mique au point que l'on puisse regarder les autres relations
sociales comme secondaires.
Ensuite, si la catégorie de la réification est à reconsidérer,
cela signifie que toute la philosophie de l'histoire sous-jacente
à l'analyse du Capital est à reconsidérer. Nous aborderons
cette question plus loin.
Enfin, il devient clair que la conception même que Marx
se faisait de la dynamique sociale et historique la plus géné-
rale est mise en question sur le terrain même où elle avait été
élaborée le plus concrètement. Si le Capital prend une telle
importance dans l'œuvre de Marx et dans l'idéologie des
marxistes, c'est parce qu'il doit démontrer scientifiquement sur
le cas précis qui intéresse avant tout, celui de la société capi-
taliste, la vérité théorique et pratique d'une conception géné-
rale de la dynamique de l'histoire, à savoir que « à un certain
stade de leur développement, les forces productives de la
société entrent en contradiction avec les rapports de produc-
(11) V. « Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme
moderne », dans le n° 32 de cette revue, pp. 84 à 94.
11
tion existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique,
avec les rapports de propriété à l'intérieur lesquels elles
s'étaient mues jusqu'alors ». (12)
En effet, le Capital, parcouru d'un bout à l'autre par cette
intuition essentielle : que rien ne peut désormais arrêter le
développement de la technique, et celui, concomitant, de la
productivité du travail, vise à montrer que les rapports de
production capitalistes, qui étaient au départ l'expression la
plus adéquate et l'instrument le plus efficace du développe-
ment des forces productives, deviennent, «à un certain stade »,
le frein de ce développement et doivent de ce fait éclater.
Autant les hymnes adressés à la bourgeoisie dans sa phase
progressive glorifient le développement des forces productives
dont elle a été l'instrument historique (13), autant la condam-
nation portée contre elle, chez Marx aussi bien que chez les
marxistes ultérieurs, s'appuie sur l'idée que ce développement
est désormais empêché par le mode capitaliste de production.
« Les forces puissantes de production, ce facteur décisif du
mouvement historique, étouffaient dans les superstructures
sociales arriérées (propriété privée, Etat national), dans les-
quelles l'évolution antérieure les avait enfermées. Grandies
par le capitalisme, les forces de production se heurtaient à
tous les murs de l'Etat national et bourgeois, exigeant leur
émancipation par l'organisation universelle de l'économie
socialiste », écrivait Trotsky en 1919 (14) – et, en 1936, il
fondait son Programme Transitoire sur cette constatation :
« Les forces productives de l'humanité ont cessé de se déve-
lopper... » --- parce que, entre temps, les rapports capitalistes
étaient devenus, de frein relatif, frein provisoirement absolu.
à leur développement.
Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien, et que depuis
vingt-cinq ans, les forces productives ont connu un dévelop-
pement qui laisse loin derrière tout ce qu'on aurait pu ima-
giner autrefois. Ce développement a été certes conditionné