nisations « ouvrières » ne nous dispense pas, au contraire nous
impose d'analyser, dans leur singularité, les traits de la crise
et de l'évolution qui se dessine.
Que le régime parlementaire s'effondre, sans que ce soit
le résultat d'une guerre civile, ni même de grandes luttes
sociales, que les syndicats et les partis de gauche soient impuis-
sants à mobiliser la classe ouvrière et ne fassent pratique-
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SOCIALISME OU BARBARIE
.
ment rien en ce sens, bien qu'ils n'aient connu aucune défaite
spectaculaire et continuent de bénéficier, apparemment, du
soutien d'importantes masses de travailleurs, que le proléta-
riat lui-même exprime son indifférence, son mépris vis-à-vis
du régime, mais qu'en dépit de sa force immense, il ne fasse
rien pour traduire en acte sa critique, tout ceci confère à la
situation présente un caractère singulier, absolument original,
et qu'on ne saurait expliquer par des références classiques
à des précédents historiques.
Plutôt que de parler sommairement, comme le font cer-
tains, de l'avènement du fascisme, il convient d'abord de
s'interroger sur le sens de la crise.
Assurément, une première explication souvent formulée
se propose : la guerre d’Algérie est la cause de la crise. De
fait, la bourgeoisie française a été incapable de régler sur
de nouvelles bases ses rapports avec les peuples qu'elle domi-
nait autrefois. Après avoir perdu l'Indochine, au terme d'une
guerre longue et coûteuse, puis consenti à l'indépendance du
Maroc et de la Tunisie, sous la menace d'une guerre générale
en Afrique du Nord, sans en tirer le bénéfice que lui aurait :
procuré des méthodes libérales, la bourgeoisie s'est obstinée
à maintenir intacts ses privilèges en Algérie. La masse des
Français présents en Algérie, son homogénéité face à la mena-
ce arabe, l'évolution de l'armée marquée par ses précédents
échecs, le style de la guerre qui confère à cette armée le
rôle d'une police et d'une administration ont engendré une
situation d'un type nouveau. En bref, les organisations de
masse, l'appareil militaro-policier, l'idéologie raciste et natio-
naliste ont composé en profondeur jusqu'à constituer une nou-
velle structure sociale, jusqu'à donner naissance à un nouvel
Etat. Dans le même temps, en métropole, l'Etat se décom-
posait.
Mais cette explication de la crise est partielle. Elle n'of-
fre que sa cause prochaine et ne révèle qu'un aspect de
l'évolution sociale. On ne peut dire, sans plus, que pou-
voir politique s'est désagrégé parce que la guerre a déplacé
son centre réel de France en Algérie. S'il en a été ainsi, c'est,
qu'en fait, la bourgeoisie métropolitaine n'a pas réussi à
déterminer une politique propre, pas plus une politique de
guerre qu'une politique de paix. Les gouvernements succes-
sifs, les partis de droite et de gauche qui les ont soutenus ont
été incapables de choisir entre les exigences de la guerre,
qui appelait un effort militaire et financier considérable et
celles de l'équilibre social. Leurs hésitations ne faisaient que