupart
de ces militants qui, la veille, appliquaient une orientation correcte,
suivront le lendemain aveuglément les directives des dirigeants fédéraux,
qui sacrifieront les intérêts des employés. Certains n'hésiteront même
pas, obéissant aux directives des responsables de la C.G.T. dans la ban-
que, à exclure le camarade Eemans parce qu'il refusera de s'incliner
devant le compromis signé par les dirigeants fédéraux en Commission
Nationale de Conciliation.
(2) Association Professionnelle des Banques (Syndicat patronal).
27
bien supérieur à celle des employés des autres banques, où
rien n'est fait par les syndicats pour inviter les employés à
suivre l'exemple du C.N.E.P. Plusieurs délégués de ce dernier
établissement prennent la responsabilité d'aller contacter les
responsables syndicaux du Crédit Lyonnais. L'entrevue se
déroule devant quelques dirigeants de la C.G.T. et de la
C.F.T.C. du Lyonnais.
« Alors, camarades, que se passse-t-il ici au Crédit Lyon-
nais? Nous voudrions bien que vous passiez aussi à
l'action pour nous aider. Le mouvement doit s'élargir si
nous voulons faire céder nos patrons. »
Réponse de Joseph, responsable de la C.G.T. du Crédit
Lyonnais :
« Le climat n'est pas tellement chaud ici. A part quel-
ques catégories, comme les convoyeurs ou les mécano-
graphes, les employés ne sont pas mûrs pour débrayer
tous ensemble. Malgré tout, un des services mécano-
graphiques doit débrayer demain. »
Il ne sort rien d'autre de cette discussion, et rendez-
vous est pris pour le lendemain, au moment où les mécano-
graphes du Lyonnais débrayeront.
MARDI 2 JUILLET, les mécanographes du Portefeuille
du C.N.E.P. débrayent et vont prendre contact avec une
quarantaine d'opérateurs du Crédit Lyonnais en grève.
Un délégué mécanographe du C.N.E.P. soulève l'enthou-
siasme des opérateurs par le récit qu'il leur fait de l'action
des employés du C.N.E.P. Ce jour-là, à la cantine du Crédit
Lyonnais, il est beaucoup parlé des manifestations qui ont eu
lieu eu C.N.E.P.
L'après-midi, près de 500 employés du Crédit Lyonnais
débrayent pendant 3 heures, et manifestent dans la rue, à
l'appel des 3 sections syndicales.
MERCREDI 3 JUILLET, Assemblée générale dans le
hall du C.N.E.P., où le compte rendu des propositions déri.
soires de la Direction a pour résultat de durcir la volon
de combat des employés. A 10 heures, les employés évacuent
le hall, sortent dans la rue, et un cortège s'ébranle en direc-
tion du Crédit Lyonnais. Des forces importantes de police
barrent l'entrée de l'établissement, où toutes les portes sont
fermées. Les grévistes du, C.N.E.P. encerclent alors le Crédit
Lyonnais : « Le Lyonnais avec nous ! Débrayez! Nos 5.000
francs! Nos 40 heures ! » Tous ces mots d'ordre jaillissent
spontanément de milliers de poitrines. Les grévistes s'accro-
chent aux fenêtres et discutent avec les employés qui tra-
vaillent à l'intérieur.
De tous les étages, des papiers sont lancés par les em-
ployés du Crédit Lyonnais : « On attend un ordre des syn-
dicats. » « On ne peut pas sortir, ils nous ont bouclés. »
« C. vous remercie de votre visite, on vous rendra la pa-
28
reille. » La température monte dans l'entreprise, des groupes
d'employés débrayent et réussissent à sortir. Le cortège de
grévistes grossit et traverse le boulevard pour faire débrayer
la B.N.C.I. et la B.U.P. A ce moment, les manifestants, qui
sont maîtres des boulevards, voient les responsables des fédé-
rations et des syndicats parisiens, qu in'étaient jamais appa-
rus jusqu'alors, courir à leur rencontre et se joindre à leur
manifestation.
Le directeur de la Banque de l'Union Parisienne reçoit
les manifestants avec une lance d'incendie. Les jeunes s'élan-
cent à l'intérieur de l'établissement, et le directeur subit
à son tour le jet d'eau sale.
Une nuée de C.R.S. en camions fait son apparition. Il
est près de midi, et les manifestants se dispersent d'eux-
mêmes.
Notons que les dirigeants syndicaux de la banque, après
ces manifestations qui se sont déroulées totalement en dehors
des organisations syndicales, se réunissent immédiatement.
Pour reprendre en mains le mouvement, ils décident de ras-
sembler les employés de banque. Près de 10.000 manifes-
tants répondent à cet appel. Mais la place de la Bourse est
une souricière, et les C.R.S. barrent l'accès des petites rues
menant au Ministère des Finances. Les dirigeants syndicaux
manoeuvrent et prêchent le calme pour retenir les manifes-
tants sur place. Les mécanographes du C.N.E.P. organisent un
service d'ordre spontané, et dirigent les employés vers la
rue de Ri
en contournant les C.R.S. par les rues adjacen-
tes. Près de 5.000 manifestants se retrouvent devant le Minis-
tère des Finances.
Les employés du magasin du Louvre soutiennent les gré-
vistes en lançant de l'eau et des pelures d'oranges et de
bananes sur les flics qui chargent le cortège: plusieurs per-
sonnes, dont une femme, sont matraquées ce jour-là. Les
grévistes barrent la rue de Rivoli, et créent des embouteil-
lages, tout en refluant vers la place de Bourse, où plusieurs
milliers d'employés sont restés bloqués faute de directives
syndicales. Ce jour-là, les dirigeants fédéraux sont reçus par
un représentant du Ministre des Finances, M. Rossard (sic),
qui les informe qu'au mois de septembre la question des
salaires sera certainement examinée (resic).
JEUDI 4 JUILLET, les syndicats convoquent salle Cadet
tous les employés de banque parisiens. Ils annoncent la cons-
titution d'un Comité National de Grève et le dirigeant F.-0.
Charréron propose la grève générale illimitée. Un porte-pa-
role des mécanographes du C.N.E.P. monte à la tribune, et
exprime la volonté des employés de banque: « Augmenta-
tion égale pour tous !» « Nos 5.000 francs ! » « Grève contrô-
lée par la base! ).
La chaleur étouffante ne fait que rendre la salle plus
vibrante, et elle applaudit, avec enthousiasme, ce camarade,
29
qui a été littéralement porté à la tribune par les mécanogra-
phes. Les organisateurs n'ont pu réussir à l'empêcher de
parler.
VENDREDI 5 JUILLET, les organisations syndicales
forment le Comité National de grève, composé uniquement
de responsables syndicaux qui n'ont jamais participé ni de
près ni de loin au démarrage de l'action.
Des débrayages partiels ont lieu dans plusieurs banques,
à Paris et en province.
SAMEDI 6 JUILLET, les débrayages partiels continuent.
A la B.N.C.I., l'ordre de grève est lancé jusqu'au vendredi 12
par la C.F.T.C. La C.G.T. s'y ralliera ensuite. Le Comité de
grève du C.N.E.P. essaie de prendre contact avec d'autres
banques, mais aucun Comité de grève n'est encore formé. Cela
est voulu : « Pour une petite grève limitée, il n'est pas besoin
de comité de grève », déclare un responsable de la C.G.T. à
une Assemblée des Cadres syndicaux de la Région Parisienne.
Les appareils syndicaux se donnent ainsi le temps en dehors
du contrôle de la base, de coiffer le mouvement.
MARDI 9 JUILLET le Comité parisien de grève, dont
aucun employé ne connaît encore la composition, décrète la
grève générale à Paris. Le Comité de grève du C.N.E.P. ne
donne l'ordre de grève que jusqu'au vendredi 12 juillet.
Une forte pression à la base se dessine contre la grève géné-
rale au C.N.E.P., parce que les employés sentent qu’ainsi le
contrôle de la grève leur échappe.
MERCREDI 10 JUILLET, le Comité National de grève
donne l'ordre de grève générale dans toute la France.
Jetons un coup d'ail en arrière pour examiner le dérou.
lement de la grève jusqu'à cette date.
Les manifestations des mécanographes du C.N.E.P. ont
entraîné tous les employés de l'établissement dans l'action.
A leur tour, les employés du C.N.E.P., pour leurs manifes-
tations pour les boulevards, entraînent le débrayage des au-
tres banques. Les militants de base du C.N.E.P., notamment
ceux de la C.G.T., appliquant une orientation correcte, se
dépensent sans compter. Point par point, tous les objectifs
fixés au mouvement par les militants de base qui l'ont dé-
clenché, sont atteints. Toute cette orientation s'applique tota-
lement en dehors du contrôle des appareils syndicaux.
A partir des manifestations sur les boulevards, les diri-
geants fédéraux interviennent. Pour reprendre le contrôle
du mouvement, ils sont obligés d'aller très loin, et de convo-
quer une manifestation de masse de tous les employés de
banque parisiens, afin de ne pas être en retrait sur leur
volonté de combat.
Dans un deuxième temps, le mouvement, comme nous
allons le voir, va alors changer de nature. De sa phase active,
élargissement, manifestations, contrôle de la base, il va pas-
-
30
ser à sa phase passive, sous le signe du mot d'ordre des direc-
tins syndicales :
« N'écoutez que les directives émanant du Comité Na-
tional de Grève », Comité qui, rappelons-le, n'a en aucune
manière été élu, mais désigné par les directions des trois fédé.
rations, et dont aucun membre n'a joué un rôle quelconque
dans le déclenchement du mouvement.
VENDREDI 12 JUILLET, un meeting se tient à la
Crange-aux-Belles. Près de 10.000 employés de banque y
participent. Les dirigeants syndicaux annoncent une Commis-
'sion Nationale de Conciliation pour le 16 juillet (1).
Mais aucune manifestation n'est prévue pour ce jour-là. Les
« responsables » syndicaux veulent discuter dans le calme,
el redoutent la combativité des employés.
Un tract émanant des camarades qui firent partie plus
tard du Comité de lutte du C.N.E.P. est distribué à l'entrée
de la salle. Les dirigeants syndicaux refusent de donner la
parole à la tribune à un de ces camarades: la leçon du jeudi
de la semaine passée, salle Cadet, leur a servi. Ils ont pris
leurs précautions, et la tribune est abondamment garnie par
des militants sûrs. Seuls ont droit à la parole les dirigeants
fédéraux, et un représentant du Syndicat National des Ca-
dres de la Banque, dont, pourtant, les adhérents travaillent.
MARDI 16 JUILLET, la séance de la Commission Na.
tionale de Conciliation est levée après 9 heures de discus-
sion, sur le refus brutal du Ministre des Finances d'accorder
une augmentation des salaires.
MERCREDI 17 JUILLET, à 8 h. 30, meeting à la Gran-
ge-aux-Belles, des employés de la Sécurité Sociale, pendant
un arrêt de travail de deux heures.
A 10 heures, meeting à la Bourse du Travail des em-
ployés de banque. A 17 h. 30, meeting salle des Ingénieurs
Civils, des employés d'Assurances.
JEUDI 18 JUILLET, les Cadres C.F.T.C. et S.N.C.B.
ont rejoint le mouvement pour 48 heures. 80.000 employés
de banque sont en grève. Les Echos s'inquiètent des consé-
quences désastreuses du conflit des banques, et soulignent la
menace qu'il représente pour l'économie française.
VENDREDI 19 JUILLET, la solidarité financière est
organisée dans toutes les corporations pour soutenir la grève
des banques. L'accueil chaleureux rencontré par les grévistes
dans les usines montre la popularité de la grève des banques
et les possibilités d'extension qu'elle renferme.
LUNDI 22 JUILLET, au meeting de la Bourse du Tra.
vail, Charréron, secrétaire fédéral de Force-Ouvrière, demande
aux employés de banque de venir manifester le soir à 17 h. 30
(1) Commission prévue par la loi, lorsque l'accord direct ne se fait
pas entre patrons et employés, et où le gouvernement est représenté.
31
devant l’A.P.B., où se tient une Commission Paritaire. Alors
que la C.G.T. et la C.F.T.C. s'opposent aux manifestations,
F-0. est, à ce moment-là, la seule organisation qui traduise
le sentiment des employés de banque qui veulent sortir de la
grève passive. Organisation minoritaire dans la région pari.
sienne, le syndicat de la banque F.O. subit plus facilement
la pression et la volonté de la base.
Près de 2.000 employés de banque viennent manifester
le soir devant l’A.P.B., où les banques offrent 3 % d'aug.
mentation.
MARDI 23 JUILLET, à la Bourse du Travail les em-
ployés de banque repoussent l'aumône patronale. La grève
continue, toujours aussi puissante après la décision unanime
de l'Assemblée Nationale enjoignant aux banquiers de met-
tre fin sans délai au conflit. 3.000 employés des Assurances
manifestent devant le siège de l'association patronale. N'au-
rait-il pas été plus juste de lier cette manifestation avec
celle de la veille à l’A.P.B.? Les dirigeants fédéraux ne l'ont
pas voulu, parce qu'ils ne s'orientaient pas vers l'extension
du mouvement aux autres corporations.
MERCREDI 24 JUILLET, des cadres C.F.T.C. de la
banque ont repris le travail, suivant ainsi le triste exemple
de leurs collègues du S.N.C.B. Le personnel pénitentiaire con-
tinue la lutte, après avoir rejeté les propositions contenues
dans l'arbitrage de Bourgès-Maunoury.
JEUDI 25 JUILLET, les banquiers ont refusé de réunir
une Commission Paritaire. Ils préfèrent sans aucun doute la
Commission Nationale de Conciliation.
Le patronat des Assurances repousse à septembre l’exa-
men des salaires. Les pénitentiaires continuent la grève. En-
trevue entre syndicats et ministre pour les Gaziers et Elec-
triciens. Arrêt de travail dans les Douanes, à Marseille, Nan-
tes, Lille, Dunkerque et Mulhouse.
VENDREDI 26 JUILLET, la Commission Nationale de
Conciliation se réunit. Les banquiers accordent une augmen-
tation de salaires de 8 à 10 %, mais retiennent forfaitaire-
ment 12 jours de grève étalés sur 5 mois. Les grévistes ne
percevront donc un salaire supérieur qu'à partir de décembre
seulement. Le gouverneur de la Banque de France reçoit
les syndicats de cette banque qui ont organisé un référendum
pour passer à l'action le lundi suivant. Les Gaziers et Elec-
triciens obtiennent un acompte spécial de 30 %, avec un
minimum de 12.000 francs. Les Fonctionnaires manifestent
devant le Ministère des Finances.
SAMEDI 27 JUILLET, meeting des employés de banque
à la Bourse du Travail. Les dirigeants syndicaux font trainer
la séance. Les chanteurs amateurs se succèdent au micro pour
faire attendre les grévistes. Mais la salle s'impatiente et une
cantatrice, de la Société Générale, interrompue par les batte-
32
-
ments de pieds et les cris de: « NOS 5.000 FRANCS!
NOS 5.000 FRANCS !) doit abandonner la tribune. La
grève est une chose sérieuse et les employés de banque goû.
tent peu des spectacles qui n'ont rien d'artistique, et mon-
irent à ceux qui paradent sur l’estrade qu'ils ne sont pas au
music-hall, mais à une réunion syndicale.
Enfin, sous les huées de toute la salle, les dirigeants
fédéraux annoncent la décision du Comité National de Grève
ordonnant la reprise du travail. Pendant ce temps, les diri.
geants confédéraux ont signé l'accord de la Commission Na-
tionale de Conciliation. Le vote sur la continuation de la
grève est refusé aux employés présents, et la séance levée
dans le tumulte. Le Comité de Grève du C.N.E.P., réuni au
square Montholon, décide de continuer la lutte lundi pro-
chain pour le paiement des jours de grève.
LUNDI 29 JUILLET, les employés du C.N.E.P. occu-
pent le hall de la banque. Une délégation est reçue par la
Direction. La question du paiement des jours de grève sera
examinée le lendemain par le Président du Conseil d'Admi-
nistration.
MARDI 30 JUILLET, la Direction du C.N.E.P. n'accepte
de discuter qu'après évacuation du hall. Le hall est évacué,
mais les grévistes restent sur place dans les locaux de la can-
tine. Le Président du C.N.E.P. annonce que les banquiers
ne céderont pas sur le principe de la retenue des jours de
grève, mais qu'un accord peut être recherché sous forme de
« prime de rattrapage de retard ». Cette proposition est
communiquée aux trois représentants syndicaux du Conseil
d'Administration, pendant que le Comité de Grève fait anti-
chambre.
Pour protester contre la non-réception du Comité de
Grève, plusieurs centaines d'employés manifestent devant le
C.N.E.P.
Pour le paiement des jours de grève, plusieurs débraya-
ges ont lieu dans la journée au Crédit Lyonnais, à la B.N.C.I.,
à la B.U.P. et au Crédit du Nord.
MERCREDI 31 JUILLET, les employés du C.N.E.P.
ont repris le travail. La grève continue à la B.N.C.I., au Crédit
Lyonnais et au Crédit Commercial de France. Les banquiers,
reunis en Conseil à l’A.P.B., sont divisés sur la recherche
d'un accommodement quant aux conditions de reprise du
travail.
:
JEUDI 1er AOUT, débrayages partiels au Crédit du
Nord à Paris et au Crédit Lyonnais à Marseille. La Direction
du C.N.E.P. propose au Comité de Grève une prime de rat-
trapage de retard compensant d'environ 80 % la retenue des
jours de grève, mais un certain nombre d'heures supplémen-
taires devant être faites.
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VENDREDI 2 AOUT, l'A.P.B. s'aligne sur la proposition
faite par le Président du C.N.E.P., mais sans fixer de manière
précise le pourcentage que représente la prime de rattra-
page par rapport aux journées perdues.
LUNDI 5 AOUT, le Comité de Grève du C.N.E.P., reçu
par le Président, proteste contre sa décision d'appliquer le
texte de l’A.P.B. qui ne chiffre pas le montant de la prime,
alors qu'il avait promis une compensation d'environ 80 %.
Après la réponse évasive du président, les employés du
C.N.E.P. débrayent et se réunissent dans le hall. L'Assem-
blée générale adopte avec enthousiasme la revendication
d'une prime de 20.000 francs égale pour tous. La Direction
convoque immédiatement les 3 représentants syndicaux au
Conseil d'Administration. Le Comité de Grève, reçu ensuite
par le président, apprend le paiement en trois fois de l'indem-
nité de rattrapage, dont le montant correspond à ce qui avait
été fixé à l'origine. Le Comité de grève prend acte de cette
décision, mais annonce qu'elle ne satisfait plus les employés,
qui ne peuvent s'y reconnaître dans toutes les maneuvres
auxquelles la Direction se livre à propos de l'attribution de
cette prime.
MARDI 6 AOUT, réunion houleuse du Comité de Grève
du C.N.E.P. Force-Ouvrière accepte la proposition du Prési-
dent et annonce son retrait du Comité de Grève. Après dis-
cussion, les membres du Comité de Grève se dispersent dans
les bureaux pour annoncer que les organisations syndicales
sont d'accord pour arrêter la lutte jusqu'au premier verse-
ment de la prime de rattrapage de retard.
C'est la fin de la grève dans les banques où, partout, le
travail a repris normalement. Le C.N.E.P., qui fut le pre-
mier dans la lutte, a été le dernier à reprendre le travail.
LUNDI 12 AOUT, distribution du premier tract du
Comité le lutte du C.N.E.P., tirant les leçons de la grève.
La grève vue par un employé de la Banque Nationale
pour le Commerce et l'Industrie (B.N.C.I.).
Si les pages qui précèdent sont l'expérience d'un « mi-
litant » au sens le plus traditionnel du terme, celles qui sui-
vent émanent d’un employé de banque qui peut être consi-
déré, non pas comme l'employé simple exécutant type
de plus en plus fréquent mais comme celui auquel on
demande une certaine instruction, des connaissances profes-
sionnelles assez approfondies et auquel le patron confie « une
certaine responsabilité ».
Bien qu'il travaille dans une importante banque de
dépôt, son travail se rapprocherait de celui de l'employé
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de type traditionnel; de toute façon, l'auteur n'est pas un
« militant », bien que ses réflexions témoignent d'une cer-
taine « culture politique ».
Le texte fut rédigé par lui immédiatement après la
grève. On y sent à la fois l'enthousiasme de la lutte et le
dégoût de ceux qui « l'ont trahie ». Mais le caractère le
plus net, qui correspond à notre avis à la position de l'inté-
ressé, est qu'il se place presque en spectateur de la lutte.
Depuis plusieurs mois déjà, le mécontentement mani.
festé par les employés de banque avait pris une certaine am-
pleur. A des demandes d'augmentation des salaires très jus-
tifiées (la grande majorité des employés ont un salaire
compris entre 30 et 35.000 francs par mois) l'Association
Professionnelle des Banques (syndicat patronal) opposa tou
jours un non catégorique. Enfin au mois de juin, la commis-
sion mixte se réunit. Alors que les syndicats réclamaient
principalement une augmentation de 5.000 francs par mois
avec un minimum de 35.000 francs après un an de service,
un mois de congé pour tous, le retour aux 40 heures, la
suppression des abattements de zone, l’A.P.B. se retran
chait derrière la politique de blocage des salaires inaugurée
par M. Gaillard, se contenta d'accorder une prime excep-
tionnelle égale à 30 % du salaire mensuel. Cette aumône
fur considérée à juste titre par les employés comme une
véritable insulte. Tous étaient alors partisans de déclencher
immédiatement une grève générale illimitée, seul moyen
efficace dans notre profession de lutter contre le Patronat,
les effets d'une telle grève ne se faisant d'ailleurs sentir qu'un
certain nombre de jours après le déclenchement de l'action.
Mais les syndicats s'opposèrent à ce mode d'action sous pré-
texte que tout espoir de concession de la part du patronat
n'était pas encore perdu. A compter du 3 juillet seuls donc
des débrayages furent orga