politiciens noirs, le Congo est aujourd'hui ce nombril.
lire la presse, occidentale ou communiste, tout se passe
comme si Lumumba était un être de fiction : c'est Khrou-
chtchev en noir. Tchombé, c'est Baudouin, Kasavubu c'est
Hammarskjoeld. Léopoldville est une projection fantasti-
que du palais des Nations Unies. Qu’un nom nouveau se
manifeste, une hésitation se produira : Mobutu, se deman-
dera-t-on pendant quelque temps avec angoisse, c'est qui ?
Les russes, les américains, Sékou Touré ? Ne serait-ce
plutôt personne ? Une aberration, un non-être qui retour-
nera bientôt à son néant faute d'avoir trouvé un être de
poids (de préférence un blanc) en qui s'incarner ?
Bien sûr, il est vrai que le Congo a rejoint Berlin et
quelques autres cités et nations au rang des lieux où passe
la frontière de la guerre froide, et où, nous assure-t-on, se
joue le sort du monde. Et puisque Lumumba et Tchombé
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et tous les congolais avec eux sont devenus à la fois l'enjeu
et les pions de la lutte des blocs, il est fondé de chercher
derrière chacun de leurs gestes l'influence de l'une ou
l'autre des puissances. Mais il est faux, mille fois faux, de
s'arrêter là. Car 'si nous voulons que les événements du
Congo nous servent en nous apprenant quelque chose, la
condition essentielle est que nous acceptions une bonne
fois pour toutes de mettre entre parenthèses, ces puis-
sances qui ont jusqu'ici orienté le cours de l'histoire :
l’Europe, les USA et, depuis 1917 au moins, l'URSS.
Que cette mise entre parenthèses nous répugnions à
la faire, c'est ce que chaque jour nous apprend. Nous
affirmons que l'initiative appartient désormais à l'Afrique,
mais du même souffle nous attribuons tout ce qui s'y passe
à l'effet plus ou moins protracté des agissements de l'une
de ces puissances : dans les gestes des noirs nous ne pou-
vons nous empêcher de déceler l'intention d'un blanc.
A cet égard les réactions suscitées en Occident par les
premières manifestations de ce qui a été appelé l' « anar-
chic » congolaise, furent caractérisques. L'on se hâta de
trouver une explication qui permit de relier ces événements
non à l'état réel du Congo mais à ceux qui ne s'y trouvaient
déjà plus : les Belges. Pour les racistes, l'anarchie qui se
produisait maintenant était la preuve que seuls les Belges
étaient aptes à diriger ce pays. Le présent rendait un
hommage au passé, ce fut donc du passé que l'on parla,
c'est-à-dire des Belges. L'on rappela leur æuvre de « civi-
lisation », on alla chercher les chiffres de la production
industrielle, on cita le nombre des chômeurs, le nombre
d'hôpitaux, de kilomètres de voies ferrées. A gauche c'était
encore des Belges qu'il s'agissait, ils étaient toujours
responsables de ce qui se passait, mais directement cette
fois, et non indirectement, par leur absence, comme dans
le cas précédent. Les Belges, disait-on, ont systématique-
ment saboté l'Indépendance en divisant les partis nationa-
listes, en poussant à la sécession de certaines provinces,
en encourageant le tribalisme. Bien plus : en refusant de