(8 a) Lévi-Strauss, in Esprit, l. c.
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(consciemment ou inconsciemment, peu importe) a posé et même
choisi ces « oppositions de signes », a biffé des notes sur une parti-
tion, a enrichi ou appauvri tel accord, confié finalement aux bois telle
phrase initialement donnée aux cuivres, guidé par une signification
musicale à exprimer (et qui, bien entendu, ne cesse pas d'être influen-
cée, le long de la composition, par les signes disponibles dans le code
utilisé, dans le langage musical que le compositeur a adopté bien
que finalement un grand compositeur modifie ce langage lui-même
et constitue en masse ses propres signifiants). Cela vaut tout autant
pour le mythologue ou pour l'anthropologue structuraliste, sauf qu'ici
le créateur c'est une société entière, la reconstruction des codes est
beaucoup plus radicale, et beaucoup plus enfouie bref, la constitu-
tion des signes en fonction d'un sens est une affaire infiniment plus
complexe. Considérer le sens comme simple « résultat » de la diffé-
rence des signes, c'est transformer les conditions nécessaires de lec-
ture de l'histoire en conditions suffisantes de son existence. Et certes,
ces conditions de lecture sont déjà intrinsèquement des conditions
d'existence, puisqu'il n'y a histoire que du fait que les hommes com-
muniquent et coopèrent dans un milieu symbolique. Mais ce symbo-
lisme est lui-même créé. L'histoire n'existe que dans et par le « lan-
gage » (toutes sortes de langages), mais ce langage, elle se le donne,
elle le constitue, elle le transforme. Ignorer ce versant de la question,
c'est poser à jamais la multiplicité des systèmes symboliques (et donc
institutionnels) et leur succession comme des faits bruts sur lesquels
il n'y aurait rien à dire (et encore moins à faire), éliminer la question
historique par excellence : la genèse du sens, la production de nou-
veaux systèmes de signifiés et de signifiants. Et, si cela est vrai de la
constitution historique de nouveaux systèmes symboliques, il l'est tout
autant de l'utilisation, à chaque instant, d'un système symbolique
établi et donné. Dans ce cas, non plus, on ne peut dire, absolument,
ni que le sens « résulte » de l'opposition des signes, ni l'inverse ;
car cela transporterait ici des relations de causalité, ou en tout cas
de correspondance bi-univoque rigoureuse, qui masq? aient et annu-
leraient ce qui est la caractéristique la plus profonde du phénomène
symbolique, à savoir son indétermination relative. Au niveau le plus
élémentaire, cette indétermination est déjà clairement indiquée par le
phénomène, découvert par Freud, de la sur-détermination des sym-
boles (plusieurs signifiés peuvent être attachés au même signifiant)
auquel il faut ajouter le phénomène inverse, que l'on pourrait
appeler la sur-symbolisation du sens (le même signifié est porté par
plusieurs signifiants ; il y a, dans le même code, des messages équi-
valents, il y a, dans toute langue, des « traits redondants », etc.)
Les tendances extrémistes du structuralisme résultent de ce qu'il
cède effectivement à « l'utopie du siècle », qui n'est pas « de cons-
truire un système de signes sur un seul niveau d'articulation » (8b)
mais bel et bien d'éliminer le sens (et, sous une autre forme, d'éli-
miner l'homme). C'est ainsi qu'on réduit le sens, pour autant qu'il
n'est pas identifiable à une combinaison de signes (ne serait-ce que
comme son résultat nécessaire et univoque), à une intériorité non-
transportable, à une « certaine saveur » (8bb). C'est qu'on semble ne
pou-